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Robert Bresson ou un cinéma de la personne

Que serait le cinéma d’aujourd’hui sans le cinéma d’hier. A ce propos, penchons-nous sur l’oeuvre d’un cinéaste qui a marqué par son originalité l’histoire du 7e Art.

Gaumont Les Films Raoul Ploquin

Robert Bresson, né en septembre 1907, fut d’abord peintre et photographe avant de réaliser son premier long métrage Les Anges du péché (1943), sorte de symphonie blanche aux facettes brillantes qui fera l’effet d’une bombe. Le cinéaste est en train de poser la première pierre d’une oeuvre atypique, solitaire, d’une extrême exigence, à l’aide d’une caméra qui, selon lui, ne doit ni fixer, ni reproduire, mais créer. Bresson prône un cinéma libéré des codes narratifs. Ce que je cherche, disait-il, ce n’est pas tant l’expression par les gestes, la parole, la mimique, mais c’est l’expression par le rythme et la composition des images, par la position, la relation et le nombre. La valeur d’une image doit être avant tout une valeur d’échange. (...) Ainsi il y a une image, puis une autre qui ont des valeurs de rapport, c’est-à-dire que ces images sont neutres et que, tout à coup, mises en présence l’une de l’autre, elles vibrent, la vie fait irruption et ce n’est pas tellement la vie de l’histoire, des personnages, c’est la vie du film.

Avec Les dames du bois de Boulogne (1944), son second film, Bresson aborde le thème du mystère de l’être. Sur le visage impassible de ses personnages, rien de voulu, seulement l’énigme particulière à tout être vivant. Le film manifeste le combat d’une volonté humaine, celle d’Hélène qui, devinant que son amant est sur le point de la quitter, propose à Agnès, la fille d’une de ses anciennes amies, de le séduire. Mais Jean tombe si sincérement amoureux de la jeune femme, qu’il lui demande de l’épouser. C’est alors qu’Hélène tient sa vengeance et lui révèle qu’Agnès n’est autre qu’une ancienne danseuse de cabaret. Mais toute la force de rancune qui habite Hélène, interprétée de façon terrifiante par une Maria Casarès glaciale, ne parviendra à séparer le couple... Inspiré de Jacques le fataliste de Diderot et sur des dialogues de Jean Cocteau, ce film marque d’emblée, et au burin, le style du cinéaste, maître de l’épure et du dépouillement, dominé par un souci de rigueur janséniste, où la perfection formelle, le goût du détail, la chaleur ardente couvant sous une cendre fine, s’expriment de la manière la plus innovante.

Le film suivant Le Journal d’un curé de campagne (1950), d’après le roman de Georges Bernanos, va faire rebondir une fois encore le débat sur le cinéma d’auteur. Une adaptation écrite par Aurenche et Bost avait été refusée par l’écrivain, aussi Bresson en prépara-t-il une autre, dépouillée à l’extrême, et donnant la préférence à des décors naturels. Il ne put la soumettre à Bernanos, mort en juillet 48, mais reçut l’aval du critique Albert Béguin et de l’abbé Pézeril, exécuteurs testamentaires du romancier. Le film fut tourné dans un petit village de l’Artois avec, dans le rôle du curé d’Ambricourt, un comédien presque inconnu Claude Laydu et des interprètes débutants, Bresson ne voulant pas renouveler l’expérience tentée avec Maria Casarès qui avait trop marqué son oeuvre précédente de son jeu personnel. Avec ce film, le cinéaste amorce un tournant décisif et va, désormais, poursuivre une quête, qui s’avèrera permanente, dans ses réalisations ultérieures : celle du dépassement de soi.

Corbis Sygma Grâce à ce sujet emprunté à Bernanos, Bresson se consacre à retracer l’itinéraire tragique d’un jeune prêtre, incompris de tous, cheminant vers la sainteté, à l’aide d’images burinées en noir et blanc, au point de rendre sensible la présence de l’invisible et l’intensité des luttes de la vie spirituelle. Son style, qui s’oppose par sa rigueur à celui bouillonnant et fiévreux du romancier catholique, offre le paradoxe d’avoir su, avec une approche différente, coïncider au plus juste à l’oeuvre littéraire. Ce qui dénote son savoir-faire et son sens aigu de la mise en scène. Par la suite, Bresson poussera plus loin encore ses recherches et ses exigences, afin de réaliser un idéal qu’il a résumé ainsi :

Le film est le type de l’oeuvre qui réclame un style et ce style il est bon de l’affirmer jusqu’à la manie. Il faut un auteur, une écriture. L’auteur écrit sur l’écran, s’exprime au moyen de plans photographiques de durées variables, d’angles de prises de vue variables. Un choix s’impose, dicté par les calculs ou l’instinct, et non par le hasard.

