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Rita Hayworth, par-delà le mythe

Rita Hayworth

Elle aurait eu cent ans hier. Actrice, danseuse, déesse de l'amour, sex-symbol, Rita Hayworth fut l'icône du septième art états-unien d'après-guerre. Lorsqu'elle s'éteignit en 1987 à l'âge de soixante-huit ans, le président Reagan déclara : "elle était glamour et talentueuse, elle nous a fait don de merveilleux moments sur scène et à l'écran", un avis partagé par les cinéphiles d'hier et d'aujourd'hui. Beaucoup ignorent cependant que la vie de la diva fut loin d'être une sinécure : forcée à danser, bringuebalée durant toute son enfance de ville en ville, violée par son propre père, bafouée ou battue par ses maris successifs, brisée par l'alcool. Ces éléments, tus de son vivant, ont été rendus publics dans sa biographie posthume par la journaliste Barbara Leaming dont le livre s'intitule de manière éloquente If This Was Happiness. Voilà que l'image de la séductrice fatale se craquèle pour laisser place à une jeune fille malheureuse, ayant sans cesse besoin d'être aimée et rassurée. C'est ce que nous tenterons d'expliquer dans le présent article.

L'histoire commence à New York, dans un modeste appartement de Brooklyn occupé par un jeune couple : lui, Eduardo Cansino (1895-1968) est un danseur andalou dont le père, danseur aussi, est venu quérir fortune par-delà l'Océan au début du siècle ; elle, Volga Hayworth (1897-1945) est la fille d'acteurs itinérants anglo-irlandais, elle a fui le foyer familial pour réaliser son rêve de devenir danseuse et a rencontré le jeune Eduardo qu'elle a épousé à la fin de l'année 1917. Les Cansino (Eduardo, sa femme, son frère, sa sœur et ses parents) forment une petite troupe de flamenco, les Dancing Cansinos qui ont un certain succès auprès du public américain : il faut dire que cette Amérique entrée de plain-pied dans la Grande Guerre cherche à s'oublier dans les voluptés, quoi de mieux que les sons ensorcelants du flamenco pour effacer, fût-ce l'espace d'un instant, les horreurs que charrie incessamment la presse ?

Le 17 octobre 1918, Volga donne naissance à une petite fille qu'elle nomme Margarita Carmen : son père la voit déjà intégrer la troupe familiale comme danseuse, le destin de la petite semble tout tracé. Malicieux clin d'œil de l'histoire, on est un an jour pour jour après l'exécution de l'envoûtante Mata Hari…

On ne badine pas avec la danse chez les Cansino. A peine âgée de trois ans, Margarita se voit contrainte de s'adonner à d'épuisants exercices de danse, une discipline qu'elle n'affectionne pas. Elle le racontera plus tard avec une certaine amertume : "Je n'aimais pas cela, mais je n'avais pas le courage de le dire à mon père. Répéter, répéter sans cesse… ce fut ma petite enfance". Elle met dès lors tout en œuvre pour parfaire sa performance, afin de ne pas décevoir ce père qu'elle admire tant. De fait, elle fait d'énormes progrès, à tel point qu'à seulement cinq ans elle joue son premier spectacle de danse devant un public ému.

La situation matérielle de la famille s'améliore en 1927, lorsqu'Eduardo décide d'emmener femme et enfants à Hollywood. C'est alors l'époque où le film muet va sur sa fin – l'arrivée du parlant augure le début des comédies musicales : la chorégraphie tient une place majeure dans le jeu d'acteur. Eduardo, qui souhaite surfer sur cette nouvelle vague, ouvre donc une école de danse à Hollywood : il compte des élèves aussi célèbres que James Cagney et Jean Harlow, enthousiasmés par l'éclat de la danse flamenco. Mais le succès tourne court. La crise de 1929 fait perdre à la famille Cansino tous les investissements, l'obligeant à fermer l'école de danse et à vagabonder sur les routes d'Amérique dans une roulotte.

