Théâtre de femmes de l’Ancien Régime : les enjeux de l’édition
Pour la première fois en France, une anthologie réunit une cinquantaine de pièces écrites par des femmes dramaturges entre le XVIe et le début du XIXe siècle… Retour sur les enjeux de cette aventure éditoriale… Et place aux premières Amazones du théâtre, décidées à braver l’interdit traditionnel d’un genre dit « mâle », pour accéder à la parole publique, et à l’espace social, artistique et politique que constituait le théâtre de l’Ancien Régime.

- Théâtre de femmes de l’Ancien Régime
- Logo Site
De la prétendue absence des femmes dramaturges dans l’histoire du théâtre…
« – Pourquoi y a-t-il si peu de femmes auteurs dramatiques ? – Comment se fait-il qu’il y ait si peu de femmes auteurs dramatiques alors que les femmes de lettres sont si nombreuses ? – Pourquoi y-a-t-il si peu de femmes auteurs dramatiques, alors qu’il y a tant de femmes qui écrivent des romans ? – Pourquoi les femmes-auteurs n’ont-elles jamais réussi au théâtre ? – Pourquoi les femmes ne se seraient-elles révélées auteurs de pièce qu’à partir du XIXe siècle ? – Que leur manque-t-il donc ? – Pourquoi ? – Comment expliquer cette défection de nos consoeurs dans un genre qui, de prime abord, ne semble pas devoir leur être interdit ? – Qui sait si ce n’est pas par timidité que les femmes n’écrivent pas de pièces ? – Ne peuvent-elles donc construire seules une pièce ?… »
Ces questions sont tirées d’une enquête réalisée au début du XXe siècle par un journal (Le Cri de Paris), qui avait interrogé des personnalités de théâtre de l’époque sur ce prétendu « mystère féminin » : pourquoi si peu de femmes écrivent ou ont écrit pour le théâtre ? À cette même époque pourtant, des pièces de femmes étaient représentées à Paris, un théâtre féministe avait été créé dans la capitale, et surtout, des centaines de femmes dramaturges avaient déjà été jouées et publiées depuis près de quatre siècles… Il n’empêche : en 1924, pour les lecteurs du Cri de Paris, la question de leur inexistence, ou plutôt de leur invisibilité, demeurait.
Ce florilège de « pourquoi » sur la prétendue incapacité des femmes à écrire pour le théâtre résume un certain nombre de débats qui ont traversé les siècles, de nature essentialiste pour la plupart, où s’est répétée inlassablement la même histoire : celle de l’absence supposée de femmes auteurs dramatiques. Pourtant, il suffit de lire les histoires de théâtre du XVIIIe siècle, qui recensent toute la vie théâtrale de l’Ancien Régime, pour savoir que des femmes ont écrit et ont été jouées ; il suffit de lire les rubriques « spectacles » des journaux et revues du XIXe pour découvrir que la production théâtrale de l’époque ne se résume pas à George Sand ; il suffit enfin de parcourir les programmes des théâtres privés et publics tout au long du XXe siècle pour constater que des pièces de femmes sont régulièrement représentée et publiées. Pour donner des chiffres plus précis, rapportons-nous à l’étude de Cécilia Beach réalisée en 1994 et 1996 : une centaine d’autrices sous l’Ancien Régime ; 350 au XIXe ; 1500 tout au long du XXe. Mais les préjugés ont la vie dure… Au point que les meilleures porte-paroles de ce déni d’histoire à la fin du XXe siècle sont les femmes dramaturges elles-mêmes. Pour preuve, les propos de Marguerite Duras écrits, en 1987, dans La Vie matérielle :
Depuis 1900 on n’a pas joué une pièce de femme à la Comédie-Française, ni chez Vilar au T.N.P., ni à l’Odéon, ni à Villeurbanne, ni à la Schaubühne, ni au Piccolo Teatro de Strehler, pas un auteur femme ni un metteur en scène femme. Et puis, Sarraute et moi, nous avons commencé à être jouées chez les Barrault. Alors que George Sand était jouée dans les théâtres de Paris. Ca a duré plus de 70 ans, 80 ans, 90 ans. Aucune pièce de femme à Paris ni peut-être dans toute l’Europe. Je l’ai découvert. On ne me l’avait jamais dit. Pourtant, c’était là autour de nous. Et puis un jour j’ai reçu une lettre de Jean-Louis Barrault me demandant si je voulais bien adapter pour le théâtre ma nouvelle intitulée : Des journées entières dans les arbres. J’ai accepté. L’adaptation a été refusée par la censure. Il a fallu attendre 1965 pour que la pièce soit jouée. Le succès a été grand. Mais aucun critique n’a signalé que c’était la première pièce de théâtre écrite par une femme qui était jouée en France depuis près d’un siècle.
