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Un document exceptionnel : le registre des baptèmes protestants de Badonviller (1567-1624)

Le village de Badonviller en Meurthe et Moselle (code postal : 54540) a produit un registre des baptèmes protestants d'un intérêt exceptionnel à maints égards. Il a été entièrement transcrit, dactylographié et mis en ligne par des passionnés.

D'abord, ce registre nous interessera par son ancienneté, puisqu'il débute en 1567. Ensuite par ses spécificités. Ce n'est pas un registre luthérien d'Alsace (ces registres offrant peu de spécificités : si le seigneur était luthérien, la population l'était aussi, et le registre des baptèmes était tenu comme un registre catholique). C'est un registre tenu en français, qui nous montre la vie et les spécificités de ce que pouvait être la vie d'une ville "de refuge" pour des Huguenots de culture française vivant dans une certaine clandestinité. 

La population dont les baptèmes sont enregistrés n'habite pas toujours Badonviller. Certains habitent même jusqu'à Nancy. On a donc l'impression, sans preuve absolue, que les Huguenots de toute la région dépendaient de Badonviller au moins pour l'état-civil.

Les nobles et leur entourage de serviteurs et d'artisans sont nettement sur-représentés, donnant l'impression qu'ils sont venus de loin se réfugier à Badonviller.

Le Comté de Salm, minuscule, indépendant et habile manoeuvrier

Durant la période qui nous interesse (1567-1620), Badonviller est une bourgade d'une certaine importance et sa vie politique est complexe. C'est la capitale d'un territoire vosgien qui saura s'arranger pour ne dépendre que de l'Empereur germanique (dépendance très théorique), et qui saura ensuite garder son indépendance jusqu'à la Révolution française. Tout le Moyen-Age a retenti des querelles entre les Comtes de Salm et les Abbés de Senones, qui se seraient voulus leurs seigneurs.

Les guerres de religion fourniront l'occasion d'éliminer l'abbaye de Senones du jeu politique local, au prix d'une période où Badonviller aura deux seigneurs, l'un catholique (le Comte de Salm) et l'autre protestant (le Comte dit "Rhingrave"). Alliés contre l'abbaye, les deux co-seigneurs, qui sont d'ailleurs beaux-frères, s'entendent relativement bien, tout en étant plus ou moins indépendants l'un de l'autre, si bien que, sur cette minuscule terre vosgienne de vingt kilomètres sur douze, coexistent un Comté de Salm, puis une principauté de Salm, totalement imbriquées. Cette situation complexe et instable fait l'affaire des Huguenots en quête de refuge.

Le prince de Salm n'est autre que le Comte Rhingrave, qui a obtenu ce titre en 1620 en échange d'une conversion au catholicisme. Cette conversion marque la fin de la tolérance pour la population huguenote, qui doit chercher un autre lieu de refuge, et part pour Sainte-Marie-aux-Mines en y emportant son registre paroissial.

La photographie d'une ville "de refuge"

Le registre est tenu en français, les noms de la population sont français : nous ne sommes donc pas du tout dans le cadre du luthérianisme institutionnel des villages alsaciens. La population est composée en grande partie de réfugiés huguenots.

L'on ne peut que conseiller la lecture de ce document exceptionnel, qui nous entraîne dans l'ambiance d'une petite ville "de refuge" eu temps des guerres de religion. C'est toute une petite population qui se met à vivre sous nos yeux.

A tout seigneur, tout honneur, commençons par parler de la noblesse, d'autant plus qu'elle est vraiment sur-représentée. Que de grands noms, qui vivent sans doute pour certains dans la difficulté, ayant laissé leurs biens derrière eux dans leur fuite ! Ou tout au moins dans la crainte pour ceux qui vivent à proximité et viennent faire baptiser leurs enfants à Badonviller. Car on vient de loin pour faire baptiser un enfant à Badonviller, qui sert ainsi d'épine dorsale à la Réforme et étend son influence sur toute la Lorraine.

