Un TP, un article : 1001 pattes
Dernier volet de l’exploitation de mon TP sur les insectes pour en faire des articles de blog. Alors après avoir discuté de leurs mues et de leurs trachées, nous allons aujourd’hui découvrir les 1001 manières qu’emploient les insectes pour se balader dans leur environnement.
Un fil à la patte
Mais avant de regarder gambader nos petites bestioles, attardons nous un instant à étudier leurs 6 petites gambettes. Pour cela, un brin d’anatomie insectoïde s’impose :
Chaque patte est constituée de plusieurs parties qu’on a nommées, anthropocentriques que nous sommes, avec un vocabulaire évoquant nos propres membres. On retrouve donc une hanche (ou coxa en latin), qui lie la patte au corps et qui est prolongée par un trochanter, un fémur, un tibia et plusieurs segments formant un tarse qui se termine par des griffes.
On compte 2 paires de pattes par segment thoracique de l’insecte comme dans le schéma qui suit :
Ah ! Et bien du coup, pour rectifier certaines idées reçues (et vu qu’on ma souvent dit que j’écrivais trop petit), je vous montre enfin à quoi ressemble véritablement une patte de mouche :
Avec de si jolies pattes et du fait qu’ils en portent 6, on s’étonnera moyen de constater qu’une grande partie des insectes sont de très bons marcheurs, en témoigne ce film au ralenti d’un cafard crapahutant :
On y voit que le cafard a toujours trois points d’appui simultanés : 2 d’un côté et un de l’autre. C’est comme s’il utilisait 2 systèmes de trépieds successivement. Mais bon, c’est bien de trottiner, mais il y a plus funky comme mode de locomotion, non ? Mais oui ! Heureusement que l’évolution est là pour fiche le souk au plan d’organisation des pattes d’insectes et pour nous donner des insectes sauteurs, fouisseurs et nageurs ! Et puis ce serait curieux de parler d’insectes sans évoquer leur capacité à voler ! Alors c’est parti pour un petit tour d’horizon des prouesses athlétiques de nos amis les insectes (car il faut les aimer aussi) :
Humans can’t Jump
Le galbe des pattes de mouches ou de cafards illustré plus haut est quand même assez peu prononcé. Mais certains insectes sont dotés de puissantes pattes adaptées aux cabrioles. Matez-donc moi les guibolles que se paie cet orthoptère :
Remarquez que ce ne sont que les pattes arrières (les pattes métathoraciques pour les intimes) qui sont dopées aux hormones. Un peu comme pour les pattes de grenouilles, la forme et la longueur des pattes vont offrir à l’insecte une détente du feu de dieu. Jugez-plutôt sur ces films au ralenti :
Ses pattes métathoraciques hypertrophiées constituent une des caractéristiques du groupe des orthoptères, les sauterelles, criquets et grillons. Ce ne sont pas les seuls et l’on retrouve des pattes de compet’ chez les puces notamment. Encore un coup de la convergence évolutive !
A force de vous parler de convergence évolutive, vous allez croire que certaines fonctions nécessitent des structures ayant toujours grosso modo la même tronche. Alors, pour sauter, est-ce qu’il faut systématiquement avoir des pattes de grenouilles ? Meuh non, nous répond le collembole !
Lui saute en effectuant plutôt des saltos arrière triple axel :
Traduction :
Pour se déplacer sur l’humus, les collemboles sautent de manière originale.Ils possèdent un petit levier à 2 branches sous leur abdomen. Un coup de ce levier suffit à les catapulter à 15 cm de haut dans les airs. C’est l’équivalent d’un humain sautant au dessus de la tour Eiffel. Et s’ils atterrissent à l’envers, ils ont une façon originale de se remettre sur pattes : ils utilisent un appendice leur fournissant du liquide de nettoyage afin de se coller sur le sol et leur permettre de se retourner à l’endroit.
