L’histoire de la photographie tourne une page. Willy Ronis vient de refermer son boîtier. Il vient de mourir à l’âge de 99 ans, à l’hôpital Tenon. Reporter et artiste, il était l’auteur de plus de 100 000 clichés dont certains sont devenus de véritables icônes. Avec Doisneau, Cartier-Bresson et Izis, Ronis avait restitué au plus près l’image du Paris populaire de d’après-guerre. Un paris libéré et tout à sa joie de revivre. Ronis a commencé à connaître la consécration dans les années 1970 et avait arrêté de photographier en 2001 . Cet été le festival les "Rencontres photographiques d’Arles" lui avait rendu un bel hommage. Il était la mémoire vivante de la photographie humaniste.
Willy Ronis, homme discret, élégant et tout de probité n’a jamais dévié de sa ligne. Jamais fait de concession ni de compromission. Ses photos en disent plus long sur lui que n’importe quelle biographie. Le regard qu’il pose sur ses contemporains est un regard distant, certes, mais non pas de cette distance que confère la morgue. Ronis respectait trop les gens, le peuple. S’il prenait du recul c’était pour mieux embrasser.
Rose Zehner (la photo qui illustre cet article), les amoureux de la Bastille, Le petit parisien... Longtemps, longtemps longtemps après que le poète aura disparu, ses images continueront à nous accompagner. La liste est longue des photos que Ronis a légué à la postérité. On ne sait pas forcément qu’il en est l’auteur.
Né à Paris 9ème le 14 août 1910, d’un père Ukrainien et d’une mère Lithuanienne qui ont fui l’Europe orientale et ses pogroms pour trouver à Paris un havre de paix, Willy rêve d’être musicien. Violoniste, précisément. Mais les circonstances l’en empêchent : « son père - retoucheur en photographie dans un studio de renom - ouvre son propre laboratoire sous le pseudonyme de Roness. Pour ses 15 ans, il lui offrira son premier appareil photo, un folding Kodak. Willy Ronis commence à réaliser quelques clichés de la Tour Eiffel, quelques autoportraits et des photos de familles » explique le blog d’un livre l’autre qui rappelle qu’alors « la photo ne l’attire pas du tout ».
Son père, qui se sent malade, lui demande de rependre sa succession. En 1937, entre deux photos de mariage, Willy Ronis couvre les grèves du Front populaire et vend ses reportages à la presse communiste (Regards, l’Humanité, notamment).
Le site phototraffic rappelle quant à lui qu’« en 1937, il décide d’être photographe reporter illustrateur indépendant, et archive la capitale autant que la montagne. Il multiplie ensuite les voyages en Europe, les reportages sociaux (grèves chez Citroën Javel, retour des prisonniers de la Seconde Guerre mondiale, célèbre portrait du ’Mineur silicosé’ en 51) ».
Il partage alors, souligne le blog ulike "les mêmes idéaux que Robert Capa et David Seymour (Chim), photographes déjà célèbres. Il a également l’occasion de connaître Kertész, Brassaï et Cartier-Bresson ».
Willy Ronis gagne clandestinement la zone libre pendant l’occupation. "Il refuse de porter l’étoile jaune, précise le Nouvel obs, et vit de petits boulots’. Il rencontre sa future épouse, le peintre Marie-Anne Lansiaux, qui lui servira de modèle pour l’une de ses photos les plus célèbres, le nu provençal.
Après la seconde guerre mondiale, il rejoint l’agence photographique Rapho (fondée en 1933 par Charles Rado) qui compte alors Doisneau, Janine Niepce, Sabine Weiss, Charbonnier, Boubat... Au début des années 50, il fait du partie du fameux groupe des XV qui compte alors la fine fleur de la photographie française avec l’inévitable Robert Doisneau, mais également Bovis, Souchiez, René Jacques, Edith Gérin, Jean Dieuzaide, etc.
Parallèlement il publie des ouvrages tel que le fameux Belleville Ménilmontant qui a connu plusieurs rééditions avec d’abord un texte de Pierre MacOrlan puis de Didier Daeninckx). Il obtient en 1957 la médaille d’or à la Biennale de Venise et en 1979 le grand prix national des Arts et des Lettres pour ’la Photographie’.
Il transmettra son savoir en enseignant à Avignon puis à Aix en Provence. En 1983 le photographe Claude Norri publie Sur le fil du hasard, sa première biographie. La même année il lègue son oeuvre à l’état. Dès lors les rééditions et les hommages se succèdent à un rythme régulier. La dernière grande rétrospective a eu lieu à Paris, à l’Hôtel de ville, en 2005/2006.
« Les photos de Willy Ronis sont marquées par une composition soignée, une grande maîtrise de la lumière héritée de son goût pour la peinture hollandaise », précise le Monde.
En juillet 2009, Willy Ronis est l’invité d’honneur des 40èmes Rencontres photographiques d’Arles. François Hebel, directeur de la manifestation se souvient d’un moment « extrêmement touchant » en compagnie de ce photographe « extrêmement sympathique » qui « restait des heures dans son exposition à parler avec des anonymes ».
Willy Ronis, qui avait légué ses oeuvres à l’état, avait réalisé plus de 100 000 clichés dont il se souvenait tous. Des clichés qui se souviennent de nous. Pour toujours.
. Sur France Culture, dans l’émission A voix nue, savourez les entretiens de Willy Ronis avec Guy Le Querrec enregistrés entre le 20 et le 24 juillet dernier.
. Paris.fr, le site de la mairie de Paris, rend hommage en images à Willy Ronis
Crédit Image : Willy Ronis
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Merci pour ce joli post à la mémoire d’un grand humaniste. A travers son oeil toujours discret, on décelait un amour énorme de ceux qu’il figeait ainsi dans l’éternité de la pellicule. Il y a une âme dans l’art de Ronis et le cliché n’est pas là dans un but uniquement esthétique. C’est peut être le vrai sens d’art populaire qu’il a mis en avant tout au long de sa carrière.
Merci pour cet hommage à Ronis dont j’ai récemment eu le plaisir de revoir une partie des photos lors de la superbe exposition qui lui a été consacrée à l’Hôtel-de-Ville de Paris et qui portait, entre autres, sur le Belleville d’avant les barbares bétonneurs !
C’est extraordinaire ces photographes qui ont tout appris par eux mêmes, et dont chaque photo était un chef d’oeuvre. A croire que leur appareil photo était en fait une extension de leurs yeux et de leur main, et que pour eux, prendre une photo était aussi naturel et évident que boire un verre d’eau quand on a soif.
De même, la photo des jambes de la femme qui saute par dessus la flaque d’eau, et celle ci de Cartier Bresson. Je ne savais jamais qui avait fait laquelle, et pourtant, chacune porte la griffe de son auteur.
Rien à voir, pourtant., mais celle ci me fait un peu penser à une photo prise au début du 20ème siècle à New York d’un groupe d’enfants pauvres qui dormait serrés les uns contre les autres dans la rue (je ne sais pas qui l’a prise, et je n’ai pas réussi à la trouver sur internet).
Parmi les photos de Ronis que je préfère, il y a celle ci, et celle là.
Toutes ces photos sont pleines de vie etde vérité. Elles sont à la fois des oeuvres d’art et des témoignages sensibles sur une époque révolue. C’est peut être pour ça que j’ai toujours préféré les photographes comme Ronis ou Doisneau à d’autres comme Man Ray, qui ont fait de superbes composition photographiques, quasiment parfaites, même, mais je n’arrive pas à ressentir d’émotion en les regardant.
Willy Ronis n’est pas parti de rien en matière de photo car son père était... photographe et tenait un petit atelier qu’il a cédé à son fils pour raison de santé.
Concernant la « vérité », il y a débat. Car nombre de ces photos (qu’elles soient de Ronis, de Doisneau ou des autres) sont des photos sinon posées, du moins qui ont donné lieu à plusieurs prises. L’exemple le plus connu étant le « baiser de l’hôtel-de-ville » de Doisneau. La vérité est en l’occurrence dans le sujet photographié plus que dans la prise de vue.
