Une brève histoire de l’avenir de Jacques Attali : essai ou roman ?
Jacques Attali, Une brève histoire de l’avenir, Fayard, 2007 (427 pages)
Le dernier livre d’Attali que j’ai lu remonte à 2002 et était Les Juifs, le monde et l’argent, lequel m’avait complètement séduit. Je l’ai été beaucoup moins par ce dernier essai, arrivé il y a quelques semaines à peine dans nos librairies.
Je me demande si l’ouvrage ne souffre pas d’avoir été fabriqué à la suite de conférences données par son auteur. Je dis bien fabriqué
car il m’a semblé d’une inutile longueur, celle-ci découlant
d’innombrables redites et de répétitions. De plus, l’auteur demande du
lecteur un acte de foi en voulant se distinguer du commun des
futurologues, dont chacun sait que l’avenir infirme bien plus qu’il ne
confirme leurs prédictions ; cette sollicitation ne s’appuie sur aucun
appareil au soutien de la thèse de l’auteur, les affirmations
s’enfilant qui, certes, veulent retenir les leçons de l’histoire, mais
qui n’en demeurent pas moins sujettes à de nombreux « si le tendance se
maintient ». Inutile de préciser que cette histoire se conjugue
principalement au futur et au conditionnel.
Exemple d’un raccourci étonnant :
« En 27 av. J.-C., (...) Octave devient César Auguste, premier empereur. Soucieux d’éviter toute révolte aux frontières, ses successeurs matent la révolte égyptienne et font taire tous les dissidents dont, en 30, un rabbi de Jérusalem nommé Jésus, puis d’autres juifs révoltés, avant de détruire Jérusalem en 70 et d’y massacrer une fois de plus tous les juifs. Le christianisme est né. »
Le christianisme, peut-on déduire, est né marqué d’un péché originel : l’antisémitisme.
J’en suis arrivé à croire que l’éditeur avait oublié la mention roman sur la couverture, l’auteur étant sans doute trop occupé pour s’en soucier. Car cette histoire ressemble fort à un « il était une fois » qui serait conjugé au futur, en d’autres mots, à un récit d’anticipation.
Ces remarques préliminaires faites, qu’en est-il ?
Succinctement : quel sera le XXIe siècle ? Et 422 pages plus tard, on peut répondre, ou tout mal, ou tout bien.
J’ai dis roman. En effet, comme pour toute oeuvre romanesque, l’auteur met en place le protagoniste de l’action dans une première partie, campe le décor dans la deuxième, l’intrigue se déroulant en quatre chapitres, l’ultime traitant du cas de la France.
Le protagoniste : ce primate qui,
apparu il y a sept millions d’années, est devenu l’homo sapiens -
nous. Ce volet est expédié en une vingtaine de pages.
Le décor : l’Ordre marchand, apparu sur les rives de la Méditerranée
douze siècles avant notre ère qui, sur « un espace de plus en plus
vaste, avec des technologies de plus en plus efficaces, à la fois dans
la violence, l’injustice et la splendeur, (...) installe le marché et
la démocratie, la démocratie de marché.
». Ce décor est planté en moins de quatre-vingts pages et est parsemé
de « leçons pour l’avenir », sortes d’axiomes du genre : « aucun
empire, même s’il paraît éternel, ne peut durer à l’infini », « le lien
entre la technologie et la sexualité structure la dynamique de l’Ordre
marchand » ou « nombre d’innovations majeures sont le produit du
travail de chercheurs payés sur les fonds publics pour chercher tout
autre chose ».
Ce décor met en place une succession de « coeurs » - Bruges, Venise,
Anvers, Gênes, Amsterdam, Londres, Boston, New-York et Los Angeles -
qui emporte, à chaque fois, la transformation des paysans en salariés
précaires (dans les villes), la concentration de la richesse et une
augmentation de la liberté pour les consommateurs, mais de l’aliénation
pour les travailleurs.
L’intrigue, qui constitue le coeur de l’ouvrage, voit la fin de
l’empire américain, et voit se succéder sur un siècle, celui-ci, deux
vagues, l’hyperempire et l’hyperconflit avant que n’arrive, si nous
sommes chanceux, l’hyperdémocratie. À terme, et en quelques mots, avant
cette dernière vague, « ce n’est pas l’Afrique de demain qui
ressemblera un jour à l’Occident d’aujourd’hui, mais l’Occident tout
entier qui pourrait demain faire songer à l’Afrique d’aujourd’hui. »
Bref, le pire est l’avenir de l’homme, si tant est qu’il y ait un
avenir...
Mais il peut y avoir un happy end, l’hyperdémocratie, où tout le monde il sera beau, tout le monde il sera gentil.
Même en France.
Si les thèses de l’auteur sont séduisantes, bien que généralement
pessimistes, et marquées de quelques fulgurances, la lecture de
l’ouvrage constitue tout un travail (c’est « bien de l’ouvrage »,
dirait-on en Nouvelle-France), notamment en raison du style qui se
révèle, ma foi, un peu cahotique, et guère élégant. Guère séduisant, il
requiert en outre l’adhésion a priori du lecteur qui ne pourra vérifier
les sources. À mon avis, le mieux est de l’emprunter en bibliothèque
et, faisant l’impasse sur les deux premières parties, de ne lire,
outre l’avant-propos, qui résume bien le tout, que les cinq derniers
chapitres (et encore, celui sur la France ne présente, selon moi, que
peu d’intérêt).
Voir également, sur ce livre, l’article de Joël de Rosnay
9 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON