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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Un Japon italien massacré à Garnier

Un Japon italien massacré à Garnier

Eh oui, Mesdames et Messieurs, votre serviteur va encore se fendre d’un petit article sur un opéra qu’il a eu la « chance » de voir et d’entendre hier soir, à l’opéra Garnier. Cette fois-ci, l’affiche était plus qu’alléchante avec « Da Gelo a Gelo », une création (oui môssieur), un opéra contemporain, signé Salvatore Sciarrino.

Je vous entends déjà. "Opéra contemporain ?", "spectacle lyrique" ouh la !, ça va être chiant à lire, ça. Ma foi, peut-être, encore que, vous savez, l’opéra n’est pas réservé qu’aux riches et cultivés. Sous les dorures pompiers de la salle de l’opéra de Napoléon III trainent aussi pas mal de maîtres du monde dont la partie la plus éveillée de l’anatomie se trouve dans leur portefeuille. Il faut dire qu’être richissime mais affublé d’une épouse si décharnée qu’on aperçoit son squelette en transparence quend elle passe devant une fenêtre, ça ne donne pas franchement envie de se servir de son cerveau. Qui sait, tout cela pourrait finir en coûteux divorce...

Mais ne soyons pas mauvaise langue (encore que ça peut être tellement jouissif), vous y trouvez aussi un copieux bataillon "d’intellectuels" en tout genre, du gaucho-chic sappé façon pseudo désargenté (comme si le prolo de base se fringuait chez Gucci ou D&G), au néo-con qui revendique sa toute fraiche liberté de penser, parfois de manière fracassante. Que voulez-vous, il en est des "nouveaux intellos" comme des "nouveaux riches", ces gens-là n’ont pas encore les manières.

Allez, fin de la parenthèse, somme toute, je fais partie de ceux pour qui le spectacle n’est pas dans la salle mais sur scène. Je sais, c’est hérétique, surtout à Garnier, mais que voulez-vous, les comportement déviants ne sont pas toujours pour me déplaire...

Création, disais-je donc. Ben oui, on continue à créer de nouveaux opéras. Tant mieux d’ailleurs, le genre est sans doute loin d’avoir épuisé ses richesses, possibilités, ou même ses excès. Da Gelo a Gelo est donc un opéra en "cent scènes et soixante-cinq poèmes, d’après le journal d’Izumi Shikibu", dixit l’argument qui vous est fourni à votre arrivée.

Le sujet est banal mais correspond à un monument de la littérature japonaise classique. Toute l’intrigue se noue dans les amours contrariées entre un prince et une dame de haut rang, qu’il ne peut cependant pas épouser sans faire une mésalliance. Dans la littérature japonaise, ces oeuvres sont le prétexte à la rédaction de somptueux poèmes, tout en finesse, élégance, raffinement. Il fallait donc s’attendre à un moment de subtilité et de grâce fragile, une larme de nostalgie et peut-être même un soupçon de décadence, le tout servi bien sûr par une esthétique impeccable.

Autant vous le dire d’entrée de jeu, la partition musicale surprend. Le compositeur réussit à tirer des sons étranges des instruments d’un orchestre classique, entre les plaintes d’une voix humaine distordue, le bruit du vent qui fait grincer un lampion, une nature qui oscille entre omniprésence et arrière-plan. Le tout est intéressant, un peu dérangeant, mais subtil et exotique, parfois peut être un peu répétitif. En tout cas, c’est une oeuvre musicale que je chercherai à réécouter. Les voix sont curieusement traitées elles aussi, parfois à l’unisson d’un ou plusieurs instruments, comme un dialogue entre la voix humaine et une flûte, un violon.

Le tout était accompagné en contrepoint par des sonorités que je n’ai pas pu identifier, j’ai même fini par me demander si certains n’avaient pas été enregistrés. En tout cas, le tout formait une sculpture sonore qui tirait parfaitement parti de cette salle, au point qu’elle arrivait à vous envelopper, vous laissant incapable de savoir d’où provenaient certains sons et bruit. De ce côté-là, du grand art.

