Une parcelle de terrain écossaise vient d’être récemment mise en vente pour 200.000 €. Non, ce n’est pas la proximité du lac du Loch Ness qui a éveillé l’intérêt du
journal The Observer. Mais bien le fait que, durant le début du siècle dernier, ce terrain ait appartenu à l’une des âmes les plus sombres que l’humanité ait pu engendrer,
Aleister Crowley.
Outre le fait d’avoir été membre de plusieurs groupes occultistes tels que la Golden Dawn et l’Ordo Templi Orientis, Aleister Crowley est surtout connu pour avoir été l’auteur en 1904 du Book of the Law, le « Livre de la Loi », que l’on pourrait résumer en une phrase : Fais ce que tu veux sera le tout de la Loi [1]. Cette doctrine simpliste et ultralibérale sera la source d’inspiration de A.S. LaVey, fondateur de l’Église de Satan en 1966, pour écrire la Bible Satanique. A partir de cette même époque, Aleister Crowley bénéficiera d’une aura toute particulière au sein de la musique rock, il est vrai que sa loi à tout pour séduire la jeunesse hippie en quête d’expérimentations diverses… Certaines idoles de ces jeunes afficheront publiquement leur allégeance envers le maitre occulte Crowley, d’autres auront des liens plus ténus mais néanmoins bien réels.
Les plus célèbres de leur temps furent les Beatles (plus populaires que Jésus selon Lennon). En 1967, ils repoussèrent les limites de la créativité musicale avec l’un de leur album majeur, Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band. La pochette de l’album possède la particularité de regrouper les personnalités qui ont marqué les musiciens, Aleister Crowley y figure en bonne place… [2]
La même année, les
Rolling Stones ne rencontrèrent point le succès escompté avec l’album
Their Satanic Majesties Request mais se reprirent de fort belle manière un an plus tard via
Beggars Banquet qui débutait par le tube intemporel
Sympathy for the Devil. Mais c’est en 1969 que
Mick Jagger nous laissera le lien le plus pertinent avec A. Crowley. En effet, il composa gratuitement la musique hypnotique du
court-métrage Invocation of My Demon Brother réalisé par Keneth Anger,
adepte dévoué de Crowley.
Keneth Anger a été remarqué à la fin des années 40 par Jean Cocteau. « Votre œuvre vient de la nuit noire de l’âme » lui écrira-t-il dans une lettre. Deux décennies plus tard, il travaillait sur Lucifer Rising. L’acteur principal, dans le rôle de Lucifer, était un guitariste talentueux nommé Bobby Beausoleil. Ce guitariste faisait partie du line-up original des Grass Roots, groupe qui deviendra par la suite, mais sans Beausoleil, le fameux Love d’Arthur Lee.
Suite à un conflit avec le réalisateur, Bobby Beausoleil dérobera les bandes du film où il apparaissait et se fera ensuite surtout remarquer en assassinant un individu pour le compte de « la famille » de Charles Manson dont Bobby faisait partie. « La famille » marquera surtout l’histoire en 1969 par un autre acte sanguinaire : le meurtre de l’épouse de Roman Polanski, alors enceinte, ainsi que de ses 4 malheureux invités de la soirée. Neil Young s’est inspiré de cette tragédie pour la composition de son Revolution Blues sur l’album On the Beach. Neil Young connaissait bien Manson, déclarant même qu’il avait un certain talent musical et qu’il aurait très bien pu faire une belle carrière s’il avait été mieux entouré.
Mais revenons à Keneth Anger et son
Lucifer Rising, projet qui fût un temps abandonné suite à la disparition d’une partie des rushs pour ensuite renaitre de ses cendres en 1972, avec cette fois comme guess star, la chanteuse
Marianne Faithfull (ex-compagne de Mick Jagger) qui était à l’époque en pause carrière en raison de son addiction aux drogues dures. La musique finalement retenue pour le film fût réalisée par Bobby Beausoleil durant la fin des années 70 et ce, depuis sa cellule en prison. Cependant, dès 1973, un autre guitariste s’était
également attelé à la tâche : le célèbre
Jimmy Page du goupe
Led Zeppelin.
Avec Jimmy Page, nul doute, nous avons affaire à un véritable adepte de la doctrine d’Aleister Crowley puisqu’il fera l’acquisition de la maison Boleskine, l’ancienne propriété de Crowley dont une parcelle de terrain est actuellement en vente. Pour preuve que ce n’était pas une simple lubie de rock star, il en restera le propriétaire pendant plus de 10 ans. Et puis, il y a également l’ « étrange particularité » de
Stairway to Heaven, chanson emblématique des
Led Zeppelin. En effet, lorsque cette dernière est
passée à l’envers, de curieuses paroles deviendraient audibles :
“Oh here’s to my sweet Satan.
The one whose little path would make me sad,
whose power is Satan.
He will give those with him 6 6 6.[…]”
Info ou intox ? Libre à vous d’en juger en écoutant l’une des nombreuses versions que l’on peut trouver sur internet mais force est de constater que nous sommes dans le domaine du plausible. La technique se nomme le « backmasking » et ce sont les incontournables Beatles qui en furent les précurseurs dès 1966, avec la chanson Rain.
L’un des artistes ayant le plus utilisé cette technique n’est autre que le fantasque
Ozzy Osbourne, le chanteur initial des
Black Sabbath. La chanson
Pictures of Matchstick Men en est un
bel exemple. Ozzy possède un penchant certain pour l’occultisme si bien que sur son premier album solo –
Blizzard of Ozz sorti en 1980 – figure
une chanson au titre évocateur :
Mr. Crowley.
Pour finir cette liste non hexaustive, citons deux exemples plus contemporains avec Marilyn Manson et les Red Hot Chili Peppers. Le premier, dont le nom provient de l’assemblage de Marilyn Monroe et de Charles Manson, possède une fascination pour Crowley selon G. Baddeley, le journaliste de la BBC spécialisé dans l’occultisme [3]. Les seconds ont appelé leur pièce maîtresse Blood Sugar Sex Magik où le k de magik, en lieu et place du c, est une probable référence au terme Magick employé abondamment par Crowley dans ses écrits. De manière moins ambiguë cette fois, leur guitariste John Frusciante s’est inspiré des textes de Crowley pour plusieurs de ses chansons sur l’album solo Inside Of Emptiness.
Par ces nombreux liens exposés ci-avant, il apparaît que l’œuvre d’Aleister Crowley est une influence indédiable pour bon nombre d’artistes issus du milieu rock. Il est donc fort à parier que ce terrain récemment mis en vente éveillera l’intérêt de nombreux candidats acheteurs. Et pour les lecteurs qui soudainement auraient l’envie de détruire leur collection musicale, gardez tout de même à l’esprit ceci :
« I know it’s only rock ’n roll but I like it »
[1] « Do what thou wilt shall be the whole of the Law » (AL I:40 - Book of the Law / Liber AL vel Legis).
[2] Il est à noter que Robert Fraser ainsi que Peter Blake, respectivement directeur artistique et auteur de la couverture de l’album, ont également placé des personnalités qu’ils admiraient sur celle-ci. Qui a choisi Crowley ? Si ce n’est pas l’un des membres des Beatles, nul doute qu’ils étaient un minimum informés sur la personnalité de cet homme…
[3] Dissecting Marilyn Manson / L’Antéchrist Superstar - Gavin Baddeley (Plexus, 2000).