Des mesures qui ne font pas le poids
La science mène à tout, et l’humour s’y invite de temps en temps, comme on peut le constater dans le domaine des poids et mesures

C’est en tout cas ce que l’on pouvait découvrir en écoutant l’émission d’Etienne Klein, (la conversation scientifique-france culture) qui invitait, le 8 mars dernier, un grand scientifique, Gérard Berry, Professeur au collège de France, chercheur en informatique, et qui a reçu récemment la médaille d’or du CNRS pour ses travaux. lien
Il s’est indigné dans une communication récente de la disparition du mètre étalon, ce bel objet en platine iridié, en publiant un « manifeste pour la réhabilitation du pavillon des poids et mesures » lequel est en train de se vider de sens et de ses instruments de mesure. lien
Comme il l’écrit : « au fil du temps, il a perdu le mètre et la seconde, et ne conserve plus que le kilogramme étalon…et encore peut-être pas pour longtemps, car les scientifiques, dits modernes, ont perdu toute raison ».
Il voudrait donc redonner un sens à ce lieu mythique en y introduisant de nouvelles mesures.
Il ne s’agit pas pour lui d'en inventer qui n’existent pas, mais d’utiliser certaines de celles-ci, qui font partie de notre vie de tous les jours, mais qui restent imprécises…comme par exemple l’expression « à un poil près… ».
Il s’est aussi mis en tête de contester la théorie de la relativité d’Einstein, qui dit que rien ne peut aller plus vite que la lumière, en se basant sur une réflexion de Pierre Dac.
Ce dernier postulait : si on lâche en même temps une lampe électrique allumée, et un chat, du haut de la Tour de Pise, les deux arrivent en bas en même temps.
Dac concluait que le chat allait à la vitesse de la lumière…mais aussi que, alors que le chat retombera sur ces pattes, la torche électrique sera irrémédiablement cassée, faisant ainsi sortir le chat grand vainqueur de la compétition.
Dans son article, le chercheur pose avec humour des questions sérieuses : quand on dit par exemple, « ça fait une trotte », ou « c’est pas la porte à coté »…quelle est l’unité de mesure qui permettrait de comparer les deux distances ?
Il voudrait bien aussi que l’on puisse préciser la hauteur d’une pomme, car dans l’expression « haut comme trois pommes », ce serait tout de même essentiel de la connaitre.
Et le poil me direz-vous ?
Dans l’expression « à un poil près »…combien mesure le poil ?
Il milite donc pour la mise en place d’une « unité de poils » : le poil dans ce pavillon des poids et mesure serait donc la première nouvelle unité de mesure et il propose de faire fleurir les décapoils, hectopoils, kilopoils, mégapoils, térapoils…puis viendront les quart de poil, millipoil, micropoil, et autres nano poils…
Mais ce n'est pas tout !
Entre le parcours qui est à « un jet de pierre » ou celui qui n’est pas « la porte d’à côté »…pourquoi ne pas d’établir une échelle de valeur ?
À commencer par différencier les petites distances des autres : « au diable vauvert », « perpète les oies », « à dache »…ou « à Pétaouchnock »…sont à l’évidence assez éloignées …alors que « c’est à deux pas » est manifestement beaucoup plus près.
Au-delà de ces mesures de distances, le chercheur s’est aussi intéressé à celles qui concernent le temps.
Déjà, il s’interroge lucidement sur la durée des « longues minutes »…ou de « ces minutes qui paraissent des heures »… « Longues comme un jour sans pain ».
« Midi pétante »… « À point d’heure »… « À une heure indue »…sont autant d’expressions qui manquent cruellement de précision et le scientifique entend y mettre un terme.
« Entre chien et loup »… « Dès potron minet »… « À l’heure du berger » seraient logiquement les mesures de la matinée.
Suivraient les heures du soir, lorsque l’on se couche « avec les poules »…
Ce qui ouvre un vaste champ de réflexion puisque le temps passé pourrait se mesurer différemment que celui qui vient : quid de l’expression « la nuit des temps »…ou « Dieu sait quand ? »
Il propose donc une chronologie pour le temps allant à « de mon temps »…jusqu’au « bon vieux temps », en passant par « en ce temps-là ».
Puis pour le passé moyen : il faudra trier entre le « il y a un bout de temps »… ou « il y a une paye », « il y a un bail », « il y a belle lurette »… « Il y a des lustres »…il faudra donc déterminer avec précision combien dure une « lurette » !
QuanT au futur immédiat, pour les amateurs de procrastination, il faudra étalonner le « sur le champ »… « Séance tenante »… « Toutes affaires cessante » et « l’illico presto » lequel semble bien placé pour l’emporter.
