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Accueil du site > Culture & Loisirs > Étonnant > [Ascidie mon amie] Moi aussi je fais des Timelapses

[Ascidie mon amie] Moi aussi je fais des Timelapses

Chose promise, chose due, je vais enfin vous parler de l’ascidie ! Mieux encore, je vais vous présenter quelques uns de mes travaux !

Bon, petit rappel : je me suis expatrié à New York en septembre dernier pour venir faire ce qu’on appelle un Post-Doc (post-doctorat), c’est-à-dire un séjour plus ou moins long dans un laboratoire pour y mener un projet de recherche généralement différent des recherches menées pendant la thèse. Mon intérêt principal en recherche est l’Evo-Devo, une branche de la biologie qui tente d’expliquer des mécanismes évolutifs et de retracer des pans de l’histoire de l’évolution en comparant le développement de différents organismes. Un des moyens de comprendre la force de cette approche scientifique, c’est de justement se pencher sur le cas de mon nouvel organisme expérimental : l’ascidie Ciona intestinalis.

En effet, l’intérêt de ma précédente devinette, c’était de montrer que comparer la morphologie adulte de deux organismes n’était pas souvent la meilleure approche pour déterminer leur parenté : difficile de croire en effet que parmi tous les animaux invertébrés (insectes, mollusques, étoiles de mer, oursins, pieuvres, crustacés, méduses, coraux, anémones, etc…), ceux dont les vertébrés sont les plus proches sont les ascidies !

L'ascidie, Ciona intestinalis

Ascidies, Vertébrés. La ressemblance n’est pas frappante…

 

Et pourtant, si on se met à comparer leurs embryons et larves, comme Darwin l’a fait il y a plus de 150 ans…

Ah ben oui, tout de suite, la comparaison est plus prometteuse…

 

Il y a également le fait que vertébrés et ascidies partagent deux structures embryonnaires très importantes : la notochorde (qui disparait chez l’adulte pour la majorité de vertébrés et ascidies) et le tube nerveux (qui devient un peu n’importe quoi chez l’ascidie à l’âge adulte…). Mais à vrai dire, le groupe qui ne contient que les ascidies et tous les vertébrés porte un nom assez bizarre : il s’agit des Olfactores, nom donné par le Pr. Jefferies d’après la présence de potentiels appareils olfactifs homologues dans des fossiles (cornutes et mitrates, très controversés cela dit) pouvant représenter des précurseurs de vertébrés et ascidies (ah oui, j’ai oublié de vous dire, quand on fait de l’Evo-Devo, on prend moult pincettes…). Sa théorie dite de calcichordé (le fait que les chordés proviennent d’ancêtres qui formaient un squelette externe riche en calcium), faisait peu d’émules jusqu’à ce que des récentes et nombreuses analyses moléculaires confirment la proche parenté entre ascidies et vertébrés.

De fait, il est donc maintenant très intéressant de comparer le développement des ascidies avec celui des vertébrés. En terme évolutif, puisque les ascidies sont si proche de nous, elles peuvent, au cours de leur développement, avoir conservé des caractéristiques ancestrales sont l’observation nous permettrait de mieux comprendre comment se déroule notre développement, et comment nous avons évolué ! Et le développement chez l’ascidie, c’est super facile à observer en plus ! A partir de la cellule œuf, chaque division va donner de nouvelles paires de cellules de manière stéréotypée : en d’autres termes les divisions sont si bien organisées chez l’ascidie qu’à la fin de son développement on est capable de dire précisément le lignage cellulaire de toutes les cellules qui composent la larve : par exemple, telle cellule musculaire provient de la division de la cellule X au stade où l’embryon est composé de 32 cellules, etc…

Pour mieux comprendre le développement de Ciona intestinalis, voici deux planches représentant les différentes étapes de l’embryogenèse de cet animal :

 

La première planche nous décrit son développement observé en microscopie classique. La barre représentée sur la première figure (stade 1) représente l’échelle : 100µm soit 1 dixième de millimètre… donc tout pitit !

 

Cette seconde planche, nous décrit les mêmes étapes, mais en microscopie confocale.

Mais bon, on est là pour voir des timelapses là, non ? Et bien c’est parti avec un premier film en microscopie classique : 10 heures et 50 minutes de développement compressées en 18 secondes.