Margarita étant la plus douée de la famille, Eduardo a l'idée de former un duo avec elle pour se produire dans les bars et casinos : la jeune fille a alors douze ans… Obéissante, elle accepte d'interrompre sa scolarité et de suivre son père pour y gagner quelques modiques sommes. Les deux dansent une version modernisée du tango. Mais, la pauvreté et le désespoir aidant, Eduardo sombre dans l'alcoolisme et se comporte de façon tyrannique avec sa fille qu'il n'hésite pas à dévaloriser, à battre et même à violer. D'après le livre de Barbara Leaming, l'adolescente aurait subi des incestes répétés durant plusieurs années avec la complicité tacite de la mère. Ces viols quotidiens auront de graves répercussions sur la psyché de la jeune femme et constitueront, sans doute, une des raisons des ses relations chaotiques avec la gent masculine. Rappelons que la famille (père espagnole, mère irlandaise) est catholique pratiquante…

Dans cet océan d'horreur, la danse constitue une échappatoire pour Margarita dont la notoriété ne cesse d'augmenter : les badauds affluent dans les bars où elle se produit. Parallèlement, elle postule à plusieurs studios de production pour y décrocher un contrat de cinéma. Elle est finalement exaucée en 1933 lorsque le producteur Winfield Sheehan, époustouflé par le spectacle de cette adolescente à la timidité maladive qui se mue en réelle déesse de la danse une fois sur scène, décide de lui accorder sa chance et la convoque pour un casting : le résultat s'avère plus que concluant. Le producteur lui fait signer un contrat à condition qu'elle suive des cours de diction et qu'elle change son prénom en Rita.

Elle tourne dès 1935 dans L'Enfer, aux côtés du célèbre Spencer Tracy, elle y interprète un numéro de danse qui conquiert le public. Elle apparaît ensuite dans plusieurs films de série B tels que Under the Pampas Moon ou Charlie Chan en Égypte, elle y joue des seconds rôles. Mais, lorsque la maison de production est rachetée par 20th Century Pictures, le nouveau producteur se débarrasse de Rita qui devait pourtant avoir son premier grand rôle. "Naturellement, j'ai pleuré et j'ai juré que je deviendrais célèbre et que je leur montrerais qu'ils avaient fait une terrible erreur", déclarera-t-elle plus tard.

La jeune femme de dix-huit ans est alors au comble du désespoir et connaît de graves difficultés financières. C'est alors qu'elle rencontre Edward Judson, un homme d'affaires arriviste qui a fait fortune dans le pétrole et qui décide de la prendre sous son aile pour en faire une véritable diva. Pour Rita, qui vit toujours chez ses parents devenus alcooliques, cette rencontre est la possibilité d'une échappatoire et un moyen d'améliorer sa vie matérielle. Elle décide donc d'épouser Judson et de s'installer avec lui, malgré les remontrances de son père avec lequel elle finit par couper les ponts. Judson prend littéralement la relève de son père – Rita est encore timide et n'arrive pas à s'imposer. Pour la rendre plus "sexy" et en faire une actrice de premier plan, son mari lui fait teindre les cheveux en roux et lui impose plusieurs opérations chirurgicales : électrolyse, arrachage de molaires pour souligner l'ovale de son visage. Choses que la starlette accepte docilement.

De fait, ces efforts sont payants. Lorsque Judson la présente à son ami Harry Cohn (producteur et patron de la Columbia Pictures) ce dernier tombe sous le charme de la jeune femme et lui fait immédiatement signer un contrat. Criminels de l'air est son premier réel succès en 1937 : par la suite, celle que l'on nomme encore Rita Cansino, tourne dans une douzaine de films de qualité moindre qui, faute de lui apporter du succès, constituent un entraînement et lui donnent une expérience des tournages. Harry Cohn, le producteur, connu pour son caractère entreprenant, fait des avances à la jeune femme qui les refuse, ce qui rend le magnat fou de rage. Bien qu'elle soit la femme de son ami, Cohn ne cessera de la harceler durant des années : allant jusqu'à poser des micros dans sa loge pour l'espionner. La notoriété point en 1939 avec Seuls les anges ont des ailes, un film de Howard Hawks, dans lequel Rita Hayworth (elle a décidé d'abandonner le nom de son père) se fait remarquer malgré la présence de l'actrice Jean Arthur qui est alors la véritable star d'Hollywood. Le public est conquis et réclame de voir plus souvent la jolie rousse. Harry Cohn comprend alors qu'il a affaire à une véritable star naissante et décide finalement de prolonger son contrat. Mais, derrière les coulisses du succès, ce film a été une véritable épreuve pour la timide Rita : "Ce fut un film difficile pour moi, c'était la première fois que je jouais dans un film important et j'avais vraiment peur", confiera-t-elle plus tard.