Le dernier chapitre sur le temps concernera le futur lointain, voire très lointain, et il faudra mettre de l’ordre entre « c’est pas demain la veille », « quand les poules auront des dents », « aux calendes grecques », « à la Saint-Glinglin », pour finir par le définitif : « jamais, au grand jamais » qui semble le plus improbable.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur le temps, et surtout commencer par déterminer la durée d’un balai dans l’expression « j’ai 40 balais »…
Gérard Berry s’est aussi intéressé à la vitesse : il voudrait enfin déterminer précisément la vitesse de celui qui « marche à un train de sénateur », ou qui « marche d’un bon pas »…voire de celui qui « court comme un dératé »…vaste programme.
Le chantier qu’il veut ouvrir sur le temps ne connait pas de bornes, puisqu’il veut à tout prix donner une durée à quelques expressions que nous utilisons tous les jours, avec la plus grande imprécision : « Aussi sec, dare-dare, en un clin d’œil, en un rien de temps, en deux temps trois mouvements, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire »…
Il s’interroge avec curiosité sur la vitesse que fait l’automobiliste qui « roule à tombeau ouvert »…va-t-il plus vite que celui qui « roule comme un malade », ou que celui qui « roule à fond la caisse », voire que celui qui « roule sur les chapeaux de roue » ?
Mais la folie de la grande vitesse n’est pas l’apanage des seuls automobilistes…quelle est celle d’un « vent à décorner les bœufs » ?
Le scientifique voudrait aussi clarifier nos connaissances en ce qui concerne les mesures d’argent.
Entre l’objet qui coute « que dalle », celui qui « coute des clopinettes », celui qui « coûte trois fois rien » il voudrait bien que l’on puisse en déterminer le montant.
Rien, ce n’est pas beaucoup, mais moins que rien, c’est fatalement encore moins…quelle échelle de mesure pourrait-on donner au « rien » ?
Un objet qui « coûte la peau des fesses » coûte-t-il aussi cher que celui qui coute « les yeux de la tête » ?
N’est-il pas grand temps de donner un prix à ces « peaux de fesses », afin de les comparer aux « yeux de la tête… » ?
Quelle est la valeur d’une « modique somme »…ou d’une « somme rondelette » ?
Il faut donc les mesurer les unes par rapport aux autres : combien faudra-t-il de « modique » pour faire une « rondelette » ?
N’est-il pas essentiel, se demande le scientifique, de donner une échelle de valeur à un objet qui vaut « pas bézef », « pas des masses », « une misère », « une peau de chagrin », « un chouia »…tout ce dont il est sûr, c’est qu’ils sont moins chers que celui qui est « hors de prix »…mais, s’indigne le chercheur, ça manque cruellement de précision.
Le manque de précision existe aussi en cuisine, car entre un soupçon de safran, une pincée de sel, un filet de vinaigre, un nuage de lait, une larme de cognac, une lichette de crème fraîche, une noisette de beurre, et une giclée de vin blanc, on ne sait plus à quel saint se vouer et tout ça ne peut que provoquer un ratage total en cuisine.
Il ouvre aussi un champ de réflexion sur cette guerre ouverte qu’il existe dans les différentes mesures mondiales en souhaitant une normalisation, et une vraie paix des mesures.
La France défend « l’ampère, le baud, le becquerel, le coulomb, la curie, la poiseuille » alors que les USA ne veulent entendre parler que du « bel, de l’henry, du morgan »…la Suède militant pour le « celsius, l’erlang, le sievert », l’Angleterre ne veut rien d’autre que « le farad, le joule, le newton, », mais l’Ecosse voisine a choisi « le watt, le maxwell »…nos voisins italiens sont les fans du « volt », ceux d’outre-rhin ont choisi « le gauss, le hertz, le mach, l’ohm, le röntgen, le weber, le siemens »…sans oublier l’Irlande qui vote pour « le kelvin, le stokes », et les croates qui ferment la marche en prônant « le tesla »…
Il est vrai que tout çà fait désordre…
Il faudrait aussi demander au chercheur de donner une valeur à l’expression « le changement, c’est maintenant », expression utilisée comme l’on sait par un ex-candidat à la présidence de la république.
Maintenant, c’est « tout de suite »…ou « presque tout de suite »…ou « bientôt »…
Toute la France s’interroge.
Une seule certitude, les élections départementales, c’est dans deux semaines.
Comme s’interroge mon vieil ami africain : « est-ce que celui qui avoue être un menteur, dit la vérité ? »
L’image illustrant l’article vient de graphicami.com
Merci aux internautes de leur aide précieuse
Olivier Cabanel
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