Ce fameux appendice abdominal s’appelle une furca et est soigneusement maintenu au repos par un second appendice abdominal nommé rétinacle :
20000 µm sous la terre
Chez les orthoptères, c’est pas parce qu’on possède des mollets de lévriers qu’on va systématiquement être cantonné à sautiller de brin d’herbe en brin d’herbe. Avec deux autres paires de pattes avec lesquelles jouer, l’évolution a exploré des nouvelles pistes d’adaptations pour conquérir de nouveaux milieux. Et pourquoi pas aller sous terre où l’on trouve plein de racines à grignoter, des invertébrés faciles à chasser et où l’on est plutôt peinard niveau prédation ! Mais pour cela, mieux vaut être muni de paluches adaptées au fouissage, un peu comme une taupe ! Voire presque exactement comme une taupe ! Dans le genre convergence évolutive de derrière les fagots, matez-moi donc la ressemblance entre les pattes d’une taupe… et celles du grillon-taupe !
Bon, une photo où les pattes sont accrochées au reste du spécimen, ça peut être pas mal aussi :
Ici, ce qui s’est passé, c’est que ce sont les pattes avant (pattes prothoraciques quand on n’a pas fini de se la péter) qui ont accumulé les modifications pour devenir ces sortes de pelleteuses :
Cette forme est due à un aplatissement et rabougrissement des parties de la pattes, avec un tibia tout biscornu et garni d’épines qui servent, avec les tarses, de griffes supplémentaires. Le tout permet au grillon-taupe de se creuser de belles galeries :
I believe I can Fly
Bon, on a vu en détails les insectes qui font scrac scrac scrac… mais qu’en est-il des insectes qui font bzz bzz bzz ? Pour voler, contrairement aux vertébrés, les insectes ne sont pas dotés de pattes modifiées mais de structures indépendantes : 2 paires d’ailes dorsales sur le meso et métathorax (les deux segments arrière du thorax, pour ceux qui suivent pas). Les insectes ailés appartiennent tous au groupe monophylétique des Pterygotes. Ca veut dire qu’ils sont plus proches entre eux que de n’importe quels autres insectes. Mais attention, ça ne veut pas dire que si un insecte n’a pas d’ailes, il n’appartient pas aux Pterygotes. C’est comme avec les tétrapodes sans pattes, certains groupes d’insectes peuvent avoir perdu secondairement leurs ailes, comme la puce illustrée plus haut.
Mais en matière de vol, tous les insectes ne sont pas logés à la même enseigne.
Déjà, il y a ceux qui ne peuvent pas replier leurs ailes au repos comme les odonates (les libellules et les demoiselles). Leur vol est assez performant et leur permet de faire du surplace ou encore de voler en arrière (du moonflying quoi).
D’autres insectes comme les coléoptères ou les orthoptères possèdent des premières paires d’ailes modifiées pour abriter et protéger la paire d’aile qui va leur servir à voler. Du coup c’est moins acrobatique comme vol…
D’autres insectes ont des ailes de différentes tailles. C’est le cas des hyménoptères (abeilles, guêpes, fourmis) qui ont des ailes accrochées les unes aux autres, et les lépidoptères (papillons) qui ont le plus souvent 2 paires d’ailes de formes bien différentes. Leur vol possède un je ne sais quoi de plus… virevoltant.
Et puis enfin il y a les diptères (mouches et moustiques). Comme leur nom l’indique, les diptères n’ont qu’une seule paire d’ailes. La paire postérieure est toute rabougrie et forme ce qu’on appelle des haltères, et que les diptères utilisent comme gyroscope pour les aider à stabiliser leur vol. Du coup les diptères réalisent des cabrioles aéronautiques très rapidement, ce qui ne facilite pas leur écrabouillage…
Allez petite compile de vidéos de ces différents types de vol au ralenti :
Et pour les afficionados d’aéronautique, ‘gadez un peu les turbulences générées par le vol de ce cétoine :
Les rois du patin
Généralement, marcher sur l’eau n’est pas donné à tout le monde…
Mais quand on pèse quelques grammes, on a plus de facilités pour tenter sa chance. Du coup, certaines adaptations évolutives ont permis à des insectes de venir patiner gracieusement sur l’eau. Les insectes patineurs les plus connus sont les gerridés (qu’on appelle, souvent mais à tort, araignées d’eau ou puces d’eau alors qu’elles appartiennent au groupe des hémiptères, au même titre que les punaises, les cigales, etc…) :
Pour patiner ainsi, les gerris profitent de deux phénomènes physiques : la tension de surface de l’eau et l’hydrophobicité des soies qui garnissent leurs pattes. C’est bof clair là, non ? Bon alors détaillons un peu :
A chaque fois qu’il y a un plan d’eau, une rivière, un lac, la mer, votre verre à dent, il y a une interface entre l’eau et l’air. A cette interface, les molécules d’eau qui s’attirent entre elles forment une sorte de pellicule du fait qu’elles sont plus attirées vers le reste de leurs petites copines dans l’eau que vers l’atmosphère. Du coup, cela crée une tension (c’est vrai que c’est tendu des molécules d’eau qui restent en groupe comme ça sans vouloir aller voir les molécules gazeuses de l’air…) : une tension superficielle. Cette tension peut exercer une force suffisante pour maintenir à la surface des objets plus denses que l’eau :
Ensuite, les longues pattes des gerris vont leur permettre de répartir au mieux leur poids pour que la tension de surface puisse faire parfaitement effet. Pour ce rendre compte de l’importance de la tension de surface, on peut prendre des Gerris, les déposer sur un bol d’eau et y déposer une goutte de savon (dont les tensioactifs vont diminuer la tension de surface de l’eau) : le résultat est radical, les gerris se noient au fond de l’eau (Expérience à ne donc PAS REPRODUIRE A LA MAISON, bande de vauriens !)