Voici donc résumée, par Marguerite Duras, l’histoire des autrices de théâtre telle qu’elle s’est écrite et transmise au cours de ces dernières décennies : après la naissance avortée d’une George Sand dramaturge, après 90 ans d’abstinence féminine, l’histoire des autrices de théâtre aurait enfin débuté dans les années 60. Libération des femmes, libération du théâtre, la dramaturge fait ses premiers pas… Pour illustrer ce mythe de la « jeune née », qui revient comme un leitmotiv dans l’histoire des autrices de théâtre, citons encore une autre célèbre dramaturge contemporaine, Hélène Cixous, qui déclarait en 1977 dans La Venue à l’écriture :
Tout de moi se liguait pour m’interdire l’écriture : l’Histoire, mon histoire, mon origine, mon genre. Tout ce qui constituait mon moi social et culturel.
De la réelle présence des autrices de théâtre passées, présentes et à venir….
L’histoire telle qu’elle s’est écrite, oui. L’histoire telle qu’elle s’est jouée, non. Une nuance d’importance, qui permet de poser l’histoire des autrices de théâtre en terme de légitimité culturelle pour les femmes d’aujourd’hui. Car elles ne sont pas nées à l’écriture dramatique dans la deuxième moitié du XXe siècle. Les dramaturges contemporaines ne sont pas les pionnières d’un nouveau théâtre qui aurait fait table rase d’une esthétique où « la » femme était interdite d’écriture. Il ne s’agit pas ici de faire procès à cette génération d’écrivaines talentueuses – la question est plus complexe –, mais de pointer ce déni d’histoire qui entoure la figure de l’autrice de théâtre depuis le XIXe siècle, époque où se met en place l’historiographie du théâtre.
Tout comme le terme « autrice » employé ici, la dramaturge n’est pas un « néologisme » théâtral, loin de là : elle a une longue histoire, qui témoigne remarquablement des forces de deshistoricisation à l’œuvre dès que l’on aborde la question des rapports de sexe en général, et l’écriture des femmes en particulier. Et c’est en réponse à ce phénomène et à ce besoin de légitimité, dont rendent aussi compte les témoignages de Duras et de Cixous, qu'est publiée aujourd’hui la première anthologie française du Théâtre de femmes de l’Ancien Régime, auquel un site compagnon est également consacré, présentant les autrices, leurs pièces, des extraits, des ressources bibliographiques, les nouvelles recherches sur le sujet, ainsi que l’actualité théâtrale en cours.
Un retard enfin comblé
Malgré une tentative non aboutie de Billardon de Sauvigny qui, dès 1777, envisagea de publier le théâtre de ses contemporaines et de leurs prédécesseuses dans son Parnasse des dames, il a fallu attendre la toute fin du XXe siècle pour qu’un telle entreprise voit le jour, avec la parution aux États-Unis par Perry Gethner, en 1993 et 2002, de deux volumes consacrés au théâtre des femmes de l’Ancien Régime, couvrant la période 1660-1750, et dont le premier fut traduit en anglais en 1994 sous le titre The Lunatic Lover and Other Plays by French Women of the Seventeenth and Eighteenth Centuries (Portsmouth, Heinemann).
