L’énigme des HÉBREUX : Sont-ils un peuple très ancien ? Quand sont-ils apparus ? Sont-ils les Habirous ? Ou les Shasous ?
Certains récits-clefs de la Bible manquent de références historiques (textes antiques ou archéologie) qui éclaireraient sur l'historicité des Hébreux ou, au moins, qui apporteraient une datation extérieure à la Bible.
C'est pourquoi, la découverte de textes historiques mentionnant des populations qui pourraient être des Hébreux a suscité un vif intérêt parmi les érudits. Certains de ces textes étaient des échanges diplomatiques entre l’Égypte et d'autres puissances du Moyen Orient.
La vérification de ces hypothèses et l'ancienneté de l'Hébreu sont les deux sujets de cet Article.
image : Hébreux traversant la Mer de Joncs [Mer Rouge], poursuivis par l'armée du Pharaon – Fresque de la synagogue Dura Europos - vers 250 après JC - source : https://www.flickr.com/photos/becklectic/85324990/ - Auteur : made by photographer Becklectic - Public Domain : This file has been identified as being free of known restrictions under copyright law, including all related and neighboring rights. - https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Dura_Europos_fresco_Jews_cross_Red_Sea.jpg
Voici le plan de ma recherche :
> L'HÉBREU : MÈRE de toutes les LANGUES ?
> Les HABIRU sont-ils les premiers HÉBREUX ?
> Les SHASU sont-ils les premiers HÉBREUX ?
>>> L'HÉBREU : MÈRE de toutes les LANGUES ?
Enfant, c'est ce que j'ai appris. Et beaucoup de gens croient aujourd'hui que le terme 'Sémite' est synonyme de 'Juif' ou de 'Hébreu'.
En fait, l'Hébreu est une des multiples langues Sémitiques issues d'une source Proto-Sémitique commune. Et, pour Thomas RÖMER, « On ne peut parler de juif ou de judaïsme avant l'époque perse,voire avant l'époque hellénistique, car c'est seulement vers le IV ième ou III ième siècle [avant JC] que se met en place un système religieux qui ressemble à ce que l'on désigne aujourd'hui sous le nom de judaïsme. » (1) p.20 – Et l'on doit attendre le 1er siècle après JC pour que soient solidement intégrés les concepts liés à l'au-delà, au Sauveur de la fin des temps, au Jugement individuel, etc etc
Les travaux de Béatrix MIDANT-REYNES montrent qu' après bien des millénaires de conditions écologiques favorables au Sahara (dont les céramiques ont précédé d'un millénaire celles du Proche-Orient), l'aridification progressive a repoussé ses populations, aux VIIe et VIe millénaires avant JC, vers la vallée du Nil, où ils se sont installés et d'où ils ont essaimé à la fin du néolithique. Des influences d'origines égyptiennes notables ont été d'ailleurs observées en Palestine, étalées sur plusieurs siècles, aux environs de 4000 avant JC. (5)
Ces populations sont identifiées comme étant la source du Proto-Sémitique, lequel est donc venu d'Afrique saharienne, 5 ou 6000 ans avant JC.
image = Relations entre les Proto-Langages Afro-Asiatiques - Encyclopædia Britannica - https://www.britannica.com/topic/Afro-Asiatic-languages#/media/1/8488/115632
Les écrits des Sémites Akkadiens (vers 2500 av. JC) sont les plus anciens écrits connus de Sémites (rédigés en Sumérien). Sans doute sont-ils issus d'une première 'vague' d'immigration venue d'Afrique. L'antique langue Akkadienne montre d'ailleurs une parenté avec l'Ancien Égyptien et avec le Berbère.
Plus tard, vers 1500 av. JC, s'épanouiront l'Ougaritique et l'Amorrite.
Le groupe des langues Cananéennes apparaîtra un peu plus tard. Ce sont essentiellement celles appelées Phénicien, Hébreu, Ammonite, Moabite. Toutes utiliseront d'abord l'alphabet Phénicien pour s'exprimer.
En parallèle se développent l'Araméen, l'Arabe, etc.
Le tout étant très bien synthétisé par l'Encyclopædia Britannica :
image = Famille des Langues Sémitiques - Encyclopædia Britannica - https://www.britannica.com/topic/Semitic-languages/Classification
Les traditions orales des Sémites du Groupe Cananéen auraient donc pu commencer à être mises par écrit à partir du début du premier millénaire avant JC. Soit environ 15 siècles après les Sémites Akkadiens (écrivant en Sumérien cunéiforme), et près de deux millénaires après les Anciens Égyptiens (écrivant en hiéroglyphes).
>>> Les HABIRU sont-ils les HÉBREUX ?
