Venus & Adonis de John Blow
Cette fin d’année 2013 a vu fleurir chez Alpha une parution majeure : le DVD du Masque Venus & Adonis de John Blow (1649-1708). Avec quelques images et le trailer officiel en fin d’article, je vous propose d’aller à sa rencontre et, qui sait, de vous donner l’envie d’y goûter plus largement.
C’est devant le Roi Charles II que se crée Venus & Adonis en 1683. Vénus est alors jouée par sa maitresse, l’actrice et chanteuse Mary Moll Davies, tandis que leur fille illégitime Lady Mary Tudor, âgée de dix ans, incarne Cupidon. Bien qu’intitulé « Masque » dans certains manuscrits, Venus & Adonis n’en reste pas moins le premier opéra anglais ayant survécu à ce jour, représenté six ans avant Dido & Aeneas de Purcell, élève de Blow, et dont on peut s’amuser à rapprocher les deux oeuvres voire comprendre comment Purcell a pu être source d’inspiration pour cette recréation. La puissance tragique n’enlève pas la spontanéité du masque : simplicité, naïveté de ton : l’histoire s’invente presque sous nos yeux.
En une heure seulement (ouverture-prologue-3 actes) se déroule un conte cruel : Adonis, jeune chasseur ayant à peine goûté à l’amour de Vénus est mortellement blessé par un sanglier après une chasse. Une fin brutale, poignante, toute empreinte de vanité. Une partition entre illusions et mort, entre grâce et déploration.
Le DVD rend compte de la création en octobre 2012 au Théâtre de Caen avec en bonus une bien belle Ode à Sainte-Cécile du même compositeur et quelques reportage en forme de « making-of » captés par France 3. Céline Scheen en Vénus, Marc Mauillon en Adonis, le jeune garçon de la Maîtrise de Caen Grégoire Augustin en Cupidon, tels sont les solistes mis sous la baguette intelligente et pleine de relief de Bertrand Cuiller, ce dernier dirigeant les Musiciens du Paradis, ensemble vocal et instrumental créé par Alain Buet. A noter la configuration spéciale des musiciens de l’orchestre : face à face, un peu en ovale suivant la forme de la fosse, certains sont donc tournés vers le public, d’autres vers la scène. Chacun peut ainsi voir tous les autres.
La mise en scène est de Louise Moaty. Ce qui se ressent de suite dans l’esthétisme des décors, dans ce visuel frappant, et qui perdure tout au long du film. Tout ici est funèbre, le temps s’est arrêté, l’éclairage à la bougie est une évidence. On pense beaucoup au Caravage, on apprécie les focus dans les moments de déploration. La poésie prend toute sa place au fil du déroulement tragique, mention spéciale pour le dernier acte.
Côté voix Céline Scheen incarne une Vénus pure et radieuse. L’élégance et la sensualité qu’on lui connait enflamment à merveille son rôle. Y a-t-il plus touchant que son cri suraigu transperçant de désespoir dans l’acte III ? On en tremble encore. Avec Marc Mauillon elle forme le couple amoureux parfait dont on reprochera peut-être l’accent approximatif du noble Adonis. La véritable déception vient plutôt de deux facteurs : le premier, Cupidon, qui - si on ne nie pas le réel talent de ce jeune garçon - semble dépassé par son rôle et mal assuré. Cela se voit de suite dans son chant assez plat et fragile. Deuxième facteur et qui aurait certainement atténué le premier : la captation enregistrée extrêmement tôt dans la tournée. En effet, l’enregistrement date des deux premières soirées à Caen, ce qui nous prive d’une version plus rodée. Cela est d’autant plus dommage que la presse s’était fait l’écho d’une notable évolution tant de la part du Cupidon (Romain Delalande en alternance) que de la troupe en général.
Toujours est-il que malgré ces bémols, il faut souligner pour notre plus grand plaisir le continuo dynamique, le son chaleureux des cordes et des flûtes à bec. Tout ceci confère à une intimité que la partition demande dès le départ et qui laisse l’empreinte d’une production clairement réussie. Comme dans Dido & Aeneas de Purcell, l’oeuvre se termine par un choeur d’une infinie beauté, choeur que préfère d’ailleurs Bertrand Cuiller et dont je vous laisse juge. C’est l’occasion de se remémorer ces quelques mots de Vénus éplorée, qui résument toute la vanité du spectacle : « Why should not I have the great privilege to die ? »
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