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« Une enfant de Poto-Poto » de Henri Lopes, le cœur dans la ville

"Hé, les amis, écoutez ce conte
Brazzaville a sa source à Poto-Poto"

"Baninga aéé bandéko, bo yoka lisapo ongéRetour ligne automatique
Brazzaville ébandaka na poto-poto"


Il était de bon ton que de commencer cette chronique par ce bout de chanson de Dindo Yogo , défunt musicien majeur du grand Congo, qui rendait hommage au quartier de Poto-Poto dans une de ses plus célèbres chansons. Il fallait absolument commencer par montrer à quel point ce quartier de Poto-Poto a une place spéciale dans le cœur, non pas des congolais, généralité à proscrire, mais dans celui des Brazzavillois et des kinois. Alors, amis, écoutez donc cette histoire, de Brazzaville qui est née à Poto-poto que conte Henri Lopes dans son nouveau roman "Une enfant de Poto-poto".

 

"Les étrangers s’étonnaient de notre insouciance. Les malheureux n’avaient pas compris que si, au Congo, on danse pour courtiser, pour célébrer la lune, la moisson, le nouveau-né, le mariage, on danse aussi pour exprimer sa tristesse. On danse pour prier. On danse pour pleurer ses morts. On danse pour se recréer, on danse pour dire sa mélancolie. Selon la manière dont on remue sa ceinture, la rumba exprime la joie ou le chagrin."

 

Voilà ce dans quoi Henri LOPES nous plonge, la tête la première ; dans la rumba, la danse, le déhanché, la guiche. La 1ère partie de cette jolie histoire est un hymne à Brazzaville à l’aube de son indépendance. Dans la folie de sa nouvelle liberté, dans l’exaltation de son Lipanda. La jeunesse dansa au rythme de "Indépendance chacha to zui ééé, ho table ronde chacha to bakiri", les bars bruissent des semelles qui raillent les parquets au rythme de "Mokolo na ko kufa" ou des "Para Para Fifi, Ooooh Dit Youyou". Retour ligne manuel

Et au milieu de tout cela, nous suivons les semelles de Kimia, jeune femme pleine de vie, étudiante dont le future se dessine tout en couleur.

Ha ! Décrocher le Baccalauréat ! Cela fait sourire aujourd’hui. A l’époque, et depuis que le pays avait été le Moyen-Congo, puis la République du Congo, moins d’une trentaine d’impétrants, parmi nos huit cent mille habitants (haussés, par décret ministériel, à un millions trois cent mille) pouvaient se targuer d’avoir obtenu ce parchemin. Et combien de fille dans le lot ?

 

A côté d’elle, Pélagie, insouciance et joie de vivre semblent, en elle, se disputer avec l’espièglerie.

Mes appels à la prudence n’avaient pas d’effet sur Pélagie. Elle haussait les épaules. « Bof, c’est comme la vie. On sait que ça ne dure pas, que ça se terminera, qu’un jour on finira charogne. Est-ce une raison pour ne pas préparer son Bac, pour ne pas se bâtir un foyer, pour ne plus composer des rumbas, des cha-cha et des pachangas ? Si on baissait les bras sous prétexte qu’on est mortel, on s’étendrait par terre et l’on se laisserait crever »

 

Et, évidemment, un troisième larron sans qui une histoire de femme n’est qu’une moitié de conte, ecce homo ; Franceschini.

Il débuta les cours de français par une annonce : il n’achèverait pas le programme. Il préférait des têtes bien faites à… La classe termina la citation en chœur en clamant fièrement le nom de son auteur. A une course contre la montre, il préférait une plongée dans quelques textes. Il voulait nous apprendre à les savourer, à lire nous-mêmes les auteurs du programme ( dans le texte, pas des extraits), dussions-nous en détester certains »

 

Le duo, Pélagie-Kimia, nous fait vivre le Brazza de cette fin des années 50, nous fait vivre les joies de la jeunesse, son incompréhension face à cette indépendance qui arrive presque par surprise. Nous vivons avec Kimia les atermoiements des nouveaux dirigeants africain de cette jeune Afrique, les incohérences et même les contradictions qui changent peu à peu les espoirs utopiques en désillusion.