Continuant à faire quelques films de séries B pour la production Columbia, elle est contactée par MGM Pictures en 1940 pour passer un casting auprès du réalisateur Georges Cukor qui l'embauche aussitôt pour jouer aux côtés de la célèbre Joan Crawford, alors en haut de l'affiche. Le public se montre plus enthousiaste envers la jeune Hayworth (dont le rôle était pourtant secondaire) qu'envers Crawford elle-même.

Les années suivantes voient la jeune femme enchaîner les succès : The Strawberry Blonde et Arènes Sanglantes en 1941, puis L'amour vient en dansant et Mon amie Sally en 1942 sont plébiscités par le public. Ces films lui permettent également de nouer des connaissances et de se constituer un véritable réseau. Fred Astaire, James Cagney et Hermes Pan figurent parmi ses amis les plus proches. Parallèlement à sa notoriété qui monte, sa vie privée vole en éclats : Edward Judson est maladivement jaloux et se montre violent avec sa jeune épouse au point de la battre. En 1942, elle demande le divorce. "Il m'a certes aidé pour ma carrière mais il s'est surtout aidé lui-même avec mon argent", déclarera-t-elle, amère.

Si le divorce la libère de la pression, cela la plonge dans la misère. Elle se retrouve littéralement sans domicile fixe et doit compter sur la solidarité de son ami Hermes Pan pour se nourrir. Elle aurait eu plusieurs relations, plus ou moins suivies, avec des célébrités telles que Victor Mature ou l'excentrique Howard Hughes, mais aucun d'entre eux ne semble à même de lui donner ce dont elle a besoin : un amour sincère et désintéressé. Impressionné par sa photo particulièrement glamour en couverture du magazine Life, le jeune acteur et intellectuel Orson Welles entreprend de séduire "la plus belle femme des États-Unis" et lui fait une cour assidue qui a bientôt raison des réticences de la jeune femme. Au grand dam d'Harry Cohn, qui pensait avoir une chance d'épouser cette figure montante du septième art, Rita et Orson se marient en septembre 1943.

La vie semble dès lors sourire à la jeune femme qui gagne 2500 dollars par semaine (une somme qui sera multipliée par dix au début des années cinquante) et tisse le parfait bonheur avec Orson Welles qui se montre, dans les premiers temps, un homme plein d'attention et de complicité. En 1944, elle tourne dans La Reine de Broadway, un succès fou dans cette Amérique en guerre. Ironiquement, la guerre contribue à accroître la notoriété de Rita Hayworth. Sur le front, les GI's, privés de présence féminine, sont littéralement fous de la jeune actrice (c'est alors la mode des pinups) dont ils s'échangent volontiers cartes et photographies glanées dans les magazines people qui leur sont distribués. Rita Hayworth est devenue le fantasme de l'Amérique.

Entretemps, Orson Welles, qui a toujours été un artiste engagé et un intellectuel, fait campagne pour la réélection de Franklin D. Roosevelt et fonde le Hollywood Democratic Committee, un groupe d'acteurs soutenant le président sortant qui sera réélu haut la main. Rita n'a pas de réelle conscience politique mais elle accepte volontiers de suivre son mari dans sa tournée démocrate pour porter auprès de ses fans la candidature de Roosevelt. Les mauvaises langues diront que l'artiste engagé a "instrumentalisé" sa jeune femme en l'embarquant dans cet univers politique qui lui était pour le moins étranger. Rita finit par tomber enceinte et donne naissance à une fille, Rebecca, en décembre 1944, ce qui l'amène à quitter pour un temps les plateaux de tournage.