La parution, dix ans plus tard, aux Publications de l’Université de Saint-Étienne, de l’anthologie Théâtre de femmes de l’Ancien Régime vient donc combler un retard évident dans la recherche française, par rapport à l’avancée des études américaines sur le sujet : une initiative à saluer, puisqu’elle permet de rendre accessible au plus grand nombre, dans un format poche, en 5 volumes, tout un pan de la littérature féminine encore peu connu et longtemps ignoré, s’étendant de la Renaissance au début du XIXe siècle.
La parité hommes-femmes dans le spectacle vivant : état des lieux
Les enjeux éditoriaux de cette anthologie dépassent de loin la simple curiosité littéraire. Plusieurs de ces pièces ont été jouées et applaudies à la Comédie-Français et à la Comédie-Italienne : outre leurs qualités littéraires, elles offrent un regard inattendu sur leur époque et un discours souvent subversif sur les rapports de sexe.
Un rapide survol de la production théâtrale française actuelle permet également de replacer ce projet éditorial dans le contexte plus large de l’accès des femmes à l’écriture dramatique : rappelons en effet que la part des pièces écrites par des femmes et représentées sur les scènes parisiennes ces dernières années atteint à peine 20%, et tourne le plus souvent autour de 10 à 12 % sur les principales scènes publiques.
Rendre visible l’histoire des autrices de théâtre, faire découvrir leurs œuvres, jouer leurs pièces fait aussi partie des mécanismes de légitimation des femmes dans la sphère théâtrale et littéraire. Une entreprise qui vient donc soutenir les efforts actuellement menés pour œuvrer à l’égalité hommes/femmes dans le milieu du spectacle vivant (H/F « Saison 1 égalité homme-femme » ; Mission ÉgalitéS)
À la découverte des Thalie et Melpomène de l’Ancien Régime…
Tout d’abord, qui publie-t-on ? Et quelles pièces ?
L'équipe éditoriale a constitué un corpus d’une trentaine d’autrices (27, pour être précis), qui représente près de 30% des femmes dramaturges de l’Ancien Régime connues à ce jour. Il se répartit ainsi :
- 3 autrices pour le XVIe ;
- 5 pour la première période du règne de Louis XIV, 1660-1680 ;
- 6 pour sa fin de règne et le début de la régence, 1690-1716 ;
- 7 pour le règne de Louis XV (des autrices composant entre 1725 et 1770) ;
- 6 pour la fin de l’Ancien Régime, le théâtre révolutionnaire et post-révolutionnaire.
Tout commence avec l’émergence des femmes dramaturges au XVIe siècle, et se termine sur les dernières productions du début du XIXe siècle. Marguerite de Navarre, première autrice de théâtre connue à ce jour, ouvre donc le premier volume, tandis que le cinquième volume prévoit de s’achever en 1811, sous la plume de Mme de Staël-Holstein, l’une des dernières représentantes de la société pré-révolutionnaire, qui s’inspira de l’esthétique théâtrale des Lumières pour expérimenter une dramaturgie moderne et novatrice, qui influença la scène romantique.
Il se dégage de ce corpus une périodisation en cinq volumes qui recoupe à la fois l’histoire politique, l’histoire théâtrale et l’histoire des femmes. Le découpage de cette anthologie permet ainsi d’illustrer la participation des femmes à l’évolution esthétique du théâtre, en faisant apparaître les périodes charnières dans l’évolution des genres dramatiques. Il montre, du même coup, l’interaction constante entre les constructions esthétiques et les constructions de genre au cours de l’histoire. En effet, les autrices se sont souvent emparées des différents registres dramatiques – se pliant à leurs codes ou les retravaillant – en fonction des interdits culturels et des stratégies de légitimation produites par les idéologies de genre. La tribune du théâtre, à travers ses différents modes d’expression, a été également le moyen pour certaines de donner corps et voix à des personnages illustrant leurs propres expériences de la condition féminine et des rapports hommes-femmes à l’époque.