Le journal d’un curé de campagne
ne marque pas moins une étape importante dans sa conception de la mise en scène et le rapport entre l’écriture filmique et l’écriture romanesque. Les jurés le reconnurent qui lui attribuèrent le Prix Louis-Delluc, couronnant la modernité, l’originalité dont témoignait cette adaptation d’un grand livre nourri d’une foi profonde, toute intérieure et condensée en la personne de ce jeune curé. Mais la foi est-elle donnée ? La question était du moins posée avec une ferveur peu commune.

Six ans plus tard, Bresson tourne Un condamné à mort s’est échappé (1956), d’après une histoire réelle, celle d’un résistant arrêté par la gestapo en 1943, enfermé au Fort de Montluc dont il parvient à s’échapper. Le cinéaste s’attarde à montrer la réalité quotidienne d’une prison sous l’Occupation allemande et le combat solitaire et spirituel d’un homme, parvenant à surmonter sa détresse et à sortir triomphant des circonstances matérielles et humaines les plus cruelles, grâce à sa force intérieure. Les images, relayées par un monologue prononcé d’une voix blanche, nous mettent en présence intime du héros, admirablement habité par un étudiant en philosophie François Leterrier, qui assume le personnage avec une conviction bouleversante. Ce film reçut le prix de la meilleure mise en scène au Festival de Cannes 1957. Il connut un grand succès dû, pour une part, à son sujet et aux souvenirs encore très présents, chez les Français, de l’Occupation et de la Résistance. Mais aussi pour l’art personnel du cinéaste qui, dans un décor aussi neutre, rythmant l’écoulement du temps par le commentaire intérieur, parvint à recréer l’atmosphère d’une époque.

Curieusement, cette économie choisie par l’auteur ne nuit nullement à l’émotion suscitée par sa filmographie, qui place l’homme et son drame personnel au centre de ses réalisations, et dont les préoccupations religieuses ne sont pas absentes, mais dont l’humanisme et l’attention à l’autre sont si profondément sincères que l’on ne peut, en aucun cas, mettre en doute leur authenticité. Bressson a abordé d’une façon quasi universelle le problème du bien et du mal, la puissance de l’amour, le don de soi, ce qui semblerait un retour vers le passé et l’est probablement. Mais c’est bien ainsi que Bresson s’est posé comme un artiste de son temps.

Viendront des films comme Le Vent souffle où il veut (1956), Pickpocket (1959), Le procès de Jeanne d’Arc (1962), Au hasard Balthazar (1966), Mouchette (1967), et en 1969 Une femme douce avec, à nouveau, une débutante Dominique Sanda, puis Les quatre nuits d’un rêveur (1971) qui transpose, dans le Paris contemporain, une nouvelle de Dostoïevski. Avec Lancelot du lac (1974), Bresson reprend le thème des Chevaliers de la Table ronde, mais l’épopée est empreinte de nostalgie, car Lancelot échoue dans sa quête du Graal. Avec Le diable probablement (1977), le cinéaste aborde les problèmes les plus actuels, ceux de la pollution, de la drogue et ce qu’il estime être le vertige suicidaire de notre civilisation, la perte de toute foi. Bien qu’octogénaire, il rééditera cette sorte de réquisitoire en produisant en 1982 un dernier long métrage qui semble résumer l’ensemble d’une oeuvre visionnaire, en présentant à Cannes L’Argent, film qui stigmatise " cette civilisation de masse où bientôt l’individu n’existera plus, cette immense entreprise de démolition où nous périrons par où nous avons cru vivre".

La Nouvelle Vague se réclamera de ce cinéaste inspiré et Marguerite Duras lui rendra hommage en assurant : " Pickpocket, Au hasard Balthazar pourraient être à eux seuls le cinéma en entier". En effet, Bresson fait partie du petit nombre de ceux qui ont apporté au cinéma une dimension essentielle, " une méthode où la maîtrise de toutes les étapes du film n’empêche jamais le metteur en scène de rester à l’écoute du hasard, de l’aléa qui seul pourra doter le film de sa part de réel" - dira le critique Philippe Arnaud. En treize films et en quarante ans de métier, Bresson n’aura, en définitive, tourné qu’un seul et même sujet, comme la plupart des grands créateurs : la quête de notre dimension supérieure. Sa passion de l’âme n’aura eu d’égale que celle du caractère dont tous ses personnages font preuve, embarqués qu’ils sont les uns et les autres, au sens pascalien, entre le pari et la Providence. D’où la tension et l’enjeu qui en résultent : comment communiquer ce qui relève de l’esprit par ce qui relève de la perception, questionnera l’une de ses interprète Florence Delay ? En ne filmant que ce dont on a absolument besoin...


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2 réactions à cet article    


  • sisyphe sisyphe 14 juin 2008 18:09

    Article bien fait sur un grand réalisateur : merci.


    • Adama Adama 14 juin 2008 18:15

      "L’argent " est sans doute le film qui m’a fait la plus grande impression lors de sa sortie, près d’un quart de siècle après je me souviens de la scène de la hache et des gouttes de sang sur le mur, tout cela dans un silence monastique, superbe grandiose !

      Merci pour votre article du grand très grand Bresson.

      Bien à vous.

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