Richard Hugo tendre poète
Richard Hugo est un écrivain américain. Il faisait partie du groupe dit des « écrivains du Montana ». Il y a un nid là-bas, à Missoula. Les écrivains y poussent comme les champignons après la pluie, bien qu’il ne pleuve pas beaucoup dans ce coin. Par contre quand c’est l’hiver, c’est l’hiver. Apparemment Richard Hugo était surtout poète, et je suppose que c’était un tendre poète car le seul roman qu’il ait écrit, La Mort et la Belle Vie, un polar, est un tendre polar. Rangés dans le placard, les super-héros implacables. Les super-loosers aussi. Le seul roman écrit, pas exactement, disons le seul écrit et publié, deux ans avant sa disparition. Car il en avait déjà écrit un, jeune, « pas vraiment un roman policier » et « mal écrit » selon lui. Dans le Montana, on n’a pas l’air d’être trop prétentieux. Le climat et le lieu doivent l'empêcher.
Comme d’autres que lui dans son pays, Richard Hugo a suivi des cours de « création littéraire » à l’université. On apprend bien à dessiner, à jouer de la musique, alors pourquoi pas à écrire ? Ce qui ne fera pas forcément de vous un écrivain. Lui l’est devenu. Et professeur, à son tour, renommé. Si l’on en croit quelques éléments biographiques trouvés notamment dans la préface de son roman rédigée par James Welch (son élève, son ami, puis écrivain – les champignons), le personnage de son unique roman lui ressemble un peu. Comme lui il vient de Seattle et s’installe au Montana (un petit bled pour le personnage, Missoula pour l’écrivain), comme lui il trouve le bonheur dans ce nouvel endroit (une femme et ses enfants) et comme lui il aime le baseball et la pêche. Et tous les deux ont suivi ces cours de création littéraire.
Ce personnage c’est Al Barnes. Il a été policier à Seattle durant dix-sept ans. Au départ il voulait être poète. Dans son métier il n’a montré ni rage de réussir ni zèle excessif, établissant le record de non-délivrances de procès verbaux pour excès de vitesse et de non-arrestations de délinquants en tout genre. Si bien que ses collègues l’ont surnommé « Barnes la Tendresse ». Il découvre qu’il a un don : il suscite les confidences, même les plus improbables. Les gens veulent se confier à lui sans qu'il ne demande rien. C'est pratique, mais c'est un gentil et il n'en profite pas. Puis il est affecté à la brigade des homicides et là il se rend compte qu’il ne supporte pas le crime, surtout impuni. Il devient efficace mais reste Barnes le gentil et un jour qu’il interpelle un vieillard qui a l’air trop vieux pour être méchant, ce dernier lui met trois balles dans le corps. Après des mois d’hospitalisation, il accepte le congé médical qu’on lui propose et décide de partir à la recherche de « la paix et de la sérénité ». Il va les trouver à Plains, Montana, un bled minuscule au milieu de nulle part dans un comté pas très peuplé. Comme sa pension est insuffisante il lui faut un travail et il dégote celui de shérif-adjoint. La vie est tranquille à Plains et les affaires qu’il doit traiter n’ont rien à voir avec celles de la ville. Mais ça ne va durer qu’un temps et si Barnes trouve « la belle vie » à Plains, il va aussi y retrouver « la mort », un beau matin, en la personne d’un pêcheur, le comptable de la scierie, tué à la hache au bord d’un lac. Et ce n’est qu’un début. L’enquête sera concentrée sur un mois mais l’histoire se déroulera sur un an, avec une ellipse sur l’hiver interminable. Elle emmène Barnes dans l’Idaho voisin, puis à Portland, Oregon, où il retrouvera un ancien collègue de Seattle, flic et poète, et à Vancouver, état de Washington. Dans cette enquête à double-fond, des masques vont tomber très vite, d’autres très lentement.
Richard Hugo devait être lui aussi un « Dick la Tendresse ». C’était en tout cas un grand pêcheur. James Welch raconte qu’à la fin de sa vie, malade, il pêchait encore au bord des lacs, assis dans un fauteuil pliant. Son roman est tranquille comme une rivière large et calme. Il y a des morts, du sang, des esprits torturés, c’est un polar, mais pas de débauche de violence, pas de tourments sans fin ni de morbidité dans la tête d'Al Barnes, à qui il arrive de pleurer : « C’était peut-être le vin ou le ciel triste. En démarrant, je pensai à mon père qui était rentré un soir à la maison après avoir perdu son travail et qui s’étais mis à pleurer cependant que ma mère s’efforçait de le réconforter. Je pensai à un Noir de Seattle qui ne voulait pas être un violeur d’enfants mais qui, ne pouvant s’en empêcher, m’avait dit qu’il allait se tuer, ce qu’il avait fait en s’immolant par le feu. Je pensai à une petite fille qui s’était noyée dans un lac près de Seattle et aux cris de sa mère quand on avait tiré de l’eau le cadavre de son enfant. Je pensai à un monde où la vie est toujours trop dure, où on nous demande d’en supporter davantage qu’on en est capable. Je chialai comme un môme. Pour personne en particulier, pour nous tous. »
Le racisme envers les Noirs et les Indiens (le shérif est indien, son nom signifie « fougère rouge ») est présent sans lourdeur, comme la misère, les intégristes de Dieu qui détruisent leur famille, les affrontements politiques dans un pays où les shérifs sont élus, l’argent qui est la grande coupure et le meilleur des leurres, les bourgs où les motels et les stations-service tiennent lieu de monuments historiques. Al Barnes, épaulé par deux confrères très différents, le poète de Portland, flic impeccable et humaniste, et le sagace shérif du Montana, esprit fin et dégaine ultra-rapide sous son apparence d'ours, va mener cette histoire à son terme dans des paysages et des quartiers urbains qui rendent philosophe. Il y côtoiera des fous perdus et des calculateurs, préfèrera les premiers aux seconds, et ne sera pas infaillible, à tout point de vue. Dans ce polar où coule une rivière, les truites comme les affaires que l'on croyait finies reviennent au printemps.
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