Voici François de HARAUCOURT, "seigneur dudit lieu" (on ne nous précise pas de quel lieu il s'agit) ; noble Claude de RUIERES seigneur de Lutricourt ; Françoise femme à Renault de BARIZEY, seigneur de Vandières ; Lucrèce veuve du feu seigneur de BIONCOURT ;Madame de DUEILLY ; Charles d'ASPREMONT, seigneur de Nantueil ; François de la GRAND FAUX ; Anne D'HARRANGES veuve du feu Seigneur de Clamery ; La PLANTE gentilhomme de la maison de Dame de DUEILLY ; Tante Barbe, demeurant en la maison de Madame de DUEILLY ; Gaspard d'ANGLURE, seigneur de Bonnecour ; Noble Artus de VANDRAY, Seigneur de Mony : Mademoisele de NETANCOURT ; ROUGEAU, Sieur de Sordaille ; Noble Mr Des COUSTURES gouverneur au comté de Salm ; Monseigneur le comte Casimir de FENESTRANGE ; Mme Elisabeth, femme au Seigneur Jan de VERDUN ; Marie de MALBERT femme audit Seigneur de CHASTEAU BREHEIM ; Claude FRESNOLE, seigneur de Loppy ; Adolf de BEAUVAU, noble seigneur de Rortel ;

Certaines mentions nous surprennent ; voici "Marthe DOMBALLE femme à George HUGENIN, maître eschevin en la justice de son Excellence De Waudemont" ; "Daniel SAINTE MARIE, Mayeur en la justice de Monseigneur de Waudémont" ; de VAUDEMONT, c'est le Duc de Lorraine en personne, un catholique sans faille qui n'apprécierait sans doute guère que la Réforme se soit infiltrée jusqu'en sa justice.

Outre ces gens d'importance, c'est tout un peuple grand, moyen et petit que fait revivre le registre : chatelains, arquebusiers, capitaines, maîtres de forge, gruyers, orfèvres, drapiers, maçons, serviteurs et servantes, sans oublier le maître des Hautes Œuvres Marx HAUSSER von MESSKIRCH. Quelques personnages que l'on imagine hauts en couleur : le ministre Mathieu de l'AUNOIS"depuis révolté" ; ou Claude MOREL"prestre dissimulé, très meschant qui contrefaisoit le médecin" ;

Les événements dramatiques transparaissent ; le lieu d'origine des immigrés coincide avec les persécutions ; d'autres drames aussi : le 17 novembre 1567, le petit Israël THIEBAULT, de Haraucourt, est baptisé"Sans parreins ni marreines et mesmes hors la ville pour crainte du danger de peste qui estoit pour lors audit lieu d'Haraucourt"

Toute une vie qui transparait à l'occasion de brèves mentions.


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11 réactions à cet article    


  • Betov 23 septembre 2011 09:45

    En haut, je vois, « D’accord avec l’article ? », oui / non...

    Comme en politique,... pas de vote blanc... smiley

    Voyage, voyage.


    • BABAYAYA BABAYAYA 23 septembre 2011 10:51

      Bonjour, que voilà un sujet intéressant et qui nous change des préocupations actuelles, ça fait du bioen de s’aérer un peu avec de l’histoire !


      merci.


      bonne journée

      • eric 23 septembre 2011 12:05

        Nous avons cela aussi dans notre village de l’Isére en plus tardif (18ème). Un tome à la Mairie (on ne sait pas comment il y est arrivé) les autres chez nous, parce que l’ancêtre était pasteur au désert. J’imagine que pour les mêmes raisons, les documents dont vous parlez étaient entre les mains des pasteurs ou anciens qui les trimballaient avec eux au gré de leurs fuites successives.
        Cela expliquerait aussi les formats : dans notre cas, il y a des registres d’actes, mais surtout des sortes de longs rouleaux faciles à transporter.
        Ce sont effectivement des documents très émouvants. Je me souviens avoir regardé un acte de mariage en compagnie d’une dame que je connais depuis toujours, concernant son ancêtre, signé par mon aïeul, avec comme témoins des gens portant des noms qui existent toujours dans le village.
        En même temps, dans tous ces trucs généalogiques, on est toujours au risque de tomber dans de l’autosatisfaction nombrilique. Comme le dit la chanson « esprit qui les fait vivre, anime leurs enfants.... »


        • Catherine Segurane Catherine Segurane 23 septembre 2011 18:21

          Votre message ne me surprend pas. Le Dauphiné a été une importante terre de réforme, même s’il n’a pas gardé le protestantisme dans son identité au même degré que, par exemple, les Cévennes.


          Guillaume Farel, qui a précédé Calvin à Genève, était de Gap.

          Les capitaines Furmeyer, grands guerriers protestants, étaient probablement aussi du coin, puisque Furmeyer est un village des environs de Gap.

          François de Lesdiguières, conseiller très proche de Henri IV, était du coin aussi.

          On trouve également pas mal de gens du Dauphiné mentionnés dans les registres d’assistance aux réfugiés en Suisse, en Allemagne et en Angleterre.


        • eric 23 septembre 2011 12:12

          J’ajoute après avoir lu le registre qu’il est frappant de voir, si peu de temps après la réforme, que l’habitude de choisir des prénoms bibliques, qui s’est maintenue jusqu’à nos jour, était visiblement déjà assez implantée.
          Ah oui et merci pour cet intéressant article !


