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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > « The Informant ! » : du cinéma d’ascenseur !

« The Informant ! » : du cinéma d’ascenseur !

The Informant ! (USA, 2009, S. Soderbergh) est inspiré d’une histoire vraie, celle de Mark Whitacre : un cadre supérieur du géant agro-alimentaire Archer Daniels Midlands (ADM) qui joue les taupes au sein de son entreprise en vue de dénoncer ses pratiques illicites, sur fond d’histoires d’espionnage industriel. Afin de fournir des preuves concrètes à des agents du FBI, il se met-lui-même à jouer l’agent secret, avec micro et vidéo. Mais il y a un hic, ce « justicier » zélé, à l’imagination débordante, finit par s’emmêler les pinceaux. Et ses mensonges – on comprend assez vite que c’est lui l’embrouilleur – vont finir par lui jouer des tours...
 
Marre de l’easy filming de Soderbergh, aussi lisse que son crâne glabre ! Easy filming (ou filmage sans conséquence) est à double tranchant : le positif côtoie le négatif. Il y a de l’easy filming que j’apprécie chez Sofia Coppola par exemple, et même parfois chez Soderbergh. Une certaine légèreté pop. Une fraîcheur printanière, comme un battement d’ailes de papillons multicolores. Concernant l’easy filming de Soderbergh, en référence bien sûr à l’easy listening ou « musique d’ascenseur », c’est à la fois une façon de concevoir les films et un mode de filmage. Il avance vite. Il enchaîne les films (vingt en vingt ans !). En aucun cas dans une espèce d’expressionnisme (mettre son moi ardent sur l’écran), Soderbergh maintient le cinéma à distance. Il a du métier. Il filme comme il pisse. Ça coule de source. Enchaînant les plans. Enchaînant les genres, tel un éclectique ou un touche-à-tout, et les films, comme des perles, ou des bouses. C’est attirant comme posture. Faire plusieurs choses en même temps ; se donner, mais pas trop ; être dans le pas de retrait ; cultiver le léger, afin d’éviter la lourdeur de l’ego surdimensionné. L’easy filming a à voir avec le storytelling filmique. On maîtrise la langue du cinéma, et ses propres effets, qu’on ressert à satiété. Séduction du ruban filmique qui s’enroule telle une vague en tube qu’aiment tant les surfeurs. Le film, formellement, glisse. Musique d’ascenseur, arienne ou guillerette, qui va avec. C’est aisé, c’est virtuose, c’est malin, c’est roublard : un peu dans le coup de coude complice avec le spectateur-ami et à fond dans le postmoderne qui se veut avoir tout vu, tout connu, tout raconté. Pour le meilleur, c’est glamour, séduisant, stylé, comme Hors d’atteinte. Planant comme L’Anglais ou Solaris.
 
Pour le pire (et là c’est bien sûr le négatif de l’easy filming), c’est du virtuose sous vide, du pulp film aussitôt vu, aussitôt oublié. Film-surf. On filme à la va-vite, mais rien ne passe vraiment avec le film. On filme un homme, ou un intérieur marronnasse, mais on pourrait filmer de la même façon une chambre à air ou un lièvre de Patagonie. Qu’importe. C’est sans conséquence. On sent la roublardise, le contentement de soi, la facilité. L’easy filming donne à voir un film-produit qui serait comme un texte ou une lecture, enchaînant les phrases et les mots, sans grand intérêt ni enjeu. On lit mais on ne retient rien. On suit l’action à l’écran, mais on pourrait s’absenter de la salle : le film n’a pas besoin de nous pour se passer, il file, droit comme un « ! ». Sans expression, le film glisse comme l’eau savonneuse sur la peau. C’est Ocean’s 11. Ocean’s 12. Ocean’s 13. Che 1, ou… 36. Et la plupart des Soderbergh. Y compris le dernier, bien mauvais, The Informant !. Du 1 sur 5 pour moi – et encore heureux que Matt Damon, excellent là-dedans, soit là pour sauver quelque peu les meubles.
 
Alors qu’on pouvait se féliciter à l’avance qu’un « cinéaste roublard » puisse nous faire jouir de sa virtuosité à venir épouser le bluff de son personnage (Matt Damon), on se rend vite compte que son film ne décolle jamais. Aucune vraie interrogation, ou critique, du réel, de la culture de consommation, du système capitaliste et financier. Bref, on n’est pas dans le dépressif, façon L’Adversaire, L’Emploi du temps, voire Un Héros très discret. Et on n’est pas non plus dans la « jouissance de l’entourloupe », qu’un Spielberg, fin limier, arrivait à nous communiquer avec son Arrête-moi si tu peux, 2003. Pourtant, Soderbergh pompe Spielberg : les teintes mordorées, le rétro, l’affiche-générique à la Saul Bass, les fringues vintage, « l’histoire vraie », la trame (un imposteur d’exception traqué par un agent du FBI), les surexpositions qui se font faux-semblants façon le chef-op Janusz Kaminski, mais son film, ennuyeux*, par moments incompréhensible, ne prend jamais.
 
The Informant  ! ne tient pas la promesse, et le panache, de son point d’exclamation. Vu - et pas désagréable d’ailleurs à voir - mais consommé (il ne mérite pas plus, film-kleenex oblige) pour finir aux oubliettes. Pourtant, au départ, un roublard chez un autre roublard (Soderbergh installé dans l’intérieur Formica d’un Amerloque moyen bedonnant, Mark Whitacre, cadre d’une multinationale de l’agro-industrie), j’y croyais, ça aurait pu faire mise en abyme, miroir dans le miroir, miroitement fascinant de l’escroquerie sans fin, du sur-mensonge, mais ça n’accroche pas. C’est sans conséquence. Bref, quel film d’ascenseur cet Informant ! Et quel ennui ! Steven Soderbergh, ou SS, pour Sous-Spielberg !? Faudrait que je le revoie, mais le Spielberg en question (Catch me if you can, donc), racontant avec maestria et désinvolture, « l’histoire vraie d’un véritable imposteur », m’avait fait l’effet d’un film euphorisant parce que dynamique, joueur, charmant et pétillant comme du champagne. A côté, le Soderbergh fait Champomy ou Canada Dry. Sans brio ni Brillo warholien. Et toc !
 
* J’ai vu pas mal de personnes sortir de la salle UGC-les-Halles au bout de trois quarts d’heure.

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2 réactions à cet article    


  • morice morice 7 octobre 2009 10:32

    ça devient chronique comme écriture, un tic, une manie :


     « Il y a de l’easy filming que j’apprécie chez Sofia Coppola par exemple, et même parfois chez Soderbergh. Une certaine légèreté pop. Une fraîcheur printanière, comme un battement d’ailes de papillons multicolores. »

    pourquoi employer un terme anglais pour parler de relâchement ? de manque de sérieux ? de légèreté, tout simplement ?

    • Francis, agnotologue JL 7 octobre 2009 13:54

      Assez d’accord avec cette analyse, mais je trouve que c’est beaucoup de mots pour le dire.  smiley

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