Le mariage des deux jeunes tourtereaux commence néanmoins à battre de l'aile. Orson est un baroudeur et un homme à femmes tandis que Rita rêve de stabilité et d'une personne capable de la protéger. "Durant tout notre mariage, Mr. Welles n'a montré aucun intérêt à établir un foyer. Il disait que c'était trop de responsabilités", raconte-t-elle des années plus tard. A la nonchalance de Welles, il faut ajouter la jalousie obsessive de Hayworth qui épie littéralement son mari – suite à ses déconvenues avec les hommes, la jeune femme a développé un réel trouble affectif qui se traduit par une jalousie paranoïaque.

Un an après avoir quitté la scène, elle fait un retour fracassant avec le film Gilda sorti en 1946. Charles Vidor, son réalisateur fétiche, lui a donné le rôle d'une femme fatale, d'une épouse infidèle et croqueuse d'hommes. Tous les cinéphiles connaissent cette scène anthologique d'une Rita Hayworth séductrice retirant ses longs gants noirs en chantant… Ce film fait entrer la jeune actrice dans la légende et la propulse au rang de célébrité mondiale. Elle était le fantasme de l'Amérique, elle devient celui du monde entier, d'une génération meurtrie par la guerre, rêvant de douceurs et de liberté. Gilda et Rita se confondent : l'actrice endosse, pour le reste de sa vie, ce masque de femme fatale, malgré elle. Le succès est tel que l'armée états-unienne décide de rendre (à sa façon) hommage à l'actrice en donnant le nom "Gilda" à une bombe atomique sur laquelle figure l'effigie de Hayworth – la bombe sera larguée sur l'atoll de Bikini le 1er juillet 1946. Une telle récupération révolte la pacifiste Rita Hayworth qui aurait, selon sa biographe Barbara Leaming, envisagé de faire une conférence de presse pour s'en désolidariser, avant d'en être dissuadée par Orson Welles qui lui aurait dit qu'un tel geste serait vu comme "antipatriotique". L'actrice se contentera d'une remarque plus sobre mais non équivoque : "Je hais la guerre". Elle est alors à l'apogée de sa carrière.

Un an plus tard, le couple finit par divorcer. Orson Welles tient cependant à offrir un "cadeau de rupture" à la mère de sa fille : il la fait jouer dans La Dame de Shanghaï qui s'avère cependant un désastre : la transformation de Rita Hayworth (qui a coupé court ses cheveux et les a teints en blonde platine) déplaît au public. Certains biographes arguent que ce film, loin d'être un cadeau désintéressé, serait en fait une manœuvre d'Orson Welles pour ternir l'image de sa future ex-épouse dans une basse vengeance insidieuse… D'autres affirment qu'il s'agit plutôt d'un règlement de comptes avec l'industrie hollywoodienne.

Au cours de l'année suivante, elle tourne dans un autre film majeur : Les amours de Carmen, un succès fou qui fait vite oublier la catastrophe de La dame de Shanghai. Mais celle qui, à seulement 29 ans, est révérée par le monde entier, se sent lassée du monde superficiel des paillettes et éprouve un fort sentiment de solitude. Malgré son contrat et un projet futur de western, elle décidé de partir en Europe avec sa fille pour se reposer.