          • jef88 jef88 23 septembre 2011 15:22

            Quelques remarques pour compléter l’article au demeurant très bien fait

            - la « terre » de Salm faisait plus de 20 km sur 12 : c’est la dimension de la partie senonaise.
            - les abbés de Senones ont pris les comtes de Salm comme voués (protecteurs) vers 1050.
            - des tensions, entre les comtes et les abbés, sont nées vers les années 1200, période à laquelle les comtes ont annexé la zone de Granfontaine prés du Donon, pour y exploiter un gisement de fer.
            - il y eut une guerre à ce sujet vers 1250
            - jusqu’en 1570, les comtes ont maintenu une pression sur l’abbaye marquée par quelques pillages et pressions sur les habitants.
            - en 1570 ils sont devenus les seigneurs temporels de la zone de Senones, suite à un coup d’état.
            - en 1767 le comté (secteur Blamont) a été rattaché à la France . Le secteur Senones est devenu « la principauté de Salm » rattachée à la France en 1793

            la fortune de la famille de Salm est due
            1) aux mines de fer
            2) la location d’un régiment d’infanterie , mercenaires recrutés en Allemagne : « Salm infanterie »
            3) à sa proximité avec la famille de Lorraine....

            bon..... on pourrait en faire quelques bouquins.....


            • Catherine Segurane Catherine Segurane 23 septembre 2011 16:22

              Merci de ces compléments. Pour ceux qui voudraient creuser l’histoire si fascinante de cette minuscule terre vosgienne, voici quelques sites :




              En tous cas, une chose me frappe, c’est la façon dont les seigneurs (Comte de Salm et Rhingrave) naviguent au gré de leurs intérêts entre les factions religieuses.

              Pendant près d’un demi-siècle, nous allons voir Badonviller gouvernée par deux co-seigneurs, l’un catholique et l’autre protestant, dans des conditions tout comptes faits assez harmonieuses, au point qu’en 1598, une velleité de partage se terminera en pseudo-partage ; ceci pourrait nous donner l’illusion réconfortante que la tolérance est toujours possible dès lors que les intérêts économiques convergent. En réalité, pour voir qu’il n’en est rien, l’on rappellera ce qui suit :

              Le 20 mai 1525, lors de la Guerre des Paysans, notre région voit le terrible massacre de Scherviller, qui fait 12000 morts environ, la plupart côté protestant. Les catholiques sont sous la direction non seulement duduc de Lorraine, mais aussi du Comte de SALM de l’époque.

              Si les VAUDEMONT, Ducs de Lorraine, sont des idéologues qui ne changent pas de camp (c’est le parti des Guise et de la Ligue), les co-seigneurs de SALM sont tout aussi dangereux mais dans un autre genre. La mort est leur métier. Ce sont des seigneurs de la guerre, au service d’abord d’eux mêmes. La tolérance apparente n’est en fait que renversements d’alliances complexes et billard à quatre bandes. En pays de Salm, à la fin des guerres de religion, les catholiques ont gagné, mais l’abbaye de Senones est définitivement éliminée du jeu politique. Cherchez l’erreur ... En sens inverse, il arrive aux Rhingraves, de figurer parmi les colonels de lansquenets et de reîtres embauchés par les rois de France Charles IX et Henri II pour combattre les calvinistes, et d’exploiter les dissensions entre calvinistes et luthériens pour galvaniser leurs troupes (luthériennes) au profit du parti catholique. C’est au service du Roi de France, donc côté catholique, que le Rhingrave Jean Philippe a été tué à Montcontourpar l’amiral de COLIGNY. Pistolets et arquebuses fabriqués à Badonviller avec le fer de Grandfontaine ont fait grand mal aux protestants sur ce champ de bataille et sur d’autres.



            • jef88 jef88 23 septembre 2011 18:19

              Cela fait plaisir de trouver quelqu’un qui connait mon petit coin !

              Le plus beau coup de Salm a été de se faire indemniser de l’annexion de ses terres de Neuvillers sur Moselle par la convention qui à l’époque « raccourcissait » la noblesse française grace à l’invention du Dr Guillotin !!!


            • Catherine Segurane Catherine Segurane 23 septembre 2011 18:28

              Les seigneurs de Salm ont toujours eu le sens des affaires.



            • jef88 jef88 23 septembre 2011 19:18

              François de HARAUCOURT, « seigneur dudit lieu »
              il existe HARAUCOURT sur SEILLE tout prés de Vic sur Seille
              et HARAUCOURT à côté de Dombasle
              Je pencherais pour le premier mais sans certitude

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