Une cinquantaine de pièces de théâtre à lire, à jouer et à représenter…
Au final, sur l’ensemble de la période, ce sont donc tous les genres dramatiques existants qui sont concernés, à travers une cinquantaine de pièces, qui ne représentent que 13 % de la production féminine recensée à ce jour (Nadeige Bonnifet en 1988 dénombrait 392 pièces de femmes composées sous l’Ancien Régime ). La répartition par genre est la suivante :
- 19 comédies ;
- 6 farces ;
- 8 tragédies ;
- 4 tragi-comédies ;
- 4 drames ;
- 2 pièces bibliques ;
- 4 pièce d’éducations ;
- 2 ensembles de dialogues et proverbes ;
- 1 bergerie ;
- 1 comédie-ballet.
L'anthologie propose en moyenne une dizaine de pièces par volume. Une vingtaine a déjà été représentée sur une scène professionnelle de l’Ancien Régime, dont 13 à la Comédie-Française et 3 à la Comédie-Italienne. Le reste du corpus a été joué sur un théâtre de société ou dans le cadre d’une représentation privée. Les critères de sélection ont reposé à la fois sur le succès de ces pièces en leurs temps, sur leur pertinence du point de vue de l’évolution du théâtre en France, et sur l’intérêt qu’elles représentent du point de vue de l’histoire des femmes et du genre.
Une équipe éditoriale internationale
Qui publie ce théâtre ? Une équipe internationale composée d’une vingtaine de personnes. La direction éditoriale se partage entre : Aurore Evain, dramaturge, comédienne, metteuse en scène, et historienne du théâtre des femmes de l’Ancien Régime ; Perry Gethner, professeur à Oklahoma State University, auteur de la première anthologie américaine consacrée aux femmes dramaturges de l’Ancien Régime ; et Henriette Goldwyn, professeure à New York University, spécialiste des autrices de théâtre du XVIIe siècle en France.
Une équipe éditoriale internationale qui rassemble également 16 autres éditrices et éditeurs, dont 90% de femmes, travaillant aux USA (8 personnes, principalement en charge du XVIe-XVIIe), en France (7 personnes, principalement en charge du XVIIIe), au Royaume-Uni, en Irlande, aux Pays-Bas, et en Allemagne. Toutes et tous sont membres de la SIEFAR – Société Internationale pour l’Étude des Femmes de l’Ancien Régime, qui soutient scientifiquement le projet.
En faisant appel aux meilleur-es spécialistes de ces autrices, la direction éditoriale de l’anthologie a donc privilégié une collaboration scientifique internationale. Le retard de la France en ce domaine est en effet manifeste, et on ne peut que s’étonner de la très faible représentation des études sur le genre et l’histoire des femmes dans les cursus universitaires consacrés au théâtre en France. Contrairement aux pays anglo-saxons où les connexions entre women studies et theater studies se sont très vite établies, rien de semblable dans l’Hexagone…
Si l’art dramatique est probablement le lieu le plus propice à une réflexion sur la théâtralité du « gender » et sur ses ressources performatives, les réticences que les institutions universitaires françaises opposent à l’emploi de ce concept restent les plus fortes. La composition de l'équipe éditoriale rend donc compte d’un déséquilibre géographique réel : la majorité des éditrices enseignent à l’étranger, et pour la plupart aux États-Unis.
La répartition par période apporte cependant quelques nuances : la sous-représentation de la France dans l’étude des autrices de théâtre (et des rapports femmes-théâtre en général) s’atténue dès que l’on aborde le siècle des Lumières, et en particulier le théâtre de société (au détriment du théâtre professionnel des femmes, toujours peu connu et rarement étudié). En revanche, la plupart des études portant sur les pièces de femmes du XVIe et presque toutes celles qui concernent la production théâtrale des autrices du XVIIe ont été réalisées par des chercheurs et chercheuses américain-es.