En juillet 1948, au cours d'une réception donnée à Cannes, elle fait la connaissance du prince Ali Khan, fils de l'Aga Khan (chef spirituel et politique des khodjas, ismaéliens nizarites). La sex-symbol de l'Amérique tombe sous le charme de ce prince oriental qui lui promet des lendemains chantants. Ils entament vite une liaison qui se concrétise par un mariage le 27 mai 1949 au château de l'Horizon, à Vallauris. L'ancienne danseuse des cabarets est désormais princesse. Les Aga Khan sont une famille irano-pakistanaise prétendant descendre du Prophète, à la tête d'une communauté chiite nommée khodjas ou nizarites qui les considèrent comme d'essence quasi-divine. Ils ont aussi une portée politique : L'Aga Khan III (père du prince Ali) fut ainsi le président de la Société des Nations, tandis qu'Ali lui-même devient représentant du Pakistan auprès des Nations-Unies. Leur union donne naissance à la princesse Yasmin Aga Khan en décembre 1949. Le couple entame une vie faite de fastes. Mais, encore une fois, le bonheur est de courte durée pour Rita à laquelle son époux demande de mettre un terme à sa carrière. Elle aurait en outre été trompée par ce dernier qui était attaché au modèle polygame en vigueur chez les nizarites. Un comportement qui blesse profondément Rita. Selon certains biographes, Ali Khan aurait également été un mari violent n'hésitant pas à insulter et à battre cruellement son épouse. Après une série de ruptures et de réconciliations, le couple divorce en 1953. L'actrice reconnaît plus tard avoir songé à se convertir à l'islam pour se rapprocher davantage de son époux. Cependant, les rapports entre les deux se dégradent à un tel point qu'ils se livrent une véritable bataille judiciaire pendant et après leur divorce, notamment au sujet de la garde de la princesse Yasmin et de son éducation : "Je veux que ma fille soit élevée dans la liberté américaine et dans la foi chrétienne. Je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour lui donner cette chance, peu importe ce qu'il m'en coûte", déclare l'actrice furieuse. En effet, Rita Hayworth est restée une fervente catholique durant toute sa vie.

Elle a entretemps tourné dans deux films majeurs de sa carrière : L'Affaire de Trinidad en 1952 et Salomé en 1953. Des films qui génèrent des millions de recettes. Le salaire mensuel de la star s'élève alors à plus de 100 000 dollars, ce qui en fait une des actrices les plus riches de l'époque. Mais le divorce avec Ali Khan et son retour aux États-Unis signent le début des ennuis pour Rita qui doit batailler non seulement avec son ex-mari mais aussi avec la maison de production Columbia dont le directeur Harry Cohn lui reproche d'avoir rompu le contrat exclusif qui l'y liait exclusivement. Enfin, à l'ère du maccarthysme, elle doit faire face aux investigations du comité d'enquête sur les "activités anti-américaines", ce qui dissuade de nombreux réalisateurs de l'engager.

Les difficultés sont encore exacerbées par son quatrième mariage, en septembre 1954, avec le chanteur Dick Haymes. Un mariage qui va s'avérer calamiteux. Si Rita aimait profondément son mari, il semble que ce dernier voyait en la star une manière de redonner un souffle à sa carrière moribonde de chanteur. En outre, Haymes était sévèrement endetté (au point que plusieurs mandats d'arrêt étaient lancés contre lui) et risquait d'être expulsé du territoire états-unien, étant né en Argentine et considéré comme illégal : un mariage avec Rita Hayworth signifiait le remboursement de ses dettes et l'acquisition de la citoyenneté. Après une relation orageuse de deux ans, le couple finit par divorcer en 1956. Rita est alors sur la paille : ayant dilapidé une grande partie de sa fortune pour son mari. Elle est obligée de réclamer les pensions alimentaires que le prince Ali Khan et Orson Welles lui doivent pour leurs enfants respectives – celles-ci ne lui seront jamais versées. Sa carrière est également en berne : elle a refusé plusieurs rôles, dont celui de Maria Vargas dans La Comtesse aux pieds nus, cela lui rappelant trop sa propre vie – le film raconte effectivement l'histoire d'une femme malheureuse en recherche d'un amour qu'elle ne trouve nulle part.

Elle revient sur la scène en 1957 avec L'Enfer des Tropiques et remporte d'énormes succès avec La blonde ou la rousse de Frank Sinatra. Tables séparées et Ceux de Cordura, en 1959, sont considérés comme ses derniers grands films. A quarante ans, elle est toujours – aux yeux du public – cette femme fatale qu'ils ont vue dans Gilda. Pourtant, Rita souffre d'un cruel manque affectif : elle finit par se marier une cinquième – et dernière – fois en 1958 avec le producteur James Hill (1916-2001) : une union qui va encore tourner au fiasco. En effet, John veut que sa femme continue sa carrière et rêve d'être son producteur, tandis que Rita est lassée par le cinéma et veut une vie de femme ordinaire avec un mari ordinaire, loin des caméras et des paillettes. L'alcoolisme de John Hill n'arrange en rien les choses : le couple finit par divorcer au bout d'à peine un an. "Son affection pour moi n'avait rien d'un véritable amour : il me considérait comme une de ses entreprises", déclarera l'actrice en 1968.

