Le tampon
Du contrôle vétérinaire.
Quelque part dans ce pays qui se prétend civilisé, un grand rassemblement sportif attire la foule des curieux, la multitude des invités pour remplir les gradins, le gratin des personnages importants disposant de privilèges ou de conditions particulières. Pour tous : un contrôle rigoureux à l’accueil même si les entrées ne sont pas identiques, que vous soyez humbles ou bien importants. Même la tenue des agents de sécurité diffère d’un endroit à un autre. C’est désormais pratique admise par tous que de distinguer les individus en fonction de leurs revenus, niveau social et carnet d’adresses, il ne faut plus s’en offusquer.
Sitôt à l’intérieur, je devine immédiatement que ce monde, en dépit de ma position parmi les gueux, n’est pas le mien. Les stands qui font étalage de belles promesses n’ont rien à voir avec mon monde. Il semble qu’une autre planète vive à côté de la mienne sans que je ne sache rien de ses codes ni de ses rituels. Je passe là, ébahi de tant de simagrées pour une compétition sensément sportive. Il y a là des choses qui me dépassent.
Je ne vais pas m’attarder sur l'événement. Il y a sans doute un grand décalage entre l’affiche et la réalité, entre les intentions de grandeur et l’impression de gentil bazar qui s’impose à moi. Les gradins sont clairsemés, l’ambiance mollassonne, le jeu proposé insipide. Les autres spectateurs sont sans doute, tout comme moi, venus par inadvertance, sans véritable motivation, si ce n’est celle de profiter de l’aubaine.
Les petits enclos installés tout autour du terrain de jeu auraient dû éveiller mon attention. De gentils espaces fermés, des carrés dans lesquels les organisateurs ont mis en évidence des spectateurs primés, des bêtes de race, à la robe étincelante, au poil lustré et à la mine avenante. Il y a là la fine fleur de la production locale. Le reste du public n’a d’yeux que pour ces animaux de foire, exposés ainsi à notre admiration jalouse.
C’en est trop pour un persifleur notoire, je prends la poudre d’escampette, préférant l’air libre à cet espace confiné réservé à une sélection dont je n’admets pas les principes. C’est pourtant à la sortie que je vais tout comprendre. Une nouvelle troupe de gardiens zélés de l’ordre sanitaire guette le quidam qui veut prendre l’air. Nouveau contrôle des billets qui ont été dûment passés au scanner à l’entrée et nécessité de marquer l’individu qui veut s’émanciper quelques instants de l’endroit.
Un individu, patibulaire veut m’imposer un tampon sur le plat de la main. Immédiatement je me rends compte qu’il doit s’agir d’un contrôle sanitaire et même vétérinaire afin que je puisse revenir à engraissage après avoir bénéficié du label : élevé en plein air. Je ne suis pas encore un goret qu’on tamponne, je gueule comme un porcin mal embouché, affirmant que ces pratiques sont indignes de l’humanité. « Pourquoi pas un tatouage avec un numéro de péremption pendant qu’ils y sont ! ».
Je vois autour de moi les sourires navrés de ceux qui n’ont pas osé s’indigner d’un tel manque de considération. Le Cerbère me regarde, interloqué tout d’abord, sans doute incapable de comprendre les raisons de ma colère, avant que de trouver le mode de fonctionnement pour lequel il a été employé. Il roule des épaules, menace, roule les yeux et hausse le ton : « Vous ne pourrez plus rentrer ! »
C’est justement bien mon intention mais j’avais envie de montrer à tous les moutons consentant que désormais ils sont traités comme du bétail dans ce genre de situation. Bientôt, la puce électronique nous sera implantée de force dans le corps pour assurer une traçabilité à toute épreuve. Le tampon est véritablement un procédé archaïque qu’il convient bien vite de remplacer.
Nous vivons dans une époque résolument moderne, inhumaine et indigne. Je quitte avec plaisir cet endroit en me demandant bien pourquoi je m’y étais laissé entraîner. J’ai néanmoins matière à me gausser de tous ces ridicules qui se pensent et que l’on panse. Cela valait bien ce gentil coup de griffes.
Sanitairement leur.
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