« Un bâtard dans un panier en osier »
There will be Blood : un film retraçant le dilemme d’un self-made man, entre l’ébène des yeux de son fils et la conquête de l’or noir.
Début XXe
siècle en Californie. A force de persévérance et d’acharnement, un homme aux dents
longues parvient enfin à faire jaillir du désert californien, en apparence si
pauvre, le précieux liquide sombre qui causera sa grandeur et sa perdition. Fou
de joie, il lève une main noire, comme ensanglantée, vers le ciel, en signe de
victoire. Un bambin aux boucles blondes se met à brailler un peu plus loin,
installé dans un panier. La vérité sort de la bouche des enfants, dit-on. Instinctivement,
on comprend dès lors que cette découverte n’apportera pas que du bonheur... Il va
y avoir du sang. L’homme qui semble être son père le prend alors dans ses bras
et le marque sur le front avec son pouce enduit de pétrole, comme pour le baptiser
de la nouvelle religion de l’or noir.
Au fil
du temps, l’entreprise de forage se développe. Daniel Plainview et son fils, H. W.,
sillonnent le pays en quête de nouvelles terres à exploiter. La complicité qui
les lie semble très forte, mais l’on s’aperçoit peu à peu que cette relation
extrêmement riche est également complexe et ambiguë, ce que s’octroie à
développer le film, de manière très réussie.
Passées
les joies des premiers succès pétrolifères, on s’aperçoit que Daniel Plainview
est en fait un homme à la psychologie sombre et torturée, ce que la bande son
du film reproduit à merveille grâce au guitariste de Radiohead, Johnny
Greenwood... Il est difficile de dire si
le self-made man voue à son fils un véritable amour ou bien s’il ne fait que se
servir de ce visage d’ange pour amadouer des propriétaires de terres réticents.
Ainsi, lorsque son puits explose, le premier réflexe de Plainview est de courir
comme un forcené pour aller sauver son fils. Mais, une fois celui-ci mis à
l’écart de l’incendie, il ne se préoccupe plus de lui et reste à contempler les
flammes en riant diaboliquement : il sait qu’un véritable océan de pétrole
est sous ses pieds.
Le
pétrolier affiche de plus en plus clairement son côté sombre et machiavélique.
Le film devient alors le révélateur de toute l’horreur comprise dans cet homme,
qui l’amène à glisser dans la misanthropie. Ce n’est pas l’agapè prôné par
l’Eglise d’Eli Sunday (joué par Paul Dano, Little
Miss Sunshine) qui lui sert de philosophie de vie, mais plutôt la haine
envers son prochain... Les hommes ne lui causent que dégoût et dédain, et il
n’hésite pas à supprimer ceux qui n’ont aucune valeur à ses yeux. Que penser
alors de son comportement vis-à-vis de son fils ? L’homme au cœur de
pierre semble faire preuve d’un grand amour pour lui et pourtant il accomplit
l’acte le plus ignoble qui soit pour un parent : abandonner son enfant. Le
fait-il parce qu’il ne supporte pas que son fils, son double, ne soit plus si
parfait, suite à sa surdité causée par l’explosion du forage, ou bien pour
qu’il soit aidé à surmonter son handicap par des professionnels ?
Cette
relation complexe se poursuit lors de leurs retrouvailles. Plainview semble
alors décidé à rattraper le temps perdu, mais dans quel but ? Il semble
soulager sa conscience par ce biais et faire taire les commentaires des autres
sur sa vie. De la même manière qu’avec les terres et les gisements sur lesquels
il règne en maître, l’homme d’affaires ayant soif de pouvoir et de possessions
voulait garder le contrôle de son fils ; il ne supportera pas de le voir
prendre son envol et vouloir créer lui-même sa propre destinée. Alors, comme
s’il avait perdu une partie de sa vie, il renie celui qui n’est devenu qu’un
concurrent pour lui avec une rare violence. Il n’est tout simplement plus son
fils ; il lui avoue avoir été adopté et balaye d’un revers de main et dans
une rasade de whisky toute la relation qu’ils avaient construit ensemble.
« Tu n’es qu’un bâtard dans un panier en osier. »
There will be Blood s’avère donc habile à retranscrire les tiraillements
profonds de cet homme de l’Amérique du début du XXe siècle, mais qui
aurait très bien pu vivre de nos jours : il aurait livré la même bataille
pour être le meilleur et refuser l’échec, quitte à se détruire, aurait été
confronté aux mêmes ambiguïtés de la religion, et aurait à la fois aimé et haï
son fils de la même manière...
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