Ce phénomène prend sa source au début du XXe siècle, dans ces années 1920/1930 évoquées en introduction : alors que la France s’interrogeait sur l’absence supposée de femmes dramaturges et que les rares historiens du théâtre s’intéressant aux autrices de l’Ancien Régime dénigraient presque systématiquement leurs œuvres, l’américain Henry Lancaster produisit une Histoire du théâtre français au XVIIe siècle (A History of French Dramatic Literature in the 17th Century, 1929, 9 vol.) mixte, avec un discours objectif sur les dramaturges de l’un et l’autre sexe, en analysant leurs œuvres à la lumière de l’évolution de cet art et non plus à travers le prisme de l’idéologie.
Ce sont donc les héritiers et héritières américain-es de Lancaster qui ont rejoint massivement l’équipe éditoriale de cette anthologie, prouvant plus que jamais l’importance d’une réécriture objective de l’histoire du théâtre. Pour la réaliser, ont été rassemblés autour de ce projet éditorial les savoirs épars de nombreux spécialistes internationaux afin de les rendre accessibles à un public large et diversifié, tant en France qu’à l’étranger.
Une anthologie tout public
À qui s’adresse cette anthologie ? À un public de spécialistes d’abord : des historiens et théoriciens du théâtre, qui n’ont pas connaissance pour la plupart de l’existence de ces autrices et de leurs pièces. Il s’agit ici de réintégrer ces pièces de femmes dans le corpus traditionnel des textes étudiés, puisqu’elles illustrent, autant que celles des hommes, l’évolution du théâtre en France. Pour ce faire, ces textes doivent être accessibles à un public d’étudiants, futurs chercheurs et enseignants.
L’anthologie s’adresse également aux chercheurs et chercheuses en histoire des femmes qui, étant donné le peu de diffusion des recherches sur les femmes de théâtre, n’ont pas les moyens de faire étudier ces textes et d’intégrer les problématiques soulevées dans leurs propres champs de recherche, notamment dans le cadre des études littéraires.
Enfin, et surtout, cette anthologie vise à faire connaître ces pièces aux praticiens et praticiennes, à savoir les metteur-euses en scène, les comédien-nes, les directeur-rices de théâtre et les professeur-es d’art dramatique. Car la « canonisation » des œuvres théâtrales, leur entrée dans le « panthéon littéraire », gage de légitimation et de conservation mémorielle, se construit aussi hors des bancs d’université, dans les cours d’art dramatiques, là ou les apprentis comédiens et les futurs metteurs en scène apprennent et répètent, génération après génération, les mêmes choix de scènes tirées de Molière, Corneille, Racine, Marivaux, Beaumarchais, avec quelques incursions osées du côté d’un Regnard ou d’un Voltaire…
Une édition pédagogique et pratique : du livre à la représentation
Comment publier une anthologie qui puisse s’adresser à ces divers publics ? En faisant des choix éditoriaux adaptés aux objectifs fixés. L’anthologie Théâtre de femmes de l’Ancien Régime fait partie de la collection « La cité des dames », créée et dirigée par Éliane Viennot pour répondre à cette visée pédagogique : elle propose dans un format poche, peu onéreux, des textes de femmes de l’Ancien Régime, édités selon un protocole éditorial accessible à un large public, et accompagnés d’un appareil critique léger mais fiable, permettant une bonne compréhension des textes et de leurs enjeux (introduction substantielle, notes réduites à l’essentiel, glossaire, complément bibliographique, orthographe et ponctuation modernisées).
La direction éditoriale de l’anthologie a choisi d’adapter ce protocole éditorial au genre dramatique, afin de proposer des textes qui puissent être à la fois lus, joués et entendus. Pour exemple, les éditeurs ont choisi de marquer les diérèses et synérèses, ou encore de remplacer certains mots en indiquant la forme originale en note. Une grande attention a été également portée à la ponctuation. Dans le cas des pièces en vers, des choix de modernisation permettant de conserver la structure métrique ont été établis. Le nombre des gloses a surtout été développé afin d’éviter toute erreur d’interprétation de la part des comédiens, leur facilitant ainsi la retransmission du texte auprès du public.
