Quand ils voulurent taxer le vin
Conférence bonimentée

Les grandes séditions de 1635.
La gabelle, l'odieuse, l'immonde taxe sur le sel ne leur suffisait pas. La gourmandise de l'Etat et la nécessité de poursuivre la guerre contre Charles-Quint poussèrent Louis le treizième à promulguer une taxe dont il allait se mordre les doigts. Qu'on frappe les humbles au garde-manger en leur faisant payer fort cher ce sel, si précieux alors pour conserver viande et poissons, passait déjà fort mal mais qu'on vienne à s'en prendre à leur gosier, l'affaire devenait bien trop grave pour rester les deux bras en croix.
Quel fut le fâcheux ou l'inconscient qui eut cette idée saugrenue de décréter une taxe sur le vin ? La postérité n'a pas honoré son nom ; et c'est tant mieux ! La mesure fut si mal accueillie que, de par tout le royaume, les paysans et les ouvriers en colère le firent savoir très fort. La sédition gagnait nos provinces et, au premier rang de celles-ci, les régions où le vin circulait sur les rivières.
La Loire et la Garonne furent le théâtre d'actions sans doute déplorables mais ô combien symptomatiques, de l'importance qu'on accordait alors au roi des breuvages , principal vecteur de l'économie de ces régions. Cette taxe inique fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase de la colère. Dans ces cas-là, les hommes s'en prennent toujours à des comparses qui ont le seul tort de se trouver du côté du manche.
Sur les rivières, la profession de gabelou eut, cette année-là, une redoutable tendance à voir décroître ses effectifs par noyade. Il est possible d'attribuer, bien naïvement, ce déplorable incident aux risques accrus de la navigation, après trois années qui avaient été particulièrement néfastes aux chemins qui vont sur l'eau. Mais ce n'est qu'interprétation fallacieuse et tromperie manifeste.
Si les préposés aux prélèvements des taxes se noyaient ainsi au nom de la si commode loi des séries, c'est tout bonnement que les mariniers, les cordiers, les tonneliers et tout ce peuple innombrable qui vivait du transport fluvial, les y avaient gentiment invités. Un bourrade, une maladresse, si vite arrivée quand on est chaud du bonnet et... le malheureux allait rejoindre les poissons.
La natation n'étant guère prisée en ces années-là, les piscines bien plus rares encore que les salles de bains, les apprentis nageurs se trouvaient bien vite emportés par des eaux hostiles et fort encombrées. Nulle main secourable ne venait se tendre pour sauver le percepteur de son funeste sort. L'homme voulait percevoir son dû ; c'est en liquide qu'il était payé.
On put déplorer en maints endroits pareils homicides. Sur la Garonne comme sur la Loire, les représentants de Sa Gracieuse Majesté avaient pris l'habitude de couler à pic. La taxe sur les cabaretiers était restée en travers de la gorge des croquants. Ce fut même à cette occasion, qu'un peu plus tard, en 1637, un certain gentilhomme du nom de Hubert de La Mothe, fédéra les mécontents pour mettre en péril le pouvoir.
Ce pouvoir avait,en effet, poussé le bouchon trop loin, il dut se rétracter et ne plus s'en prendre à notre si précieux pinard. Depuis, les choses ont bien changé et les taxes sur les vins et spiritueux ne nous mettent plus en jacquerie. Il est vrai que nous sommes si souvent sollicités, que les bonnes idées de Richelieu sont revenues aux oreilles de nos gouvernants.
En 1635, l'homme de robe et pouvoir avait instauré, en effet, des taxes sur les alcools, les tabacs ; il avait triplé les impôts et mis à sac le royaume. L'adage « Trop d'impôts tue l'impôt » ne fut pas exprimé immédiatement par les économistes de l'époque mais on peut faire remarquer, sans crainte d'être réfuté, que le petit peuple, mécontent, mit en exergue une version bien plus efficace « trop d'impôts, tue son percepteur ! ».
Nous pourrions nous inspirer des mariniers d'alors pour réduire quelque peu la pression fiscale qui nous accable. Les temps ayant changé, plutôt que de mettre à l'eau des comparses et des subalternes, celui qui dirige le pays de son charmant petit pédalo pourrait bien faire trempette. Gageons que,le cas échéant, notre homme, habitué à nager en eau trouble, saura se sortir sans dommage de l'aventure et qu'en revenant à terre, il reconsidérera sa gourmandise fiscale.
Nous devrions toujours regarder plus attentivement les leçons de l'histoire. Elles nous apportent souvent bien des éclairages précieux et parfois des solutions auxquelles nous n'avions pas songé. Que ce petit récit réveille votre ardeur, sera le plus bel hommage rendu à nos mariniers, cordiers et tonneliers de cette époque lointaine.
Cabaretièrement leur.
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