En plus, le moindre surplus de poids pourrait compromettre cet équilibre des forces ! Et si le gerris venait à être mouillé, ça n’arrangerait pas les choses. Du coup, l’intégralité de son corps est recouvert de milliers de soies hydrofuges par mm² pour éviter de se mouiller (hydrofuge = anti mouillé). En plus, si le gerris venait à être immergé, les soies emprisonneraient des bulles d’air qui permettraient à l’insecte de rejoindre très vite la surface.
Les soies qui sont à l’extrémité des pattes des gerris sont spécialisées et servent à la fois à l’hydrophobicité et à une augmentation de la surface pour répartir le poids du patineur :
Et pour patiner, comment qu’on fait ? C’est sioux les amis ! Les pattes médianes vont servir d’avirons et les pattes arrières de gouvernail. Les tibias des pattes médianes frappent rapidement la surface de l’eau pour former une mini vague, puis le gerris utilisent ses griffes pour accrocher la crête de cette mini vague et se propulser vers l’avant. Ca n’a pas l’air efficace comme ça, mais un gerris peut patiner à la vitesse d’1 mètre par seconde ! C’est pas Candeloro qui patinerait si bien :
Certes, les Gerris sont des patineurs hors pair, mais il n’ont pas l’exclusivité de la patimare ! Vous vous souvenez des grillons taupes ? Et bien certaines espèces de grillons taupes savent également très bien déambuler sur l’eau ! Oui oui, malgré leurs pattes avant en forme de pelles et leurs pattes arrière de kangourous !
Mais alors dans le genre convergence évolutive, je vous raconte pas comment cette espèce, Xya capensis, est un petit bijou paradoxal ! Déjà, elle appartient au groupe des Tridactyloidés qui est en fait assez éloigné des grillons-taupes que je vous ai présentés précédemment (qui appartiennent au groupe des gryllotalpidés). Et pourtant, elles ont le même look de sapeurs et creusent des belles galeries quand elles sont sur la terre ferme !
Autre paradoxe, cette espèce, qui parfois pose le bout de ses 6 pattes sur l’eau, ne patine pas à la surface : elle bondit, comme ses cousines les sauterelles… mais sur l’eau !
Encore plus surprenant, les fourmis Polyrhachis sokolova peuvent patiner sur l’eau, voire nager en faisant une brasse à 6 pattes !!!