Mais bon, il ne s’agit malheureusement pas d’une œuvre SSAFT Film Production, mais de celle d’une équipe japonaise qui met gracieusement en ligne la description de leurs travaux. Les vidéos qui suivent, par contre, ont été acquises par votre serviteur :

Ciona intestinalis, gastrulation

 

Petits éclaircissements pour cette étape : la gastrulation. En gros et simplifié, la gastrulation, c’est le moment au cours du développement des animaux où les cellules commencent à bouger, en plus de se diviser, et où trois types de tissus commencent à se distinguer les uns des autres : l’ectoderme, l’endoderme et le mesoderme. L’ectoderme se trouve à la surface de l’embryon et donnera la peau et le système nerveux de l’animal, l’endoderme se trouve au plus profond de l’embryon et ses dérivés appartiennent majoritairement au système digestif, et enfin le mesoderme se retrouve coincé entre les deux autres tissus, et donne les muscles (+ cartilages et os chez les vertébrés).

Ciona intestinalis, d’early tailbud à late tailbud

 

 

Ciona intestinalis, d’early tailbud à late tailbud

 

Mais pourquoi ces embryons sont-ils tous verts, me demanderez vous. Et bien c’est parce que mon expérience… n’a pas marché. Ce que je désirai en fait, c’est observer la présence de molécules fluorescentes (que j’avais introduit dans les œufs fécondés) à des endroits bien spécifiques de ces embryons (en l’occurrence, dans la notochorde). Comme on peut le voir, mes embryons sont devenus complètement fluorescents. Donc ça donne de très jolis films, mais c’est totalement inutile pour mes recherches…

Quand même funky, non ?

Et bien pas aussi Funky que ce qu’a réalisé l’équipe d’Aniseed : un embryon de Ciona intestinalis virtuel !

 

Vous pouvez aller sur le site et télécharger ce superbe logiciel qui vous permet de naviguer autour, voire à l’intérieur d’embryons à différents stades de développement. Ce sont en fait des reconstitutions de véritables embryons dont la surface de chaque cellule a été scannée par microscopie confocale et reconstituée virtuellement ensuite. Le logiciel propose de nombreuses fonctions comme l’ablation virtuelle de cellule, des coupes virtuelles à travers l’embryon ou encore la coloration des cellules en fonction de leurs nature (musculaire, nerveux, etc…)

Bon ben c’est pas tout, mais j’ai des expériences à recommencer moi !

 

Références :

Satoh, N. (2003). "The ascidian tadpole larva : comparative molecular development and genomics." Nat Rev Genet 4(4) : 285-295.

Delsuc, F., H. Brinkmann, et al. (2006). "Tunicates and not cephalochordates are the closest living relatives of vertebrates." Nature 439(7079) : 965-968.

Passamaneck, Y. J. and A. Di Gregorio (2005). "Ciona intestinalis : chordate development made simple." Dev Dyn 233(1) : 1-19.

Hotta, K., K. Mitsuhara, et al. (2007). "A web-based interactive developmental table for the ascidian Ciona intestinalis, including 3D real-image embryo reconstructions : I. From fertilized egg to hatching larva." Dev Dyn 236(7) : 1790-1805.

Bourlat, S. J., T. Juliusdottir, et al. (2006). "Deuterostome phylogeny reveals monophyletic chordates and the new phylum Xenoturbellida." Nature 444(7115) : 85-88.

Bock, G. and J. Marsh (1991). Biological asymmetry and handedness, John Wiley & Son Ltd.

Sprinkle, J. (1987). "The calcichordate theory : the ancestry of the vertebrates." Science 236(4807) : 1476.

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9 réactions à cet article    


  • Triodus Triodus 11 juin 2010 11:59

    Oui, Funky ! Merci pour l’article !


    • Bernard Dugué Bernard Dugué 11 juin 2010 12:05

      Bonjour,

      Intéressant article mais on reste sur notre fin
      L’évo-dévo aurait mérité un petit exposé

      Les ascidies sont en fait des bilatériens, comme les insectes et les crustacés
      On dirait qu’ils sont le résultat d’une absence d’évolution.

      Quant aux anémones, méduses, ce sont des radiaires, et on peut les exclure a priori d’un rapprochement avec les vertébrés vu qu’ils sont diploblastiques


      • Triodus Triodus 11 juin 2010 15:46

        Un radiaire serait un bilatérien ayant mal tourné ? (1000 excuses..)

        Cdt,
        T.


