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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Thoreau, sur la mauvaise vie

Thoreau, sur la mauvaise vie

Henry David Thoreau, le penseur de la Désobéissance civile et de la Vie dans les bois, entre humour balourd et prophétie contemporaine - à un ou deux siècles d'écart à peine. C'est-à-dire que tout était déjà en germe aux origines de l'ère industrielle, certainement, et que rien n'a bien changé : nous avons fait de modernité tradition ... nous sommes des traditionalistes du moderne ... des conservateurs du progrès ... des réactionnaires de l'innovation. Du moins est-ce ainsi que se présentent nos mondes "en grand", du coup, avec le recul.

 
H.D.Thoreau, /la Vie sans principe/, 1863, p.9, éd. Mille et une nuits, a écrit : Penchons-nous sur la façon dont nous menons nos existences.
Ce monde est un lieu d'affaires. Quel remue-ménage incessant ! Je suis réveillé presque chaque nuit par le halètement des locomotives. Il interrompt mes rêves. il n'y a pas de shabbat. Ce serait merveilleux de voir l'humanité goûter pour une fois au temps libre. Ce n'est que travail et travail encore. Ce n'est pas chose facile que d'acheter un cahier vierge pour y consigner ses pensées ; en général leurs lignes servent plutôt à noter des dollars et des cents. Un Irlandais, me voyant prendre des notes dans les champs, estima sans le moindre doute que je calculais mes gages. Qu'un homme soit tombé par une fenêtre quand il était nourrisson, au point de rester infirme à vie, ou bien qu'il ait perdu la raison après que les Indiens lui eurent causé une grande frayeur, on déplorera surtout que son état l'ait rendu inapte à travailler ! Je pense qu'il n'est rien, pas même le crime, de plus opposé à la poésie, à la philosophie, voire à la vie elle-même, que cette incessante activité.
Pour commencer, qu'on me permette d'inventer cette notion de lourdhomme, à l'imitation de bonhomme, car H.D.Thoreau témoigne d'une lourdhomie sans nom. Elle ne va pas m'empêcher de lui reconnaître sa valeur, comme vous allez voir, et quand bien même je le critique aussi là. Mais enfin, remarquez bien l'humour auquel on a affaire :
Ce n'est pas chose facile que d'acheter un cahier vierge pour y consigner ses pensées ; en général leurs lignes servent plutôt à noter des dollars et des cents.
Dans le contexte, en effet, de la culture économiste et génétiquement étasunienne qu'il décrie tout en en étant à sa façon, H.D.Thoreau peut bien ironiser sur l'usage qu'on fait des pages blanches. Toutefois, où l'ironie tourne à l'esprit de pesanteur, c'est lorsqu'il dit que "ce n'est pas chose facile que d'acheter un cahier vierge pour y consigner ses pensées".

Naturellement, on comprend bien que cela fait écho à ses insomnies : là où l'on est réveillé, l'on s'entend moins penser ; par quoi, donc, l'on devrait moins pouvoir écrire ? ... Allons ! *Lol* C'est lourd sur le fond, et cela ne sert jamais qu'une motion par laquelle - subliminalement - notre auteur se pose en héros, lui qui brava "la difficulté" d'acheter un cahier vierge pour y consigner ses pensées ... Mais nous devrions rester bien sages devant ce propos car, après tout, n'attaque-t-il pas ce contre quoi, par la magie de l'ironie, nous devons être d'intelligence avec lui ? ... Passons, encore que cette lourdhomie explique assez bien l'espèce de complotisme et de nationalisme écologiques, dont sa sagesse fait globalement preuve.

Concentrons-nous maintenant sur l'intéressant, à savoir la vie mauvaise selon Thoreau, et dont les livres de comptes font certes partie, dans leur ridicule et absconse minutie :
Ce monde est un lieu d'affaires. Quel remue-ménage incessant ! Je suis réveillé presque chaque nuit par le halètement des locomotives. Il interrompt mes rêves. il n'y a pas de shabbat.
La ridicule et absconse minutie des livres de comptes est évidemment à relier avec cette circulation, car c'est bien cela à quoi s'en prend Thoreau : à la circulation. En quoi il rejoint d'avance - ou plutôt est-ce l'autre qui le rejoint héréditairement - l'anthropologue Marc Augé, qui nous parle de surmodernité, en la définissant par 1° une surabondance événementielle, 2° une surabondance spatiale et 3° une individualisation des références. H.D.Thoreau y était déjà, les USA nous ayant précédés et ayant ouvert la voie En cette Marche !

Plus que cela, dans ces malheureuses lignes citées-là, vous avez condensé le stéréotype de nos films à partir des années noires - stéréotype de la pauvreté. Or, si H.D.Thoreau mena délibérément, dans sa sagesse, une vie de dénuement (consentie, donc), - il appert désormais que les environnements ferroviaires, métropolitains, etc. sont devenus les manifestations vivantes du désarroi thoréen, exprimé à la moitié du XIXème siècle déjà. Désarroi surmoderne pressenti en cette modernité conquérante ...
Un Irlandais, me voyant prendre des notes dans les champs, estima sans le moindre doute que je calculais mes gages. Qu'un homme soit tombé par une fenêtre quand il était nourrisson, au point de rester infirme à vie, ou bien qu'il ait perdu la raison après que les Indiens lui eurent causé une grande frayeur, on déplorera surtout que son état l'ait rendu inapte à travailler ! Je pense qu'il n'est rien, pas même le crime, de plus opposé à la poésie, à la philosophie, voire à la vie elle-même, que cette incessante activité.

Cela se commente-t-il ? ... De H.D.Thoreau à nous, il y a la souffrance au travail, le burn-out, la dépression généralisée, l'absence de reconnaissance, le lucrativisme forcené, la bureaucratisation à consommation dirigée, déshumains (Lupus Maior, si tu nous lis, suis voir ce lien ... ).

Bref : la vie mauvaise, c'est notre vie.

Mal' - LibertéPhilo

 

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