Traduction :
Les fourmis vivent à peu près partout. L’eau qui descend dans cette mangrove d’Australie expose à l’air frais une fourmilière au sein de la boue. A chaque marée basse, les fourmis doivent réparer les dégâts engendrer par le passage de l’eau.Des entrées effondrées doivent réouvertes, et les tunnels bouchées doivent être dégagés. Maintenant que la boue est déposée, les fourmis doivent collecter la nourriture déposée par la marée. Mais il reste toujours des étendues d’eau à traverser. La tension de surface de l’eau les supporte tandis qu’elles dansent pour la traverser. Parfois, elles nagent ! Et il y a eu effectivement un dépôt de nourriture. Mais la marée crée aussi un problème : elle a effacé les traces de phéromones qui délimitent leur territoire et il n’y a donc pas de limite entre leur espace et celui de fourmilières avoisinantes. L’interrogation d’un inconnu est complexe et détaillée. Qui es tu ? D’où viens tu ? Les réponses sont données rapidement et acceptées. Mais quelque fois, il faut se battre pour régler la question… Elles ont peut être réglées leur désaccord, mais maintenant il y a une menace plus importante et qui les concerne toutes les deux. La marée monte. Elles doivent rejoindre leur fourmilière. Pendant que la marée est haute, les larves et les pupes sont déplacées pour les garder à une température propice à leur développement. Et il faut aussi les déplacer car la fourmilière n’est pas étanche. Plusieurs tunnels sont inondés pendant la marée haute. Il n’y a pas de temps à perdre. Mais l’eau n’atteint pas toutes les parties de la colonie car les fourmis ont construit des chambres en forme de cloche qui stocke des poches d’air et constituent donc des refuges où les adultes et les larves peuvent attendre la fin de la marée.
Waterworld
Dernier type de locomotion de notre série : la nage ! Et pas de la brasse comme Polyrhachis sokolova mais de la vraie plongée ! Comme je vous l’avais expliqué dans mon article sur la respiration des insectes, le fait qu’ils utilisent un système de trachée restreint leurs possibilités de visiter le monde aquatique. Mais nombreuses sont les espèces qui emportent des réserves d’oxygène et peuvent ainsi rester longtemps sous l’eau. Il y a par exemple la notonecte, qui nage sur le dos :
et le dytique qui nage sur le ventre
Encore un coup de la convergence évolutive, ces deux groupes d’espèces possèdent des pattes arrières très développées et munies de nombreuses et longues soies qui augmentent la surface en contact avec l’eau : ce sont de véritables palettes natatoires (j’avais déjà évoqué le mot en parlant des palettes natatoires pour le membre chiridien des tétrapodes). Observez la différence entre les pattes antérieures et postérieures ! D’abord chez Agabus didymus :
Et maintenant chez Notonecta glauca :
Par contre leur nage est assez différente :
Et puis je ne résiste pas à la tentation de vous reparler du mode de propulsion des larves de libellules.
Si vous vous rappelez bien, les larves de libellules sont capables de respirer sous l’eau à l’aide de trachéobranchies… cachées dans leur rectum. Pour respirer, elles pompent donc de l’eau par le rectum dans une cavité appelée l’ampoule rectale. Elles peuvent contrôler le flux et la pression du jet d’eau qui sort par le rectum si bien qu’elles peuvent utiliser ce système pour se propulser ! Des vraies fusées à eau ! Elles peuvent aussi accumuler de la pression hydraulique à l’intérieur de l’ampoule rectale pour déployer leur sorte de mâchoire diabolique, le masque, servant à capturer des proies en un éclair :
Traduction :
Ceci est une larve de libellule, De l’eau est pompée dans l’abdomen à travers une ouverture du dernier segment. Des contractions musculaires permettent le pompage de l’eau. Des trachéobranchies absorbent l’oxygène dissous dans l’eau. Un jet d’eau permet à la larve de nager bien plus vite que si elle effectuait ce mouvement avec ses pattes. L’un des trait physique qui sépare les odonates des autres insectes est leur labium hypertrophié, sorte de mâchoire inférieure.Certaines espèces possèdent des tissus mous bordant le labium et qui joue le rôle de piège lorsque la larve attrape sa proie, comme ici avec une notonecte. Lorsqu’elles ne chassent, ces parties servent à recouvrir les pièces buccales. Les odonates passent la grande partie de leur cycle de vie sous forme larvaire (environ 2 à 3 ans selon la T°C de l’eau et l’espèce). Elles deviendront tout autant voraces à l’état adulte…
Et c’est fini pour cette série de billets sur la métamorphose, la respiration et la locomotion des insectes. J’espère que ça vous aura plu et que vous en avez pas déjà plein les pattes !
Liens :
Aramel : LE site de l’entomologie !
Article Not Exactly Rocket Science
Référence :
Burrows & Sutton. 2012. Pygmy mole crickets jump from water. Current Biology 22 : R990
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