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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Welcome in David Lynch’s Inland Empire !

Welcome in David Lynch’s Inland Empire !

Ou comment la digne relève du cinéma d’Hitchcock continue d’être assurée par l’artiste le plus accompli de notre époque, le génial cinéaste David Lynch.

Le film commence par un coup de projecteur, aveuglant de sa blanche crudité qui ne révèle aucun objet si ce n’est la lumière elle-même, la lumière pour la lumière, un faisceau qui semble ténu malgré sa puissance déployée car il prend naissance dans les profondes ténèbres qui l’entourent de toute part. Pour quelques secondes seulement, le titre apparaît, occupant tout l’écran sans pour autant, malgré la taille des lettres, en entamer l’inquiétante noirceur : Inland Empire, l’empire de l’intérieur...

David Lynch, fidèle à l’implacable ligne de conduite esthétique qui oriente son œuvre et vraisemblablement sa vie, n’a jamais reculé devant l’abîme terrifiant du mystère qu’il a entrepris de sonder depuis la révélation de sa vocation artistique : la psyché humaine. Et comme il ne saurait faire les choses à moitié, il ne fait rien moins que de s’attaquer à dévoiler ce que Freud n’avait pas hésité à nommer le “continent noir”, à savoir l’inconscient... féminin. Car David Lynch est précis, il ne s’y trompe pas, il sait ce qu’il entreprend, même si ce n’est qu’après-coup, au montage. Avec lui, pas de généralisation abusive, il ne s’agit pas de l’inconscient de La femme en général, mais de l’inconscient d’une femme en particulier. David Lynch n’a peut-être pas lu Lacan, mais il semble avoir fait sienne la célèbre formule : “LA femme n’existe pas”, pour dire d’une part que “femme” ce n’est pas un genre, au sens communément admis, car chaque femme est unique, et que, d’autre part, les femmes ne sont pas à l’instar de l’homme vouées à une errante extériorité, car elles sont les porteuses-nées de l’intériorité même. Une intériorité d’où tous les humains viennent, quels que soient leur sexe, leur couleur de peau ou leur généalogie. Qu’on le veuille ou non, nous venons tous de l’intérieur d’une femme. Du rêve d’une femme.

Et cette femme, qui est-elle, dans ce film précisément ? Elle n’en sait rien elle-même. Sa fragilité ontologique va être explorée au cours d’un récit passionnant où quelques clés sont données dès le départ : “demain, peut être hier, je me souviens d’après-demain”... il n’y a pas de temps. Du moins pas le temps chronologique tel qu’on a l’habitude de le mesurer, le quantifier, le sérier, un temps technique et technicisé. C’est d’un tout autre temps qu’il s’agit ici. Car nous voilà d’un coup, grâce à l’essence même du médium cinématographique et de son plus brillant réalisateur, plongés dans un autre monde, immergés dans l’inconscient, et le récit précis que nous propose David Lynch s’articule exactement de la même manière, selon la même logique narrative, tissé de la même matière imagée et sonore que le sont les rêves, avec ses procédés de condensation et de déplacement, ses superpositions d’espaces (puisqu’il n’y a plus de temps), ses détours, ses contours et ses inversions (car l’inconscient ne connaît pas non plus la négation). C’est ainsi que Nikki Grace est simultanément Sue, une actrice et une prostituée, victime d’une tentative de viol et révélant sa violence terrifiante, qu’elle est en Pologne et à Los Angeles, qu’elle a perdu un enfant et qu’elle est enceinte de sa promesse, qu’elle tue et qu’elle est tuée, qu’elle est, qu’elle sera et qu’elle a été...

Car elle est également le metteur en scène de son destin qui se déroule comme une récapitulation (au moment de sa mort ?) où elle tient tous les rôles et habite tous les décors, passant de l’imaginaire (ses rêves de devenir une star) au réel le plus effrayant (l’autre Chose comme la grimace hideuse de sa chair derrière le masque du visage), sans cesser d’être elle-même, tout en cherchant à devenir elle-même désespérément... Des mystères de la jouissance à l’incontournable du sexe en passant par la généalogie du Mal (le reflet), toutes les interrogations métaphysiques ou presque y passent, avec une rigueur et un traitement de l’image auquel un livre entier mériterait d’être consacré.