L’une des pièces, Le Favori, comédie de Mme de Villedieu, écrite en 1665, et mise en espace sous la direction d’Aurore Evain, a fait l’objet d’une captation vidéo : destiné à un public universitaire, ce DVD pédagogique, réalisé dans l’esprit des Performance Studies, vient accompagner le texte édité d’un support performatif, permettant de faire découvrir le texte en conditions scéniques, dans un dispositif ludique et théâtral.
En bref, l’équipe éditoriale a opté pour un protocole éditorial permettant aux différents « usagers » de privilégier la compréhension moderne du texte ou, à l’inverse, de respecter le style original de l’autrice, grâce à un « menu éditorial » au choix.
Objectif Mixité
Quant au principe, parfois controversé, d’une anthologie de textes de femmes, les éditeurs rappellent que le but de cette entreprise éditoriale n’est pas de publier un théâtre spécifiquement « féminin », mais de faire connaître ces textes au plus grand nombre afin d’intégrer à l’avenir la mixité dans les corpus de théâtre. Si certains peuvent encore s’étonner que l’on consacre toute une anthologie à des textes de femmes, on peut d’autant plus s’interroger sur le fait que toutes les anthologies de théâtre publiées ces dernières années ne contiennent que des pièces écrites par des hommes…
Le propos n’est donc pas de mettre en lumière une généalogie littéraire strictement féminine, en affirmant la continuité de ces textes entre eux, avec le risque de réduire ces autrices à leur identité féminine. Les cinq volumes du Théâtre de femmes de l’Ancien Régime visent au contraire à privilégier la diversité des parcours, des œuvres et des discours de ces autrices ; éclairer à la fois les conditions de leurs réussites et celles de leurs échecs.
Si certaines ont ainsi revendiqué leur légitimité à écrire pour le théâtre, d’autres au contraire ont préféré l’ombre à la lumière. Mais toutes ont décidé de braver l’interdit traditionnel d’un genre dit « mâle » pour accéder à la parole publique et pour mettre en scène, dans l’espace social et politique que constituait le théâtre de l’Ancien Régime, les rapports de sexe tels qu’elles les voyaient, tels qu’elles les condamnaient, tels qu’elles les espéraient. Et c’est aussi là que réside l’enjeu proprement théâtral de cette anthologie : montrer que le théâtre est un lieu privilégié pour penser et mettre en scène les rapports de sexe, et qu’à ce titre les voix des autrices y ont toute leur place et leur intérêt.
Enfin, si la part des autrices représente seulement 4% de l’ensemble des auteurs dramatiques de l’Ancien Régime, il est vrai que cette anthologie peut relever, au regard de certains, d’une grande excentricité… Mais c’est au nom de cette « ex-centricité » que s’est construit le projet éditorial. Parce que ces autrices de et leurs œuvres sont restées dans le hors-champs littéraire, elles témoignent, pour nous lecteurs et spectateurs d’aujourd’hui, d’une expérience du hors norme, de la périphérie, qui est également au centre de nos préoccupations modernes.
Souhaitons, grâce à la mosaïque de pièces qui charpente cette anthologie, que prenne corps une figure longtemps niée et occultée, celle de l’autrice de théâtre…
Références :
Théâtre de femmes de l’Ancien Régime, dir. Aurore Evain, Perry Gethner, Henriette Goldwyn, 5 volumes, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2006-2013.
- Volume 1, XVIe siècle, paru en 2006, 562 p., 10 €
- Volume 2, XVIIe siècle, paru en 2008, 624 p., 15 €
-
Volume 3, XVIIe-XVIIIe siècle, vient de paraître, déc. 2011, 609 p., 17 €
- Volume 4, XVIIIe siècle, à paraître (2012)
- Volume 5, XVIIIe-XIXe siècle, à paraître (2013)
Site : www.theatredefemmes-ancienregime.org
Contact : [email protected]
3 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON