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À contre-sens

Quatre sur cinq

Cinq jeunes gens se donnent en spectacle dans un café. L’affiche est prometteuse, ce sont, prétendent-ils des humoristes, le rire est au programme puisqu’ils le disent. Curieux, j’ai envie de découvrir les ressorts de l’humour, cette politesse de l’âme pour supporter les horreurs du temps. Je vais, du moins je l’espère vivement, pouvoir tirer des enseignements, comprendre ce qui plaît à cette génération que je ne touche jamais dans les spectacles. C’est donc plein d’espoir que je plonge dans un univers, qui pour être franc, n’est absolument pas le mien.

L’attente aurait dû me mettre la puce à l’oreille. Je suis le seul à ne pas pianoter sur un clavier ni à siroter un savant cocktail servi dans un pot de confiture. Je fais déjà tache et ma vêture ne fait que renforcer la chose. J’attends fébrilement la suite, persuadé que les mots transcendent les catégories, dépassent les clivages et les différences pour faire naître par magie le rire.

La première prestation tout au contraire m’atterre véritablement. Celui qui passe pour le meneur de jeu lit un témoignage venu d’un réseau social. L’homme y décrit son assuétude à l’urine, son plaisir de mêler son absorption à des fantaisies sexuelles. D’entrée de jeu, nous tombons dans le caniveau en passant par les pissotières. J’avoue avoir déjà quelques inquiétudes d’autant qu’autour de moi, on rit de bon cœur…

Une femme se présente sur la petite scène. Elle vient de Paris, information capitale qui pour notre urophile par procuration atteste que nous avons bien de la chance de pouvoir jouir de sa prestation. En effet, il sera question de jouissance, celle de la dame qui se tape un jeune stagiaire. L’inversion des rôles pourrait être un support de comédie si la dame ne tombait pas elle aussi dans le graveleux, l’insignifiant et souvent, la vulgarité. Je ne peux le lui reprocher, ce sera, à une exception près le passage obligé de ces confessions pathétiques.

Car la suite sera du même tonneau. Nos humoristes en herbe vont à confesse. Quoique j’abuse ici d’un terme qui sort de leur lexique. Bite et cul serviront de ponctuation durant cinquante longues minutes d’étalage des pensées les plus sordides. Il y a malgré tout quelques rires dans la salle, franchir le dessous de la ceinture provoque encore un réflexe zygomatique. Je ne suis pas prude, j’aime les allusions, les métaphores, les circonlocutions pour évoquer l’amour. Il convient cependant que ce soit dit avec grâce, légèreté, respect pour le partenaire et subtilité, toutes précautions prohibées par nos humoristes autoproclamés.

Le temps me parait infiniment long. Aucun jeu de scène, pas la plus petite modulation de la voix, une tenue même pas choisie pour changer de personnage, entrer dans la peau d’un autre qui vient faire l’artiste. Ils sont englués dans leur quotidien, leurs pensées inavouables qu’ils étalent indignement, ils nous débitent des horreurs comme si nous étions leurs compagnons de beuverie. Quelques spectateurs entrent dans leur jeu, un couple notamment fait étalage de la même vulgarité.

Le plus terrible pour moi, c’est l’insignifiant lexique qu’ils utilisent. Les mots leur manquent cruellement, ils en perdent souvent le sens, les malmènent, les utilisent à contre-sens et s’en tirent le plus souvent avec des anglicismes valises, des termes bateaux qui ne les empêchent nullement de sombrer corps et âme. Jouer les artistes sans la moindre culture, se présenter devant un micro sans maîtrise de la langue, voilà l’enjeu de ce qui n’est en définitive qu’une gageure.

J’avais assisté dans le même endroit aux joutes verbales des slameurs. Ceux-là tout au contraire, aimaient la langue, la distordaient, s’en jouaient avec virtuosité. Même si leurs préoccupations étaient fort éloignées des miennes, ils avaient indubitablement l’amour des mots, des rimes, des confrontations de sens et de son.

Ceux-là n’ont que la passion d’eux-mêmes. L’envie de dérouler leur vie dans tout ce qu’elle a de plus sordide. Ils n’ont aucune intention, aucune ambition. Pas de contenu, pas de message, un simple déballage qui fait peine à entendre, qui n’apporte rien et n’ouvre sur aucune réflexion.

C’est parfaitement et définitivement pitoyable.

 

Fort heureusement dans ce miasme putride, une petite en devenir a surgi. Une jeune femme : Loredana FLORI ayant fui la Roumanie communiste avec ses parents. Elle joue de la langue fort convenablement, rebondit judicieusement aux remarques du public, use d’images et de références (pas toutes comprises loin de là par un public en symbiose avec les quatre autres). Elle se présente devant nous avec un numéro travaillé, écrit, mis en scène. Elle ne se contente pas de se prétendre humoriste, elle travaille la chose dans le respect du public.

Merci à elle. Je lui conseille vivement de sortir au plus vite de ce cloaque. Elle mérite de ne pas être identifiée à ses comparses d’un soir, humotristes de la déliquescence de la pensée et de la culture. Elle n’est pas encore un joyau, elle doit encore améliorer son spectacle, mais il y a là de belles promesses qui ont sauvé ma soirée. Je l’en remercie.

Bassement leur.

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