Le texte, toujours de Salvatore Sciarrino, était un cran en dessous. Sans doute pas à la hauteur de l’ambition, il m’a parfois donné une sensation poussive, voire pâteuse. Sans doute le fait que tout ait été écrit et joué en italien, bien que mis dans la bouche de personnages japonais, a rendu l’exercice compliqué, voire impossible. Au finish, je crois que j’aurais plus apprécié une honnête reprise de textes japonais originaux, je pense que l’oeuvre aurait gagné en force, en énergie, en subtilité.

Somme toute, le travail de Sciarrino est d’une facture honorable, et mérite le respect, des encouragements et même des bravos. Si ce n’est pas un chef-d’oeuvre, je le réécouterai avec plaisir.

Les choses se gâtent en revanche sur le versant "visuel" du spectacle. Mise en scène et chorégraphie ont été assurées par Trisha Brown, danseuse et chorégraphe américaine. Enfin, assuré est un bien grand mot. Le résultat était tellement probant qu’un certain nombre de spectateurs se sont éclipsés durant le spectacle. Ceux qui sont restés se sont visiblement accrochés à leur fauteuil, supportant ce travail médiocre, qui parfois sombrait dans les bas-fonds de la bétise, de l’indigence, de la prétention. On sentait des envies, des flashs, des idées aussi vite disparues qu’elles étaient venues visiter la chorégraphe. Là où on attendait une rigueur et une précision impeccable, mis au service d’un minimalisme revendiqué, Trisha Brown nous a servi une soupe peu ragoutante de poncifs japonisants, d’a priori bâclés. Les gestes, les attitudes, les positions ont ridiculisé les personnages et l’histoire, les transformant en une caricature de Japon médiéval. Le décor était aussi indigent que la mise en scène, les costumes et coiffures sans intérêt ni réelle justification. Un raté formidable, un travail que les amateurs de notre Américaine vieillissante devront vite oublier. Vraiment.

Au final, je ne regrette quand même pas cette soirée. Je resterai sans doute longtemps sur l’envie de voir ce même opéra monté par un metteur en scène digne de ce nom, cette oeuvre mériterait de l’intelligence, une rigueur pétillante et une subtilité toute en nuances et minimalisme. Je suis quand même cette fois-ci heureux du choix audacieux de Gérard Mortier, directeur de l’Opéra de Paris, que j’ai tant critiqué cette saison, et qui a su, cette fois, donner une chance à un compositeur talentueux. L’essai était presque réussi.


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1 réactions à cet article    


  • Manuel Atreide Manuel Atreide 1er juin 2007 14:22

    Salut Furtif ....

    Bon d’accord, j’avais envie de prolégomèniser. Un peu. Beaucoup. Trop peut être. Et alors, kicéki est derrière le clavier pour se taper son petit papier pépère, cétitoi ou cétimoi ? Hein ?

    Pis, que veux tu, moi quand je vais à Garnier, ce temple de la pétasse second empire, je me marre tellement devant le spectacle de cette caste si gorgée d’elle même, il fallait que j’en dise deux mots.

    Plus sérieusement, sur le reste ... oui, puisqu’on me dit que c’est moderne ... Ben la Pietra del Paragone aussi avait une mise en scène moderne. Décoiffante même. mais originale, intelligente, bourrée de clin d’oeil ... Un vrai régal.

    La Passion selon Saint Jean, mis en scène part Bob Wilson aussi, ça n’était pas dans le classicisme le plus strict. Là aussi, il y avait du talent.

    Ce que j’ai vu lundi soir, n’avait rien à voir avec cela. Moderne en apparence, médiocre dans les faits. Madame machin (ca au moins je sais l’écrire) ne m’a pas convaincu. Ce que j’ai vu n’était pas au niveau. Pour moi.

    Je sais, ce n’est que mon avis, je n’en revendique pas d’ailleurs une vérité immanente. En revanche, je revendique mon droit le plus strict de l’exprimer, y compris au risque de chagriner les experts culturels d’agoravox. Dont l’opinion m’importe peu, au demeurant.

    Zzib le Furtif.

    Manuel « têtu » Atréide

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