"L’orchestre a entonné Ziboula makolo, mama ("ouvre tes jambes, ma chérie") un autre succès, un peu grivois, qui émoustillait nos parents. Les garçons sourirent et s’employèrent à se dénicher une cavalière. Comme si les paroles ne suffisaient pas, les hommes dansaient en gigotant des reins de manière obscène. Je veillai à ne pas rencontrer le regard du sapeur. Celui-ci s’est rabattu sur la cousine de Léopoldville. Visiblement une habituée des dancings. Elle effectuait des pas et des figures que nous ne connaissions pas. Nous l’admirions. En matière de danse, Léopoldville était pour les Brazzavillois ce qu’est Paris pour le monde en matière d’élégance et de lumières"

 

Cette nouvelle ère qui se voulait de liberté et de renouveau a accouché de pouvoirs "indépendants" qui sont restés coloniaux dans leurs "tous les jours" des peuples. Les noirs ayant remplacé les blancs dans le rôle d’exploiteur et de machine à faire gober des sornettes.

Sans qu’on sût qui était l’ennemi, quelle forme il avait, quelle était sa couleur, on était prêt à monter à l’assaut et à se faire tuer. A tuer surtout. C’était facile. Suffisait d’appuyer doucement sur la détente. On ne s’en priva pas, on n’eut nul compte à rendre. Et pour que la fête se célébrât avec l’accent de la rive droite du Congo, l’orchestre des Bantous de la Capitale se fendit d’un hymne entraînant, "Tongo étani na mokili ya Congo... Une nouvelle aube se lève sur le Congo/ Fini le Congo des ténèbres/En avant, en avant, sans nous retourner..."Retour ligne manuel
Même la rumba se dansa sur un rythme révolutionnaire

 

En parallèle de cette grande histoire en marche, pour le Congo, une histoire, non moins prenante, nous transporte, nous faire vivre les émois, les joies et les amours du trio. Kimia, l’amoureuse frustrée, qui ronge son frein quand l’intrépide Pélagie semble lui avoir damné le pion auprès du charismatique francescini.Retour ligne manuel

Pélagie a poursuivi sur le mode badin. Dans l’échange qui s’est suivi, Floribert, Barnabé et moi avions l’air de spectateurs. Pélagie maniait l’humour à la manière des français et j’admirais son sens de la repartie. Elle ravissait Franceschini. Ces deux-là, j’en étais sûr, j’en étais malade, allaient coucher ensemble avant que le coq ne chante. Je bouillais.

 

Le Franceschini, lui, nous offre un troublant message, un appel à l’appartenance qui lui est dénié. Lui, Franceschini, est un vrai enfant de Poto-poto. Il a couru pieds nu dans la fange de ses caniveaux, il a gambadé les fesses en l’air dans la poussière de Brazzaville. Mais il porte le poids de sa couleur, héritage d’une mère métisse et un père blanc. Un quart de sang noir font de lui un blanc aux yeux de ses frères-de-terre. Il a beau hurler son appartenance à ce ville, à ce pays, rien n’y fait, l’histoire des hommes n’est-il pas jonchée d’exclusion, de mise à l’écart de ceux qui ne ressemblent pas à la majorité mélaninée ?Retour ligne manuel

Quand le 1er volet du livre ce termine, les étoiles de Brazzaville restent dans les yeux du lecteur. Henri Lopes nous a – presque – fait sentir l’odeur du sable mouillé de la rue Mbaka et soir de tornade tropical. Retour ligne manuel
Humm… l’odeur du maboké de silure qui va accompagner "la cravaté bien glacé" qui squatte notre imaginaire à des relents de paradis. Et un arrière-goût d’insatisfaction. La beauté de la description de cette vie africaine, les trépidations amoureuses de notre trio, ne fera pas oublier au lecteur que les personnages principaux sont des intellectuels – congolais – ou des intellectuels en devenir, et que ceux-ci ne parlent, décidément, que trop peu de politique. Retour ligne manuel
Alors qu’ils vivent un pays en pleine ébullition, en plein chambardement avec des forces contradictoires qui essaient de s’établir, ces personnages, pourtant au centre de tout, ne semblent montrer que bien peu d’intérêt à la chose politique. Ce qui laisse… dubitatif.Retour ligne manuel

