Textes rares choisis par Caroline Rainette
Compagnie Étincelle
L'aigle à deux têtes de Jean Cocteau m e s scénographie Caroline Rainette avec Caroline Rainette, Lennie Coindeaux, Bruno Aumand, Saâdia Courtillat, Paul Faroudja, Daniel Schöpfer, Le verbe fou à 21h30
Les galets de la mer de Caroline Rainette d'après l’œuvre de Louise Akermann, mise en scène et scénographie de Caroline Rainette avec Denise Aron-Schöpfer, Saâdia Courtillat, Caroline Rainette avec les voix de Anne-France Lheureux et Bruno Aumand Au théâtre de l'Amour à 10h45

L'aigle à deux têtes Écrite pendant l'occupation (1943), cette pièce a eu un succès en dents de scie. Tout d'abord encensée à sa création en 1946. Cocteau en fit un film l'année suivante. Reprise en 1960, puis en 2005, elle fut démolie par la critique : surannée, trop littéraire, romantisme attardé... Il est vrai que l'action progresse par le texte, par les dires des protagonistes. Caroline Rainette a actualisé le texte, si on me permet cette expression venue de l'informatique. Elle a débarrassé la pièce de « fioritures », abandonné certains thèmes, la virginité de la reine, la différence d'âge avec Stanislas... Le texte est concentré sur les intrigues de cour, sur le jeu politicien (qui est nommé politique par Cocteau) des relations de pouvoir à l'intérieur d'un même bord. Je ne sais pas comment aurait pu paraître le texte complet, initial, mais je sais bien qu'elle a réussi ce qu'elle voulait faire, et que la vie de la reine est cernée par ces histoires internes.
L'aigle à deux têtes est l'histoire d'un coup de foudre. La reine est très inadaptée à son rôle de reine. Elle vit dans le deuil morbide de son époux, prend des repas imaginairement en tête-à-tête avec lui et surtout, grave problème politique se tient loin de la cour. Elle ne tient pas son rôle auprès du peuple. Sa clairvoyance politicienne sur les manières de la cour, son cynisme qui confine à un dégoût de la vie en font un personnage inédit de force, de logique, de froideur. La vision qu'elle a de la vie ne l'incite pas à aimer les gens : elle préfère la nature, l'orage, le cheval... Aussi, quand un anarchiste escalade le mur et entre dans sa chambre, elle n'a aucune frayeur, elle réconforte presque le jeune homme, hébété par cet accueil et par cette femme : s'il est là, c'est parce que le chef de la police a bien voulu le laisser faire. Lui, l'anarchiste qui veut n'avoir ni Dieu ni maître est assujetti sans s'en rendre compte à ce personnage de l’État qui est pleinement dans son rôle institutionnel, qui avance vers son but (ramener la reine à la cour semble-t-il) avec ruses et détermination. L'amour entre la reine anarchiste et l'anarchiste vite oublieux de sa cause sera intense et tournera court.
La distribution est excellente et égale. Caroline Rainette qui met en scène et joue la reine emporte tout le monde, dans un rôle qui a l'air fait pour elle. Elle est magnifique de solitude revendiquée et acide pour elle et pour son entourage, pleine d'énergie fougueuse, et qui a l'air de ne jamais voir son reproche. La désuétude du texte ne m'est pas franchement apparue.
Caroline Rainette recherche des grands textes aux personnages féminins forts. Elle a choisi d'écrire une pièce sur Louise Ackermann, poétesse romantique injustement oubliée :
Les Galets de la mer sont un beau portrait de la poétesse, édité aux Éditions Étincelles. Elle est honorée par trois comédiennes de la Compagnie, incarnant Louise jeune, Louise âgée et la Nature, personnage allégorique. Louise Ackermann est très près de la nature. Elle habite, à la fin de sa vie, dans une maison, seule et sans domestique, au bout d'un chemin grimpant et mal dégrossi, elle veut éviter les visites. Denise Aron-Schröpfer nous parle droit au cœur, elle raconte la vie de Louise Ackermann, son enfance, son goût prononcé pour l'observation solitaire de la nature, des cafards ou de je ne sais plus quelle petite bête mal-aimée dans le genre. Louise jeune et la Nature se cachent derrière des paravents créés par Caroline Rainette et viennent ponctuer de leurs réflexions certains moments du récit. Les vers arriveront plus tard. Louise Ackermann est d'une grande sensibilité, dans un désespoir doux et profond, sans remède, hormis l'écriture qui dit cette souffrance à voix basse mais claire, avec discrétion et une grande franchise. C'est une œuvre d'une grande qualité philosophique. Elle sait bien, me semble-t-il ce qu'elle pense et ce qu'elle a à dire. La pièce est une sorte de rêve bilan qui nous la fait connaître. Hormis une voix d'homme enregistrée, il n'y a que des femmes dans ce spectacle ; les musiques romantiques sont aussi signées par des compositrices Clara Schumann et Louise Farrenc.
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