      • Taupo Taupo 11 juin 2010 16:07

        Bonjour,
        En effet, l’Evo-devo est un sujet passionnant qui mérite un article dédié. Mon blog est en partie dédié à cette discipline et vous pourrez y trouver un certain nombre d’articles traitant d’evo-devo (ici, par exemple). Dès que j’aurai écrit un article sur le sujet de manière générale, je l’utiliserai comme lien pour éviter de me répéter.
        Je vais rebondir sur deux de vos remarques :
        la première « On dirait qu’ils sont le résultat d’une absence d’évolution » est un problème conceptuel courant concernant l’interprétation des mécanismes évolutifs. En soit, la tendance à la complexification n’est pas l’unique direction que peut prendre l’évolution d’un organisme. Par essence, l’évolution n’a pas de direction : on ne peut qu’observer ces directions qu’à posteriori. La tendance à la simplification d’un organisme est en réalité une tendance très commune parmi les exemples d’histoires évolutives. Pratiquement tous les parasites voient leur morphologie devenir de plus en plus simples, au fur et à mesure que ces populations, du fait de la sélection naturelle, deviennent de plus en plus adaptées à leurs hôtes. La perte de caractères complexes peut être, dans de très nombreux environnement, un avantage sélectif. Mais il y a parfois aussi des cas où une divergence évolutive engendre l’apparition de nouveaux lignages totalement différents de leurs lignées cousines et qui arborent des morphologies simplement différentes. C’est peut être le cas de l’ascidie, mais c’est certainement le cas du nématode. Les nématodes font partie du groupe de Ecdysozoaires qui contient tous les crustacés et insectes. On est à peu près certain que l’ancêtre de tous les ecdysozoaires arborait un certain degré de complexité morphologique. Les nématodes sont pourtant composés de près de 900 cellules, et ressemble à de petits vers extrêmement simples. Il est estimé qu’il y a plus de 500000 espèces de nématodes. Alors les nématodes sont-ils le résultat d’une « absence d’évolution » ? Au contraire ! Les analyses moléculaires ont montré que le génome de ces animaux a subi de très profonds changement et que le taux de modifications génétiques chez eux a été beaucoup plus important que chez la majorité des espèces d’ecdysozoaires. C’est la même observation qui a été faite chez les ascidies : pour arborer une morphologie si divergente, elles ont évoluées beaucoup plus vite que la moyenne !

        Ma seconde réaction concerne votre exclusion des anémones et méduses (qui sont appelées cnidaires et non plus radiaires de nos jours) d’un rapprochement avec les vertébrés. A partir du moment où l’évolution concerne tous les êtres vivants à partir d’un unique ancêtre commun, aucun lignage ne peut être exclu d’un rapprochement avec d’autres espèces. On parle de parenté plus lointaine, c’est tout.


      • docdory docdory 11 juin 2010 14:16

        @ Taupo

        Merci pour cet extraordinaire exposé , qui amène plusieurs questions :
        Cette « ciona intestinalis » est-elle présente dans l’intestin humain ?
        L’adulte de cette espèce ressemble t-il au moins partiellement à la photo de gauche que vous mettez en début d’article ? Apparemment , les photos ne décrivent que le stade larvaire.
        Il serait intéressant de voir des photos montrant la modification de la larve en individu adulte. 

        Et dire qu’il y en a pour penser que l’évolution est une théorie, alors qu’on peut l’observer partout !

        • Taupo Taupo 11 juin 2010 16:15

          Merci pour les compliments Docteur Doryphore !
          Ciona intestinalis est une espèce d’ascidie marine invasive. On en trouve presque sur toutes les côtes, accrochées aux pontons et coques de bateaux.
          L’adulte est bel et bien représentée sur cette image.
          En effet, la métamorphose de l’ascidie est très impressionnante... et sera l’objet d’un article sur SSAFT !


        • docdory docdory 11 juin 2010 18:18

          @ Taupo


          Ne manquez pas de nous prévenir de la publication de ce futur article, que j’attends avec impatience !

        • pruliere pruliere 12 juin 2010 12:42

          Bonjour Taupo,

          nous travaillons aussi sur l’ascidie ici à Villefranche sur mer, sur Ciona et Phallusia Mammilata...Nous nous intéressons à la méïose et aux premiers clivage. Nous étudions les mécanismes de mise en place de la polarité.
          Notre site : http://biodev.obs-vlfr.fr/recherche/biomarcell/

          Merci pour l’article


          • Taupo Taupo 13 juin 2010 02:03

            Je connais bien vos travaux et surtout les superbes images confocales que vous obtenez sur Ciona et Phallusia. J’allais d’ailleurs m’inspirer de vos travaux pour essayer FM4-64 sur Ciona, comme contre marquage membranaire !
            Merci pour le lien.

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