Cependant, la bascule sur la seconde partie est aisée et se fait sans douleur tant la vie de Kimia, son parcours de femme intellectuelle, totalement intégrée dans l’ère mondialisé, est palpitante. Entre les Us, la France, les allers-retours au Congo, l’Afrique de l’ouest, l’Amérique latine ; Kimia est partout, elle nous entraine partout. Et toujours, avec elle, son bout de l’Afrique, son ancre à la terre africaine : Franceschini…

L’éditeur n’aimait pas le titre original, « Le quarteron ». Il craignait que le lecteur français, aussi bien qu’africain, ignorât le sens de ce mot, […] J’avais alors proposé Le blanc manioc – Moundélé Kwanga, en lingala –, une allusion à l’insulte qu’on lançait aux sang-mêlé. Ces gens dont la couleur se rapproche de celle du Blanc, qui se croient de la ^même culture que l’Européen, mais ne laissent pas de marcher pieds nus, de vivre dans des cases, de se nourrir de manioc, comme les indigènes

 

La seconde partie du livre est troublante. Très troublante. Henri LOPES nous met au cœur d’un amour à trois, au centre d’une de ces histoires abracadabrantesques que seul l’amour-passion peut construire, et c’est troublant. De Kimia, à la flamme de vie qui brûle même son Jordan de compagnon, à Pélagie, africaine jusqu’au bout des ongles, qui a voulu l’homme, est allée le chercher et la pris avec autorité, pour ensuite…. Retour ligne manuel
Et Franceschini, le point d’interrogation, qui, jamais, ne semble faire de choix clair, qui, toujours semble se laisser vivre, et ne jamais se lasser d’un certain libertinage, peut-être celui de Poto-poto, qui lui colle au derrière.Retour ligne manuel
Le bémol de cette deuxième partie ? Le trop peu. Le trop peu de Kimia. Sa vie d’intellectuelle écrivaine est trépidante, elle vit à cent à l’heure, on voit et devine qu’elle est témoins et au centre de nombreux évènements culturels et historiques, mais tout cela ne semble qu’effleurer, à peine esquissé. Retour ligne manuel
L’envie d’entrer plus en profondeur, de connaitre les détails de ses rencontres, ses articles sur ce monde des années 70 qu’elle voit au travers de ses yeux de mwana ya Potal, d’enfant de Poto-poto.Retour ligne manuel

 

Henri LOPES nous offre un très beau moment de lecture. Une incursion dans l’âme de Brazzaville, dans l’esprit congolais, qui nous rappelle à la beauté et la complexité de la vie d’une génération qui a vécu ses rêves et qui ne s’est pas laissée enterrée quand on leur a volé leurs idéaux d’indépendance. Une très belle histoire d’amour charnelle, fraternelle et de sa terre d’appartenance. Retour ligne manuel

"Détester les classiques, jeunes gens, est un signe de santé mentale. La preuve d’une liberté d’esprit. A condition d’être capable d’argumenter votre rejet."

 

Les Palabreurs du collectif "Palabres autour des arts" ont eu l'occasion de revenir sur ce livre lors d'une rencontre tenue en 2013 - Voir vidéo à partir de la minute 23


"UNE ENFANT DE POTO-POTO"

HENRI LOPESRetour ligne manuel
ÉDITION GALLIMARD, CONTINENT NOIR – 2012


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1 réactions à cet article    


  • Furax Furax 23 avril 2015 17:37

    @l’auteur
    Je me souviens du bouquin magnifique de Crocce- Spinelli « Les enfants de Poto-Poto ». Il s’agissait de ce que je pourrais qualifier de « sociologie amoureuse »...
    Je me souviens d’un Henri Lopez, jeune ministre de l’Education Nationale, en battle-dress, cigare cubain à la bouche, dans le Congo du « socialisme scientifique » se déhanchant au rythme de « Guantanaméro » !!!
    Mon ami, Alphonse Marie Toukas était un jeune journaliste de la « Voix de la Révolution ». L’air vibrait d’optimisme enfiévré, l’avenir serait radieux...
    J’avais vingt ans.

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