Sous les comètes de la destinée
- Kantaro et la Danseuse Étoile -
Elle est danseuse, comme mère et grand-mère. Lui est peintre, comme l’étaient père et grand-père. Elle est souple comme un chat de gouttière. Lui, a plutôt un profil de Père Noël. Quand il n'est pas reclus dans son atelier, à scruter les réactifs chimiques de ses métaux, il aime chiner des matériaux dans les marchés aux puces.
Belle et rebelle, elle aime répéter ses numéros de danse sur les toitures cuivrées de l'opéra Garnier ! Quel point commun entre les deux ? Apparemment aucun et pourtant... écoutons les comètes commencer nos équations terrestres par des : "il était une fois".
Il était une fois un artiste chineur qui ; un beau jour, voit débouler une camionnette remplie de matériaux de récupération. Les ouvriers déchargent les grandes plaques pliées qui affleuraient du toit du véhicule. Bonnes pour la casse ces taules ! Pour l'artiste, c'est une véritable révélation ! Il les récupère, les déplie, leur fabrique des armatures de bois. En réalité, depuis toujours, Kantaro est à la recherche d'un espace esthétique. C'est auprès de son maître le cubain Agustín Cárdenas (1927-2001) qu'il entre dans la maîtrise de son art. Sur les couvertures de cuivre, il observe les taches d'oxydation et les plis du métal. Les stigmates lui racontent l'histoire des pluies diluviennes, des neiges fondues, des pigeons, des morsures du soleil ; peut-être la marque de soudures de quelques ouvriers couvreurs. Mais des petits pas de fée ? - ça, il n'y avait pas pensé !..
Des signes du destin, Kantaro en a déjà reçu ! Comme ce jour où, invité au festival international de peinture de Cagne-sur-Mer, il expose dans le château qui surplombe la ville balnéaire. Il déballe son triptyque dont les dimensions correspondent parfaitement à l'armature d'exposition ; un miracle ! Il gagne le troisième prix du concours. Thème récurrent chez Kantaro : la recherche des éléments constitutifs du cosmos. Comme Gérard de Nerval, il adresse une supplique au créateur :
"O toi dont le pouvoir remplit l'immensité,
Suprême ordonnateur de ces célestes sphères
Dont j'ai voulu jadis, en ma témérité,
Calculer les rapports et sonder les mystères.."
- Kantaro dans son atelier-realité
Sa première rencontre avec l'art contemporain remonte à ses huit ou neuf ans... Il se souvient : "A mon arrivée en France, une œuvre trônait au milieu de l'esplanade du boulevard Edgar Quinet : des matelas enroulés. L'artiste, Marta Minujin, une compatriote argentine, s'est mise à brûler ses matelas devant le quidam stoïque". Pour Kantaro, ce genre d'« happening installation » devient une sorte de garde fou esthétique, une posture, quand le style classique dans lequel excellaient ses parents, représente une autre limite. Toute sa vie, Kantaro recherche en réalité une route située entre tradition conservatrice et modernité dégeantée.
Un autre jour, l'artiste rencontre la Belle Mélusine qui dansait sur les plaques de cuivre de l'Opéra... rencontre statistiquement proche du zéro, mais les comètes de la destinée n'ont que faire des statistiques ! Ils ont tant de choses à se dire ! Le monde leur appartient, mais ils croient, eux, qu'ils appartiennent au monde. Pour Kantaro, observateur patenté des coïncidences célestes, l'avenir n'est pas très rose. Peu optimiste sur la conflit au Proche-Orient, ses augures le conduisent dans la conviction que "la troisième guerre mondiale a déjà commencé". Dans ce contexte, l'atelier du créateur est - plus que jamais - le véritable "centre de gravité" où il convient de travailler "comme si c'était le dernier jour... Méditatif, appliqué, l'amateur éclairé en astrologie Kantaro compose des éphémérides. En fait, les comètes et les planètes n'ont guère de secret pour lui ! Expert en « projets farfelus et peu pratiques », il travaille durant dix années pour la société Lavigne à Boulogne-Billancourt à l'illustration de calendriers, puis pour une société de bouteilles de vin et encore pour un fabriquant de boites de chocolat. Mais pas de salaire fixe, Kantaro travaille tout autant à la tache qu'à la tâche.
- Belle et rebelle Géraldine Hilaire.
De son côté, la danseuse-étoile voltige d'une piste de danse à une autre, d'un spectacle pour enfants à un autre, au rythme effréné de la vie parisienne. Au milieu des combines et des lobbies, difficile de se frayer une place. Avec plus de quatre cent spectacles à l'affiche dans la Capitale, la concurrence est rude ! Quans la danseuse étoile reconnaît les plaques de cuivre, sa première piste de danse, pensive, elle se souvient : « Un soir, je sortais de scène, toute seule. Je montais sur le toit de l'Opéra. En bas, le monde ressemblait à une ruche. En haut, on domine tout. Parfois, les danseurs de l'Opéra montent sur le toit pour faire la fête ! ». Puis, elle scrute, perplexe, les penattes de l'atelier avant d'entamer quelques pas de danse. L'art de Kantaro à base de métaux rouillés et de jus d'agrumes la subjugue. L'écoute des titres des œuvres empilées dans l'atelier : "Premier Jour", "Casa Verde" et plus encore cette toile où sont disposées des pièces de monnaie aspergées de jus de citron !
¡ Mira los colores ! s'écrit le Père Noël argentin. Le citron produit de l'oxydation verte ; le choux-rouge produit du bleu, quand la betterave, une couleur rose pâle. Dans son atelier rempli d'œuvres empilées, Kantaro sort mille anecdotes de sa hotte de Père Noël. Comme ce jour où, dans l'Altiplena de la Cordillère des Andes, il rencontre un chamane qui lui fait goûter à un psychotrope. En posant le liquide sur le bout de sa langue, le monde se met à se diffracter en multiples facettes ; une confirmation dans sa conception géométrique du monde. Il aime retrouver les équations premières en composant des frises à l'aide d'objets sériels, pièces de monnaie et autres poinçons de métal.
L'art de chiner de vieux objets ne date pas d'hier. Kantaro se souvient de ce jour où il récupère de vieilles chaussures abandonnées sur un terrain vague. Il rentre chez lui et compose, sur le mur de sa chambre, une crucifixion. Entre chinages, pièces de monnaie, recette aux citrons et jus de choux-rouge, son lieu de résidence ressemble plus à un labo qu'à un atelier de peintre. A moins de voir le monde entier comme un grand « atelier ». Dans ce cas, remarquons que le terme « atelier » se compose des mêmes lettres que le terme « réalité » ! Kantaro connaît le monde des anagrammes. Pour lui, le monde est un anagramme à déchiffrer, quand, pour Géraldine Hilaire, il serait plutôt une piste de danse ! Monde-anagramme ou piste-monde pour échapper un instant à l'immonde-monde, que nous importe tous les Macrons de la terre tant que les comètes de la destinée continuent de passer au-dessus des toits, si bleus, si calmes !
contacts : [email protected].
La danseuse Étoile, Géraldine Hilaire : [email protected] aussi appelée @melusine77 sur Linktr.ee
- Une des cinq plaques de cuivre récupérées sur le toit de l’Opéra Garnier
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