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Accueil du site > Culture & Loisirs > Extraits d’ouvrages > François TOLZA / « ADORACIÓN » / Sur la piste d’une plume qui le vaut (...)

François TOLZA / « ADORACIÓN » / Sur la piste d’une plume qui le vaut bien !

15 août 2017, les vendanges ont bien 15 jours d’avance. A Frontignan on cueille le muscat petit grain. A Limoux où tout se coupe à la main, Blanquette oblige, le chardonnay et le pinot sont rentrés et il faudra attendre pour le chenin et le mauzac...

A l’image du blé, le raisin a fait l’objet, pratiquement depuis l’antiquité et peut-être jusque dans les années 70, d’une récolte sacrée. Si la mécanisation et plus que tout la chimie avec ses maux en -cide lui ont fait perdre son caractère rituel, une collecte improbable, d’un autre genre (que l’Internet en soit remercié), peut faire revivre la liesse des hommes soucieux du ciel quand la terre daigne offrir en retour le fruit de leurs efforts.
Une recherche aussi aléatoire que chanceuse nous a donc amenés à ouvrir un numéro de « La Revue du Caire », "revue de littérature et d'histoire" dans sa huitième année. Les numéros 76 et suivants publient « ADORACION », une oeuvre de François Tolza.

http://www.cealex.org/pfe/diffusion/PFEWeb/pfe_002/PFE_002_029_w.pdf

Est-ce une longue nouvelle ? un petit roman ? une novella ? Comment nommer, en effet, un ouvrage de 152 pages ? Et qu’il est déconcertant de réaliser qu’il a été écrit entre 1941 et 1942 à Alexandrie... Alors que l’Afrikakorps de Rommel menace le Canal de Suez, artère vitale des Britanniques. L’auteur se replonge dans une ambiance qu’il connaît trop bien, celle d’un village du Roussillon, du microcosme de ses habitants aux moeurs peu charitables.
Tous ceux qui aiment le monde de la vigne s’y retrouveront. Sans doute sonderont-ils aussi le mystère d’un auteur apparemment sorti de l’anonymat par ce seul titre « ADORACION ».
Qui était François Tolza ? Sur une plume qui gagne à sortir de l’ombre, l’opacité d’un brouillard demeure...

 

 

 François TOLZA :

« .../... Depuis huit jours la « colle » (1) du Bagne allait et venait dans les vignes de la Plane. Chaque fois qu'arrivée au bout d'une rangée elle se rabattait pour prendre une rangée nouvelle, cela faisait un mouvement d'éventail qui se ferme et puis s'ouvre. Quarante coupeuses se penchaient vers la terre, brassaient les ceps de leurs bras habillés de sac. Derrière elles, les vignes étaient pareilles à un velours froissé. Les hotteurs venaient par derrière, le corps droit, les doigts appuyés aux bretelles de leur hotte. Ils se penchaient tantôt à gauche, tantôt à droite, recevaient les seaux en arquant les jambes pour se parer du poids, puis, la hotte pleine, sautaient deux ou trois coups, jambes pliées, afin de répartir et de consolider sur leur dos blessé, leur charge. Après quoi ils s'en retournaient, courbés et lents, pareils à des scarabées, une feuille de vigne aux dents pour oublier la douleur de leur dos, jusqu'au chemin vicinal où s'alignaient les comportes. Faustin leur désignait la comporte où ils devaient vider leur charge.../...

 

.../... C'était un homme fort. Il n'avait pas son pareil pour les coups de main. Il était capable de hisser jusqu'au talon de la charrette une comporte pleine, une main à chaque cornelière. Cela lui arrivait quelquefois lorsqu'il fallait faire vite, que la pluie tombait et que l'on craignait pour le degré ... Sortir une roue d'une ornière était un travail pour lequel, disait-il, il n'y avait pas de quoi péter. Il faisait tout d'un effort lent et sûr, presque imperceptible. A le voir hisser une comporte, on ne devinait pas le moment de la plus forte tension. Une fois la chose dans ses mains, on la voyait quitter le sol et lentement monter comme soulevée par une machine. Ce n'était pas à cause de sa force qu'on l'avait mis à faire des comportes. Il avait un coup d'œil étonnant pour répartir les chargements. Au charretier qui revenait de la cave, de loin, il criait : 

- Alors ? un peu plus que la dernière... dans les 1250 ...

Le charretier ne répondait pas, tendait le ticket rouge de la coopérative. Faustin y jetait les yeux, souriait. La différence n'allait pas au delà de 20 kilos .../...

 

 

.../... Ce jour-là, le train de midi avait depuis longtemps haleté derrière les collines Les coupeuses dépliaient leur dos, les unes après les autres, s'immobilisaient en bavardant, dans l'attente du déjeuner. Ce n'est pas que « la colle » du Bagne fût plus vaillante que celles d'alentour. Il y avait là beaucoup de jeunesse résolue à faire des vendanges joyeuses, sans coups de colliers, avec des pauses à l'heure. Les vieilles ne formaient que l'armature, les cadres. Depuis vingt ans la Cagotte était « moussègne » (2) et elle connaissait son métier. Elle amenait tout son monde dans son sillage sans qu'il y eût jamais un grincement. A la pointe de la file, elle allait de son train régulier de femme besogneuse devant une « colle » qui avait souvent le nez en l'air. Mais, lorsque la distance se faisait par trop grande, tout bavardage cessait. Les hotteurs ne faisaient plus de plaisanteries. Les mères aidaient les jeunes qui s'empêtraient dans les feuilles. On n'entendait plus qu'un froissement de plantes, le bruit sec des sécateurs et le glissement des seaux sur les cailloux plats de la vigne.../...