Rendons hommage au StudioCanal, une société française (!), d’avoir permis à David Lynch d’avoir les mains complètement libres pour faire le film qu’en tant que visionnaire, il a imaginé de bout en bout dans ses moindres détails. Et grâce au “final cut” que la production lui a laissé, David Lynch accomplit une œuvre majeure, toute au service de l’humanité. Une humanité qui n’a pas fini de méditer la célèbre maxime de Rilke dans sa première élégie à Duino : « Car le beau n’est rien que le commencement du terrible, ce que tout juste nous pouvons supporter, et nous l’admirons tant parce qu’il dédaigne de nous détruire. Tout ange est terrible... » Et David Lynch de nous livrer sur un plateau (de cinéma) une magistrale, sublime et forcément inquiétante réécriture contemporaine, élaborée comme souvent selon la fascinante figure topologique de la lemniscate, ou anneau de Möbius : « Stars make dreams and dreams make stars »... Welcome in the Inland Empire, where everybody is a star...


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13 réactions à cet article    


  • jak (---.---.86.225) 13 février 2007 12:21

    Merci pour la grille de lecture, qui visiblement a échappée a la majorité des spectateurs, qui m’évitera également un mal de tête


    • christian dubuis santini christian dubuis santini 13 février 2007 19:47

      Thanks... You are welcome. smiley


    • yasujiro (---.---.237.210) 13 février 2007 13:39

      pfff lynch est un malade psychopathe et il n’y a que nos intellos pour se repaître de ses scrofules et pets foireux.

      Lynch est un gros nul, mais il fait croire ensuite que sa création est géniale. Lynch est intelligent après le film, on aimerait qu’il le soit pendant....

      il prend les cons pour des gens.  smiley


      • christian dubuis santini christian dubuis santini 13 février 2007 19:46

        « il prend les cons pour des gens. smiley »

         smiley smiley smiley Excellente celle-là ! Et en plus « c’est pas faux » comme dit tout le temps Lancelot dans Kaamelot... « c’est pas faux » smiley


      • JP (---.---.119.243) 14 février 2007 17:22

        Bon je ne vais pas vous dire que j’ai tout compris, c’est je pense impossible, mais il me semble qu’avec un peu d’astuce et une connaissance minimal de la technique du cinéma, on peut suivre facilement l’intrigue. Pour ceux qui n’ont pas encore vu le film peut être que mon analyse va les enduire en erreurs, pour les autres peut être vont-ils etre d’accord avec moi et re-voir le film sous un autre angle. En faite c’est assé simple, Laura Dern n’existe pas c’est l’incarnation de « l’actrice » hollywoodienne. Autrement dit le mythe de l’actrice riche, adulée, blonde, vivant dans une superbe demeure à Hollywood. L’actrice la vrai est la brune, qui regarde l’ecran de TV, les scenes avec les personnage à tete de lapin, c’est juste la modelisation de la comedie, je m’explique quand on pense « chaise », tout le monde sait ce que sait, un dossier, 4 pieds, un plateau, pas besoin de faire un description, et la Lynch veut modeliser le cinéma enfin la fiction en générale. L’actrice donc la vrai doit jouer le role d’une pute, c’est pour ca qu’au tout debut on voit une scene en noire et blanc, avec des acteurs sans visage qui est la scene type de la prostitution, une fille sexy qui est suivi par un mec. la scene d’apres il y a une sorte de consience qui vient parler à la vie rever par l’actrice tel qu’elle ce voit(en blonde dans une grande maison) pour lui dire qu’il y a un prix à payer c’est la celebre rançon de la gloire ! Premiere lecture du film dans le studio c’est là, que l’actrice est litteralement « habité » par le role le bruit dans la maison du decors, puis la scene ou Laura se revoit lisant le manuscrit : L’actrice tel qu’elle se voit devient son nouveau role. Là, l’actrice devient skizophrene, ne sait plus qui elle est, puis tout le reste ce passe pendant le tournage du film, La lampe rouge est en faite le symbole de la lumiere rouge des studio quand il tourne une scene, les ecritures sur les mur, c’est le nom et numéro de different studio. Et surtout la brulure de cigarette, c’est l’action que fait le monteur pour indiquer qu’il va y voir changement de bobine, pour essayer de mettre de l’ordre dans le film et pour passer à l’etape d’apres : l’actrice qui ne sait plus qui elle est essaye de remonter sa vie. Apres à la fin il y a une replique clé, Laura entend, « Je ne suis pas ton mari, je suis une chose ! », il est evident que l’actrice s’entend dire par le cinéma qu’il n’est pas son mari, pour parodier la celebre phrase de toutes les actrices ; « Mon veritable amour c’est le cinema », du coup Laura comprend qu’elle n’est que lumiere, que le film est terminée, que son role est fini, elle fait la paix avec elle meme, scene de l’accolade entre la Blonde et la Brune. Puis la vie revée de l’actrice blonde disparait , donc la blonde disparait aussi. Enfin l’actrice la VRAI, la brune, rejoint son vrai mari, et son fils. Qu’elle avait declaré mort quand elle va voir son psychiatre à plusieurs reprise dans le film(le gars à lunette). Enfin voila mon analyse en esperant que c’est pas moi qui est besoin d’aller voir le psychiatre ! smiley A+JP