La sex-symbol, dépitée par les hommes, ne retombera plus jamais amoureuse : "Toutes ces expériences négatives de vie commune m'ont écœurée. Peut-être que j'ai en moi les germes de cette incapacité à vivre normalement", confiait-elle des années plus tard – sans doute une allusion au traumatisme incestueux subi pendant son enfance. En manque d'amour et vieillissante, elle commence à se réfugier dans l'alcool au début des années 1960. Ses penchants pour la boisson se répercutent hélas sur son physique qui perd peu à peu de son attrait. C'est le début du déclin : Rita ne fait plus battre le cœur des hommes. Elle n'effectue plus que quelques apparitions dans des films à l'ambiance sombre comme Le plus grand cirque du monde où elle joue avec John Wayne et Sur la route de Salina, son dernier film tourné en 1970, dans lequel elle tient le rôle d'une mère infortunée et à moitié folle.

Dès le début des années 1960, elle souffre de troubles de la mémoire, et son alcoolisme n'arrange pas les choses. Son comportement et son air hagard inquiètent grandement son entourage qui reste largement perplexe. Rita Hayworth souffre en fait de la maladie d'Alzheimer, un mal alors méconnu par le grand public. Cela explique ses fréquents oublis et ses difficultés sur les plateaux de tournage. Sa carrière est donc au plus bas : Georges Lautner racontera plus tard qu'elle passait ses journées assise près du téléphone, un verre en main, attendant que quelqu'un l'appelle même pour un rôle secondaire. Le tournage de son dernier film, Sur la route de Salina, est un véritable supplice pour elle et pour l'ensemble de l'équipe : elle oublie sans cesse les répliques et le tournage s'enlise. A la sortie du film, elle décide finalement de mettre un terme final à sa carrière cinématographique.

La maladie, l'alcool et les drames de la vie achèveront de la briser. En 1974, elle perd ses deux frères (à deux semaines d'intervalle) ce qui lui cause une profonde affliction et la plonge encore plus dans l'enfer de la boisson. Ses apparitions publiques se font de plus en plus rares à mesure que la presse, qui la portait jadis aux nues, commence à se moquer d'elle, attribuant à une démence d'ivrognesse les troubles qui sont en fait causés par sa maladie. Si Alzheimer finit de tuer l'ancienne icône à petits feux, l'alcool y aide grandement : à cinquante ans, la beauté fatale d'Hollywood est bel et bien fanée. Selon sa biographe Barbara Leaming, ce vieillissement prématuré serait bel et bien du à l'alcool et à la dépression. Le diagnostic tombe enfin en 1981 : elle est atteinte de la maladie d'Alzheimer. En 1983, elle doit être placée sous la tutelle de sa fille Yasmin. Au crépuscule de sa vie, Rita Hayworth redevient, malgré elle, une icône : l'icône de la lutte contre cette maladie méconnue. Elle s'éteint dans son appartement new-yorkais le 14 mai 1987, à l'âge de soixante-huit ans.

Trente-et-un ans après sa mort, Rita Hayworth demeure encore pour tous les cinéphiles une déesse du septième art et l'incarnation d'une beauté gracieuse, dont le nom restera à jamais gravé dans l'histoire comme celui d'une des plus grandes actrices de tous les temps. L'image de la femme fatale, héritée de son plus grand succès, Gilda, lui colle à la peau durant toute sa vie, au point que l'actrice et son héroïne sont presque confondues. Mais, derrière le sourire de la séductrice se cachait une femme vulnérable, maltraitée par la vie et par les hommes. Laissons-lui le mot de la fin : "Les hommes s'endorment avec Gilda et se réveillent avec moi".


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