Dans Habiru, le 'u' se prononce 'ou'. Il s'écrit aussi Habirou, Hapiru, Abiru,... Le terme est apparu en Occident à partir de 1887, à la lecture de tablettes découvertes à El Amarna, en Égypte. Tablettes écrites en Akkadien cunéiforme (langue diplomatique). Ces tablettes couvraient la période du XX ième au XIV ième siècle avant JC. Il s'agissait d'archives de correspondances égyptiennes, dont une bonne part était liée à la Palestine.
Les Égyptiens font la différence entre Habiru et Shasu, puisque les deux apparaissent (comme deux catégories différentes d'une liste) dans deux des listes de prisonniers qui ont été retrouvées.
Dès 1890, le terme Habiru a été mis en relation avec les 'Ibrîm (Hébreux) de la Bible. Cette propositions a suscité un grand retentissement. « C'était effectivement la première fois que l'on pouvait prétendre trouver la trace indéniable de l'arrivée des Hébreux au pays de Cana'an. » (2)
Le terme ''Habîru'' (en phonétique Akkadien), correspondait aux idéogrammes Sumériens ''LU-SA-GAZ'' qui signifiait clairement ''Brigands'' ou ''Bandits de grands chemins''. « Se posait, dès lors, le problème de cette qualification (…) : une auto-dénomination agressive, ou un sobriquet péjoratif, montrant la première trace d'antisémitisme ? » (3)
D'autres tablettes d' El Amarna parlaient aussi de ''Habiru'' localisés un peu partout au Moyen Orient. On fit donc conférence sur conférence pour clarifier « Le Problème des Habiru. »
L'analyse de l'assyriologue Jean BOTTÉRO conclut définitivement que « cette désignation n' a jamais un sens ethnique, mais seulement social » (…) Les Habiru « apparaissent dotés d'un statut social pour ainsi dire négatif : ce sont des personnes (hommes, femmes et enfants) en position marginale et à part, aussi bien de la population urbaine que des nomades proprement dits ; ethniquement, socialement et politiquement déracinés et non-intégrés à un groupe organisé quelconque. » (4)
Jean BOTTÉRO illustre son propos sur nombre de points qui émergent à la lecture des tablettes. Par exemple :
> On ne naît pas Haribu, mais on le devient : en fuyant la justice, en désertant, en refusant un statut de servitude, etc.
> Les Habiru ne parlaient pas tous la même langue.
> Leurs noms propres sont d'origines variées : ouest-sémitiques, babyloniens, hurrites, ou autres.
>Chez les Habiru, on ne trouve aucune trace de structure tribale ou clanique, ni un quelconque titre (Cheikh, Ancien, etc)
> les Habiru pouvaient se trouver ''embauchés'' par un roi (mercenaires) ou par des particuliers du fait de métiers recherchés.
Ainsi, « on aurait tort d'imaginer la société et la population de l'ancien Proche Orient sur le mode binaire et figée en deux blocs : Sédentaires, d'une part, et Nomades, de l'autre, avec, pour seul passage possible de ceux-ci à ceux-là, un mouvement connu et continu de sédentarisation. Entre les deux, il faut poser (…) en particulier celui des bandes de ce que l'on peut appeler les ''Nomades accidentels'' (…). Les mieux connues sont celles des Habiru (…). » (4)
« On voit néanmoins, au résultat de cette longue enquête, à quel point le roman créé aux origines de l'assyriologie d'un habiru ''proto-hébreu'', signifiant en fait ''pillard'', se dissipe totalement (…). » (2)
>>> > Les SHASU sont-ils les premiers HÉBREUX ?
Les Shasu sont mentionnés sur des textes Égyptiens sur la période du XV au XII ième siècles avant JC, soit sous les règnes d'une dizaine de pharaons successifs.
Il est intéressant de noter que cette période fait suite, en Égypte, à plus d'un demi-siècle de conflits avec les Hyksos, qui se terminèrent par leur expulsion, vers 1520 (?) av. JC. Les armées du pharaon Ahmôsis les ont poursuivi fort loin (Sinaï, Néguev, Canaan).
Les Hyksos ont été un 'groupe' formé de plusieurs origines ethniques (Cananéenne, Égyptienne, autres) qui se sont culturellement interpénétrées et qui ont développé une importante activité marchande à l'est du delta du Nil, centré sur la cité d' Avaris.
Ainsi donc, pendant plusieurs siècles après cette 'expulsion', les écrits Égyptiens mentionnent la présence de nomades Shasu, en nombre d'endroits correspondant à une vaste zone couvrant Sinaï, Palestine, Jordanie, Liban, et Syrie.
Parfois, le nom du lieu associé à certains Shasu évoque une divinité : Bel, Anat, Yhw. Et l'on ne saura sans doute jamais si le nom du lieu a donné celui de la divinité, ou bien l’inverse.