Cela n’enlève rien au talent de Ronis ou à celui de ses confrères.
Oui c’est vrai, j’avais oublié cette histoire des amoureux de l’hotel de ville, mais quand vous dites que la vérité est dans le sujet photographié, c’est vrai car même s’ils ont posé, je suis sûre que la part de vérité venait du fait qu’ils étaient vraiment amoureux l’un de l’autre :)
Par contre, une photo de Doisneau où là je suis sûre que c’est pas de la mise en scène, c’est celle où l’on voit ce monsieur qui louche à travers une vitrine sur une peinture représentant une femme nue, on voit bien le regard de l’homme qui n’est pas du tout dirigé au même endroit que celui de sa femme, ce serait vraiment dommage que ce soit une mise en scène, car c’est vraiment marrant comme photo.
C’est vrai que Doisneau était un guetteur de poésie urbaine, il choisissait un décor, et attendait qu’il se passe quelque chose, mais il s’est beaucoup amusé avec Prévert, avec Maurice Baquet à créer des images insolites. Ce qui brouille parfois les pistes. Ronis était plus dans la lignée des témoins ce qui n’empêche pas une certaine vision personnelle dans la composition de ses images.
On peut aussi rappeler que son exigence et son intégrité l’ont conduit à une retraite provençale (parce qu’il n’avait plus beaucoup de revenus, et que la Provence à cette époque était le refuge des artistes fauchés) quand il a refusé que ses clichés soient dénaturés par des légendes qu’il n’avait pas choisies. Ce que la presse, US en particulier, faisait sans complexe en détournant complètement le sens d’une photo. Soit avec un recadrage faussant le sens de l’image, soit avec une légende dénaturant l’intention de l’auteur. La presse française n’était pas non plus très honnête sur ce plan. C’est au cours de cette « retraite » forcée qu’il a fait la fameuse photo de sa femme « le nu provençal ». Aujour’d’hui, en 2009, un de seuls photographes ayant cette démarche humaniste, et cette ambition est sans doute Sebastiao Salgado, et aussi en un certain sens, Raymond Depardon. Salut monsieur Ronis, vous êtes pour toujours dans nos coeurs.
Salgado et Depardon sont en effet les héritiers de gens comme Ronis. Les photos des « paysans sans terre » de Salgado sont à cet égard saisissantes.
Personnellement, j’ai également un faible pour Albert Monnier l’Auvergnat, et Pierre Tairaz, le Savoyard, qui ont su photographier comme personne avant eux les populations et les habitats de nos montagnes.
au sujet du « Nu provençal » c’est une photo de hasard, à l’heure de la sieste, Ronis descend dans la cuisine, il voit sa femme se rafraichir au lavabo, il fait la photo, qui deviendra un mythe quelques années plus tard. (un peu comme la photo de Capa, le soldat de Teruel, qui est devenue un symbole après plusieurs années d’anonymat total)
et histoire de sourire, 30 ans après une américaine lui envoie un billet d’avio n pour venir à New York, pour refaire un « nu provençal » dans les buildings de Manhattan !!! ce fut un « nu à la fenètre »..
Concernant le « nu provençal », c’est ce qu’a toujours dit Ronis. Mais je ne suis pas sûr de sa sincérité sur ce coup-là (voir mon commentaire à Surya).
certes certes, mais ce qui plaide en faveur de la version de Ronis, c’est le fait que ce soit la seule photo de sa femme, en tout cas, elle n’était pas son modèle habituel à ce qu’il me semble, enfin il me semble, il faudra que je révise mes archives , quand il a fait du studio, et des nus féminins, c’est surtout parce qu’il ne pouvait plus marcher dans les rues, et aller sur le terrain, et comme c’était une photographe « debout » il a rangé définitivement son boitier quand il a été contraint, il y a 5 ou 6 ans, à se déplacer dans un fauteuil.