        • christian dubuis santini christian dubuis santini 15 février 2007 09:47

          Merci JP ! Bien sûr qu’il y a une histoire, et les éléments que vous apportez sont dignes d’intérêt, je pense notamment à la réplique : « Je ne suis pas ton mari, je suis une chose. » Je n’ai pas pour autant la même interprétation que vous, bien que nos lectures ne soient pas contradictoires. Pour moi l’héroïne jouée par Laura Dern dont Lynch fouille et dévoile l’inconscient est une prostituée d’origine polonaise « officiant » sur Sunset Boulevard. Elle est assassinée et au moment de sa mort, toute sa vie défile à la manière d’un rêve que Lynch projette sur l’écran, comme pour trouver une résolution acceptable à son destin, exactement de la même manière que l’activité onirique se met en route pour permettre de concilier en soi (et pour soi) pensée rémanente et désir inconscient. C’est là que l’idéal du moi de la prostituée se révèle identifié à une star hollywoodienne en vogue, que la « dé-temporalisation » propre au langage du rêve (qui ne connait pas non plus la négation, je le rappelle) permet de réarticuler les projections identificatrices et la superposition des différents espaces-temps... Il y aurait tellement à en dire ! Mais arrêtons-nous là pour aujourd’hui. smiley

          (je vois le psychiatre et ses deux infirmiers qui arrivent avec leur drôle de chemise aux manches très longues et qui s’attache dans le dos... smiley


        • Belaz (---.---.82.161) 15 février 2007 11:45

          Hum je vais y aller de ma theorie perso comme c’est à la mode ;D

          Figurez vous qu’il ya quelques années est sortis un manuel pour faire des films hollywoodiens qui marchent, je ne me rapelle plus de l’histoire exacte, un ordinateur à sortis scientifiquement une liste de prerequis pour qu’un film fasse un carton je croit, du genre « le film doit comporter 7 minutes de sexes, à la 23ieme minute on doit voir un enfant, certains mots clef doivent etre entendus etc » Ce qui est drole et me fait penser à ca c’est que dans le film on dit que c’est un remake ( forcement comme le modele hollywoodien est basé sur le meme manuel, cf les 7 minutes d’« amour » par film c’est obligatoirement un remake d’un quelconque blockbuster... ), que ca se passe à hollywood meme, qu’on as une narration apparement decousue qui en fait ne l’est pas mais suivrait pour notre grand plaisir le manuel à la lettre, fou rire sur les 5 secondes de nichons en gros plan qu’il case n’importe ou pour respecter les specs, fou rire en entendant les pseudo « mots clef » repetés à longueur de film, on se croirait à un ni-oui ni-non inversé dont le but serait de placer une phrase coute que coute dans la conversation et de faire en sorte que ca reste coherent..( cf il est minuit passé, c’etait rouge, c’etait...( suspense) rouge (fou rire)

          fou rire sur le zoom de l’allée, un moment d’anthologie ou on se fait berner en beautée. toutes ces choses mises à part la scene du thé est la quintescence du jeu d’acteur... monstrueux genial si quelqu’un pouvait retrouver ce manuel il date de 2001 je croit je suis plus tres sur, ca serait geant