Cette mention de la « terre des Shasu de Yhw » fait penser à la mention (vers 1210 avant JC) du terme « Israël » sur la stèle de Merenptah (6). Comme le rappelle François DAUMAS, sur cette stèle, « Le déterminatif du mot 'Israël' montre sans aucun doute qu'il s'agit de tribus et non d'un peuple ou d'une ville fixée au sol. Les armées royales auront probablement anéanti, au retour de leur expédition palestinienne, quelque tribu israélite qui se trouvait malencontreusement sur leur passage dans le sud du pays. »
image = Représentation d'un prisonnier Shasu – Source : The Epigraphic Survey, Medinet Habu II, Later Historical Records of Ramses III (OIP 9 ; Chicago, 1932), Plate 99 – Auteur : User-Sinuhe20 - Public Domain - https://en.wikipedia.org/wiki/Shasu#/media/File:Shasu.png
Les Égyptiens représentent les Shasu avec habits et coiffures spécifiques, différents de ceux qui représenteront (plus tard) les Israélites. Lesquels sont représentés dans le style Cananéen. En outre, les Égyptiens utilisent pour les Shasu (qui sont des nomades ou semi-nomades) un déterminatif définissant les lieux où se trouve le groupe de Shasu objet de leur texte, et non un déterminatif de peuple ou de ville.
Les Shasu ne seraient donc pas les Hébreux, dans une vision Égyptienne.
Mais on peut aussi argumenter que les Égyptiens de l'époque se représentaient les différents groupes humains étrangers selon leurs propres schémas mentaux, et les décrivaient en cohérence, de manière standardisée. Ce qui ajouterait à l'incertitude. Certains auteurs disent carrément qu'après Ramsès III, « Sous le nom de Shosou sont désignés maintenant des peuplades diverses. » (7) L'auteur suggère même que le groupe qui participa à l'Exode était une de ces ''peuplades diverses''.
En conclusion de ce paragraphe, je dirais qu' il ne peut être exclu qu'une petite partie des Shasu ait pu être des 'proto-Hébreux' qui ignoraient alors faire partie de cette catégorie en devenir. Nous verrons bientôt pourquoi.
….......................
Au final, mon sentiment est que les Hébreux ne sont ni les Habiru, ni les Shasu. C'étaient pourtant deux ''pistes'' qu'il semblaient initialement légitime d'étudier puisque basées sur des textes historiques Égyptiens, extérieurs donc à la Bible. Ces deux ''pistes'' avaient aussi l'avantage de pouvoir être compatibles avec certains récits de la Bible, du point de vue des datations.
Nous restons donc sur notre faim. Sur les premiers Hébreux, nous ne savons en fait que peu de choses. Je vais donc poursuivre les investigations et proposer un second Article avec le plan suivant :
> INVESTIGATIONS sur les PREMIERS HÉBREUX.
> L'apparition des premiers HÉBREUX.
JPCiron
:: :: :: :: :: :: :: NOTES :: :: :: :: :: :: :: :
….. (*) - Traduction de la Bible par Louis SEGOND 1910
….. (1) – Ouvrage « L'invention de Dieu » par Thomas RÖMER – Seuil – 2017
….. (2) - Communication « Le problème des haBirum » par le Pr Jean-Marie DURAND, Assyriologue au Collège de France (2011)
….. (3) - note JPCiron : J.M. DURAND évoque ici la réaction des intellectuels en 1890, parlant de ces temps anciens, bien plus de 1000 ans avant notre ère, où tous les Israélites étaient alors polythéistes, avec des ''paniers'' de dieux différents selon les endroits, comme d'ailleurs l'étaient tous les autres Sémites de cette région du monde. Dès lors, que ces intellectuels parlent d'antisémitisme en l'espèce met en évidence un automatisme mental désolant.
….. (4) – Article « Entre nomades et sédentaires : les Habiru. » par Jean BOTTÉRO In : Dialogues d'histoire ancienne, vol. 6, 1980. pp. 201-213.
DOI : https://doi.org/10.3406/dha.1980.1408 - https://www.persee.fr/doc/dha_0755-7256_1980_num_6_1_1408
….. (5) - Ouvrage « Aux Origines de l’Égypte, Du Néolithique à l'émergence de l’État » par Béatrix MIDANT-REYNES – Fayard – 2003
Mention y est faite d'afflux de populations entre 4300 et 3700 en vallée du Jourdain, dont les traditions sont en rupture nette avec les groupes précédents. La structure des habitations y évoquent clairement l'Égypte (Maadi). Il en est de même des statuettes variées qui y ont été trouvées (de style Badari et Nagada I). (p. 279 à 295)
…... (6) – Article « La Stèle de Merenptah/ Minephtah (dite stèle d'Israeel) » par JPCiron - https://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/la-stele-de-merenptah-minephtah-213459
. ….. (7) - Article « Les Bédouins Shosou des documents égyptiens. » par Raphaël GIVEON, In : École pratique des hautes études. 4e section, Sciences historiques et philologiques. Annuaire 1963-1964. 1963. pp. 339-340. - DOI : https://doi.org/10.3406/ephe.1963.4787 - www.persee.fr/doc/ephe_0000-0001_1963_num_1_1_4787
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