« Un mois à la campagne » Alain Françon convie Ivan Tourgueniev au Déjazet
Mis en scène en 1909 par Constantin Stanislavski, co-fondateur du Théâtre d’Art à Moscou ainsi qu’initiateur de la direction d’acteurs portant son nom, « Un mois à la campagne » est devenu rapidement l’un des emblèmes du Théâtre moderne permettant à l’âme des protagonistes de s’exprimer dans sa vérité émotionnelle.
Selon une chronologie similaire à celle du Maître russe, Alain Françon a d’abord monté les pièces phares d’Anton Tchekhov mais voilà qu’aujourd’hui, l’ex-directeur de La Colline s’intéresse à Ivan Tourgueniev en créant cette comédie encore peu affichée en France.
En effet, Anouk Grinberg ayant exprimé son souhait d’interpréter le rôle de Natalia alors que son père Michel Vinaver terminait une nouvelle adaptation française de « Un mois à la campagne », c’est tout naturellement qu’Alain Françon s’est senti dépositaire de ce nouveau projet.
La création a eu lieu au Théâtre Montansier de Versailles au début de l’année en cours donnant lieu à une tournée hexagonale qui vient se parachever au Théâtre Déjazet de Paris durant près de deux mois.
La salle est d’emblée en osmose avec la scène car, dans cette parenthèse résidentielle d’un mois, la microsociété qui y est dépeinte pourrait être le reflet des états d’âme de chacun d’entre nous divaguant, se concentrant, s’oubliant, se remémorant…
A la manière d’une histoire d’amour entrant en choc frontal avec le conflit des générations et des conventions sociales, l’enjeu se déplace au sein d’un jeu de chaises musicales, tel un mistigri dont on fait mine de se débarrasser chaque fois qu’il se révèle trop complexe à assumer mais que l’on cherche à rattraper au détour d’une alcôve dès que la pression psychologique semble s’être relâchée.
Ainsi, durant cette enclave spatiale et temporaire, la fascinante Natalia Petrovna devient l’objet de toutes les convoitises, commentaires, ressentiments et autres aspirations passionnées alors qu’autour de cette « Bovary » slave vibrionnent proches et intimes l’observant se débattre, elle-même, avec une fougue à peine dissimulée à l’égard d’Alexeï (Nicolas Avinée), jeune précepteur récemment en charge pédagogique de son fils Kolia (alternance), et ce bien que Véra (India Hair), sa pupille soit en réelle position de rivale pendant que son ami Rakitine (Micha Lescot), lui, sert de leurre à Arkady (Guillaume Lévêque) son époux crédule.
L’art ingénieux de Tourgueniev l’incite à faire se côtoyer l’insignifiant à l’existentiel, le dramatique au comique, les sentiments superficiels aux grandes envolées et même l’amitié à l’amour avec toujours en toile de fond le miracle de la Nature se démultipliant tout en se répétant à l’infini au sein d’une variété de sensations subjectives… ressenties, de fait, de façon collective.
A l’instar de chez Tchekhov, le désœuvrement y apparaît comme le principal instigateur d’un passe-temps sous forme de chassé-croisé sentimental s’étant généralisé en système sociétal.
Cependant ce marivaudage en huis-clos, d’emblée annoncé limité dans sa durée, se présente davantage comme un « jeu de société » plutôt que comme une analyse critique d’une humanité partant à la dérive…
A terme, les protagonistes devront se résoudre à se séparer, à renoncer à l’entre-soi et à la promiscuité devenus insupportables pour tous, à retrouver chacun sa raison externe d’exister au quotidien jusqu’au point de se demander comment cet entrelacs passionnel et intimiste aurait-il pu durer aussi longtemps sans imploser avant le délai programmé ?
La direction d’acteurs d’Alain Françon s’avère, au moins, aussi subtile qu’à l’accoutumé ; les points de suspension scénographique y sont ou non à remplir au gré du spectateur emporté par la rêverie éveillée de planer au « Déjazet » de Jean Bouquin… ayant laissé carte blanche artistique à Jean-Louis Martinelli pour deux saisons théâtrales.
photos 1 à 3 © Michel Corbou
photos 4 - 5 © Theothea.com
UN MOIS A LA CAMPAGNE - ***. Theothea.com - de Ivan Tourgueniev - mise en scène Alain Françon - avec Nicolas Avinée, Jean-Claude Bolle-Reddat, Laurence Côte, Catherine Ferran, Philippe Fretun, Anouk Grinberg, India Hair, Micha Lescot, Guillaume Lévêque & en alternance Thomas Albessard, Quentin Delbosc-Broué ou Anton Froehly - Théâtre Déjazet
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