Une héroïne au pays des naufrages
Outre la perte du triple A et l’affaiblissement concomitant du candidat Nicolas Sarkozy, c’est évidemment l’incroyable naufrage du Costa Concordia qui occupe la « une » des médias. Un naufrage qui nous remet en mémoire les drames accidentels du passé, du Titanic (1912) au Joola (2002), en passant par le Saint-Philibert (1931), le Toya Maru (1954) ou l’Estonia (1994). Personne en revanche n’a gardé le souvenir du naufrage du Vesper, ni de l’héroïne qu’il a révélée : Rose Héré...

En cette nuit du 1er novembre 1903, le brouillard s’est installé sur la mer d’Iroise, noyant dans ses volutes cotonneuses le puissant faisceau du Créac’h (colline en breton). Dominant les impressionnants récifs de l’ouest d’Ouessant, le phare est, malgré l’intensité de sa lanterne, impuissant à prévenir efficacement les navires du danger qui les menace aux abords de la plus grande des îles du Ponant.
Comble de malchance, l’épais brouillard, conjugué au fracas des flots sur les roches de ce bout du monde sauvage et déchiqueté, étouffe dans ses replis ouatés le son de la corne de brume installée en 1867 à la Pointe de Pern. Perdu dans le brouillard, le cargo à vapeur Vesper, parti le 25 octobre du port algérien d’Oran avec une cargaison de vin et de bougies destinée à la ville de Rouen, s’approche dangereusement de cette côte hérissée de pièges mortels.
Á son bord, le capitaine Viel et 34 hommes d’équipage. Après avoir passé sans encombre le dangereux raz de Sein, le navire poursuit sa route vers le nord et les îles du Ponant. Dans la brume qui enveloppe le cargo, le capitaine Viel est d’autant plus attentif à la navigation qu’il connaît les dangers de la mer d’Iroise.
Parvenu aux abords d’Ouessant après s’être quelque peu dérouté, Viel aperçoit peut-être le signal du Créac’h malgré l’épais brouillard, mais il n’entend pas la corne de brume. Soudain, le Vesper touche les récifs et s’échoue sur les rochers, à quelques dizaines de mètres de la Pointe de Pern. La coque est partiellement éventrée, et le navire balloté par les lames.
Par chance, des habitants de l’île se sont rendu compte du naufrage. Très vite, la station de sauvetage du bourg de Lampaul, située à moins de trois kilomètres de là, est prévenue et peut lancer l’Anaïs sur les flots. Entretemps, la coque du Vesper s’est déchirée et de nombreuses caisses dérivent en entravant la marche du canot de sauvetage. Sous les coups du boutoir de la mer et déséquilibré par la perte d’une partie de son fret, le cargo menace de sombrer à tout instant.
Face au danger, 14 marins embarquent dans la seule chaloupe du Vesper. Les autres membres de l’équipage, restés avec la capitaine Viel à bord du Vesper, sont finalement secourus par l’Anaïs après bien des difficultés et ramenés dans le modeste port de Lampaul. Mais rien ne va plus pour les malheureux qui ont embarqué dans la chaloupe. Dans la mer agitée, les 14 marins se dirigent vers les récifs sans pouvoir maîtriser leur embarcation.
C’est alors qu’une Ouessantine entend leurs cris de désespoir. Aussitôt elle descend de la falaise et gagne une grève d’où elle montre aux marins la direction du Roc’h Hir. Mais il se révèle impossible de débarquer en ce lieu. Rose Héré indique alors vouloir monter à bord. Les marins lui lancent un filin qu’elle parvient, malgré le goémon glissant, à saisir et à accrocher à un rocher. Puis elle se jette dans l’eau glacée et, grâce au filin, réussit à rejoindre la chaloupe.
Hissée à bord de l’embarcation, Rose Héré prend le commandement du canot alors que celui-ci semble perdu. Après deux heures d’efforts dans les remous, elle parvient à mener la chaloupe jusqu’à la cale de Pen ar Roc’h. Grâce au courage et à la détermination d’une modeste habitante de Ouessant, les 14 marins marseillais sont sauvés.
Quelque mois plus tard, lors de l’assemblée de la Société centrale de sauvetage des naufragés, Rose Héré reçoit à Paris un prix et une médaille pour sa conduite héroïque. Également honorée et primée par l’Académie de Marseille, Rose Héré reste pourtant une héroïne modeste : ainsi va l’existence dans ces îles rudes et isolées de la mer d’Iroise aux abords desquelles les naufrages ont été si nombreux au fil des siècles.
En vérité, la fin du Vesper n’a pas été une catastrophe pout tout le monde : durant les heures qui ont suivi le naufrage du cargo, des îliens venus en nombre, malgré l’arrivée des gendarmes du Conquet, ont fait main basse sur les bougies et les barriques de vin libérées par la coque éventrée. Et c’est ainsi qu’un naufrage peut se transformer, le vin aidant, en une fort jolie fête. Mais l’histoire ne dit pas si Rosé Héré a bu son verre comme les autres.
Yec’hed Mad ! Á la vôtre, et à la mémoire de la courageuse Rose !
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