        • christian dubuis santini (---.---.61.223) 15 février 2007 12:16

          Oui, bien sûr c’est intéressant. Comme le code Haynes en vigueur à Hollywood qu’il fallait savoir contourner avec une ruse narrative consommée... Mais en l’occurence, dans INLAND EMPIRE, la notion de « remake » plaide à mon sens en faveur de la thèse de la « récapitulation » avant la mort... L’héroïne revit l’histoire de sa vie selon le langage de condensation et de déplacement spécifique au rêve. Le film dure près de 3 heures mais ça peut correspondre à une fraction de seconde dans le réel. Un peu comme quand on s’endort et qu’on a l’impression d’avoir rêvé de dix mille choses alors qu’un coup d’œil à sa montre laisse apparaître qu’on a somnolé moins d’une minute... Elle essaie au cours de ce « remake » de récupérer la cohérence de son tragique destin pour tenter de trouver, au bout du labyrinthe, la lumière (promesse ?) d’une étoile... « Stars make dreams and dreams make stars »


        • christian dubuis santini (---.---.61.223) 15 février 2007 12:23

          Oui, bien sûr c’est intéressant. Comme le code Haynes en vigueur à Hollywood qu’il fallait savoir contourner avec une ruse narrative consommée... Mais en l’occurence, dans INLAND EMPIRE, la notion de « remake » plaide à mon sens en faveur de la thèse de la « récapitulation » avant la mort... L’héroïne revit l’histoire de sa vie selon le langage de condensation et de déplacement spécifique au rêve. Le film dure près de 3 heures mais ça peut correspondre à une fraction de seconde dans le réel. Un peu comme quand on s’endort et qu’on a l’impression d’avoir rêvé de dix mille choses alors qu’un coup d’œil à sa montre laisse apparaître qu’on a somnolé moins d’une minute... Elle essaie au cours de ce « remake » de récupérer la cohérence de son tragique destin pour tenter de trouver, au bout du labyrinthe, la lumière (promesse ?) d’une étoile... « Stars make dreams and dreams make stars »


        • Daniel (---.---.40.88) 19 février 2007 08:26

          Merci pour cet excellent article

          D’apres ce que j’en ai compris il n’y a pas 2 histoires mais 3 qui s’entremèlent ici Lynch complexifie encore sa construction par rapport à MD

          En effet l’histoire de la prostituée polonaise est très limipe. D’apres moi c’est un personnage de scénario

          Il y a aussi une actrice qui se rend compte qu’elle n’est qu’un clown et qui confond sa vie réelle et son role ce qui va l’ammener à rendre son mari jaloux (il croit qu’elle le trompe avec l’acteur alors qu’elle est éprise du personnage qu’il joue)

          Enfin l’image de la star hollywoodienne aussi brillante qu’irrelle qui nait à la mort de l’actrice et rejoint le panthenon d’autres personnages mythiques

          En revanche j’ai plus de mal avec les lapins... smiley


        • christian dubuis santini (---.---.61.223) 15 février 2007 16:28

          Oui, bien sûr c’est intéressant. Comme le code Haynes en vigueur à Hollywood qu’il fallait savoir contourner avec une ruse narrative consommée... Mais en l’occurence, dans INLAND EMPIRE, la notion de « remake » plaide à mon sens en faveur de la thèse de la « récapitulation » avant la mort... L’héroïne revit l’histoire de sa vie selon le langage spécifique du rêve basé sur les phénomènes de condensation et de déplacement. Le film dure près de 3 heures mais ça peut correspondre à une fraction de seconde dans le réel. Un peu comme quand on s’endort et qu’on a l’impression d’avoir rêvé d’un millier de choses alors qu’un coup d’œil à sa montre laisse apparaître qu’on a somnolé moins d’une minute... Elle essaie au cours de ce « remake » de récupérer la cohérence de son tragique destin pour tenter de trouver, au bout du labyrinthe, la lumière (promesse ?) d’une étoile... « Stars make dreams and dreams make stars »


          • Aude (---.---.222.95) 15 février 2007 22:17

            Christian,

            Je me suis cédée, j’ai tout lu boulimiquement...

            Ah ! J’enrage ! Mille fois le sort s’est acharné ! Je vais enfin découvrir l’objet de mes impatiences demain soir, si je ne me fais pas enlever par des vaches de l’espace d’ici-là ! Alors, comme je serai venue, j’aurai vu, j’aurai tout bu certes mais (toujours un mais), je n’aurai de toute évidence pas tout saisi, je passerai probablement pour deux-trois questions...

            Vous serez-là où chez vous ?

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