.../... De sa poche, il tira, au bout du lacet de soulier qui lui servait de chaîne, la montre qui virevolta. Irma et la petite d'Angle lui bourrèrent les côtes, abattirent sur la montre leurs mains poissées, vérifièrent l'heure.

 Voilà que tu ne sais plus voir l'heure mon pauvre Faustin. C'est-y que tu aurais trop de travail à « quicher les comportes ? ou bien que le vin du Bagne serait trop clair ?

Elles lui mirent la montre bombée sous les yeux. Elles lui tirèrent les cheveux et les oreilles. Lui riait de bon cœur comme un enfant. Déjà les vieilles promenaient leurs hardes et leurs paniers, à la recherche de l'ombre. Aux comportes, les filles lavaient leurs mains avec des grappillons verts et durs dont le jus acide piquait les yeux. Derrière le hangar de roseaux, sous un arbre que le vent devait peigner durement l'hiver, toutes les branches en fuite vers la mer, la « colle » se rangea en rond. Ils mangeaient en silence, les jambes bien allongées sur le sol, le regard délivré. Faustin coupa une tomate, mit les deux lobes sur une large tranche de pain, arrosa le tout d'huile et de vinaigre, sala, poivra.../...

 

.../... Ils étaient tous, hommes et femmes, des quatre coins de Sainte-Marie. Les premiers jours ils s'étaient sentis un peu étrangers les uns vis-à-vis des autres. Ils avaient mesuré leurs paroles, vérifié les images qu'ils se faisaient de chacun. Puis, très vite, les préférences avaient maçonné des groupes. On les retrouvait le long de la file des coupeuses, rassemblés aux heures de repos. Seules, deux ou trois vieilles vivaient à l'écart, traînantes au bout de la file, sommeillantes et écrasées aux repas. Pour les autres, dont la sieste n'était pas un besoin,c'était deux heures de conversation et de délassement.../...

.../... Maintenant ils chargeaient. Debout sur le talon de la charrette, Idrou, le charretier, donnait la corde. Faustin l'enroulait deux fois autour de la cornelière, puis, les deux mains au cul de la comporte, il poussait un ah ! qui la jetait, avec fracas, sur le plancher du véhicule. Idrou la faisait louvoyer d 'une ridelle à l'autre sur le plancher gluant de grappes écrasées, l'amenait sur le devant, la calait contre les supports de fer entre lesquels couraient les chaînes. La dernière comporte monta lentement. Faustin la soutenait dans ses mains en corbeille ; puis elle s'encastra, jetée d'un bloc, sur le côté de la charrette. Idrou, d'une chaîne, ceintura la jumelée. Il n'avait pas fini de vérifier tous les crochets, que la jeunesse prenait la charrette d'assaut, logeait ses paniers, installait des brassées de feuilles sur les comportes pleines. Le charretier allait et venait des brancards au talon, passait la main sous la ventrière du limonier. Déjà loin, le vieux cheval des Bagnes amenait d'un pas fatigué, dans la jardinière cahotante, les vieilles et les mères. Un coup de fouet, l'effort brutal et silencieux des muscles attentifs, le claquement des traits sur les brancards, la morsure des roues sur la terre et l'attelage s'arrachait de la vigne. A l'ouest, le soleil était encore haut. Il pouvait être cinq heures. Des quatre coins des Planes, les « colles » affluaient vers les chemins, pressées de gagner, avant le crépuscule, la route nationale, plus sûre, où l'on était certain de trouver du secours en cas de besoin. La journée finie, les femmes enlevaient les foulards de tête, passaient leurs doigts dans leurs cheveux collés, enfouissaient au fond des paniers les tabliers sales et les espadrilles trouées. Lentes de tous leurs dos meurtris, de leurs jambes raides, elles s'en venaient vers le village. Il faisait un vrai temps de vendanges. Quoique les matins fissent prévoir des après-midi chaudes, il y avait quelque chose dans l'air qui démentait les orages et la canicule. Dès dix heures, la campagne se dorait. Le ciel prenait un bleu fatigué de début d'automne. A peine si les midis brûlaient aux flancs des pierres et faisaient l'air plus lourd autour des souches. On ne mangeait pas au fort des ombres, mais dans cette zone tiède à la lisière de l'ombre et du soleil. Au ciel, pas un nuage, mais cette immobilité limpide, purifiée, de tout de qui n'est pas durable. Les soirs se teintaient d'orange, éclaboussant les vignes de verts ternis où les cépages blancs tournaient au jaune pâle.../...

 

(1) La « colle » désigne l’ensemble du personnel préposé à la récolte d’une propriété.
(2) Pour « moussègne », l’auteur indique « chef de colle ».

 

Photos autorisées commons wikimedia
1. Vendanges Maestri,_Michelangelo - Busto_di_Bacco - 1850
2. Vendanges Colle de vendangeurs. Corbières
3. Vendanges Repas de vendanges dans l'Hérault vers 1900.


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1 réactions à cet article    


  • lisca lisca 17 août 2017 17:25

    Merci pour cette ode au raisin !

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