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Accueil du site > Culture & Loisirs > L’été léger > Deux créoles pur jus de canne

Deux créoles pur jus de canne

Momo & Bernard

Tout commença par une fort belle randonnée : celle que je recommanderai à tous ceux qui arrivent sur cette île aux centaines de chemins balisés. La marche ici exige endurance et condition physique. Les dénivelés sont à effrayer les natifs du Val de Loire, les sentiers sont escarpés, les falaises abruptes. La balade de « Roche Verre Bouteille » permet de découvrir en moins de deux heures tout ce qui vous attendra par la suite : la beauté du décor, la difficulté des reliefs, la nature des passages tout en abordant avec parcimonie les épreuves que vous rencontrerez ultérieurement.

C’est là la plus parfaite mise en jambe qui soit, le rite initiatique pour le marcheur métropolitain en quête de découvertes réunionnaises. Paradoxalement, ce fut ma dernière escapade sur la belle île. Il faut bien un point final à cette aventure lointaine et celui-ci méritait quelques exclamations. C’est dans la descente vers Le Port que je fis halte dans un de ces charmants petits bouis-bouis créoles : « Chez Momo ». J’y mangeai merveilleusement bien pour un prix modique et je voulus exprimer ma gourmande reconnaissance au cuisinier.

C’est là que je fis la connaissance de Momo. Nous discutâmes longuement, Momo me raconta son parcours professionnel, ce qui le conduisit à cette cuisine si subtile. Il avait commencé par une formation de boucher dans un lycée technique. Fort de ce bagage de bouche, il partit faire son service militaire dans la marine nationale en rade de Toulon comme cuisinier, ça va de soi. Momo venait d’enfiler le grand tablier blanc …

Il resta en France en se faisant engager par le club Méditerranée. Évian d’abord, la Bretagne ensuite, puis en bon créole qu’il est, ses chaussures ayant des ailes, Momo va découvrir le Maroc, la Tunisie, le Brésil et enfin le Mexique. C’est là qu’il devra s’avouer vaincu par les sauces pimentées du pays au Sombrero. De son long parcours, il a ramené des savoir-faire, des épices, des parfums qu’on retrouve dans son humble gargote.

Momo aurait pu ouvrir un restaurant ; il préfère sa petite structure qui lui laisse du temps pour s’adonner à la pêche au gros, son autre passion. Il discute, laisse passer son heure de repas. Il évoque Toulon, le Rugby, les requins : sujet incontournable depuis le drame de samedi. Nous devisons comme de vieux amis. Je dois le quitter à regret. Si vous passez par là, n’hésitez pas à faire halte gastronomique chez ce délicieux personnage …

Bernard, tout au contraire, est l’un de ces pauvres hères qu’on n’aborde pas spontanément. Il porte sur lui la misère de sa condition. Édenté, le visage émacié, les traits marqués par une vie de privations. Il vient pourtant à moi alors que je suis à la recherche d’une boulangerie. Vous allez dire que c’est le ventre qui me mène et vous n’auriez pas tort. C’est souvent par ce biais que je fais des rencontres ; l’expression la plus aboutie du bouche à oreilles sans doute.

Bernard va m’accompagner durant une bonne demi-heure à travers les rues en pente du Saint-Denis des hauteurs. Il parle vite, articule peu, use d’un français approximatif tout en faisant l’effort de ne pas employer le créole pour se faire comprendre. Il commence par une longue rengaine sur l’euro, les difficultés financières, la crise de l’emploi, les attentats et, naturellement, les requins.

Puis il décrit son parcours. Sa formation de plombier qu’il a dû compléter par un long stage de mise à niveau à Périgueux en 1993. Depuis, il cherche vainement du travail. Il vit désormais du RSA et de quelques petits expédients. Auparavant, il était au RMI. Bernard vient de déménager : il s’est installé sur les hauteurs pour des raisons économiques. Il joue au loto pour espérer changer sa destinée.

Bernard aborde alors la question religieuse. Il veut absolument savoir si je crois en Dieu. Ma réponse le laisse pantois. Lui qui mélange allègrement les cultes hindouistes et catholiques ne peut concevoir qu’on puisse n’avoir aucune croyance. Il insiste pour savoir ce qui peut ainsi me motiver à risquer les feux de l’Enfer. Il préfère détourner la conversation ; il y a des choses qui le dépassent ...

Bernard est l’archétype de ces créoles laissés-pour-compte par une économie qu’ils ne comprennent pas. Il subit les événements sans parvenir à s'insérer dans ce monde trépidant. Il se contente d’une vie au ralenti, a sans doute un peu perdu pied avec le réel en étant depuis si longtemps à l’écart du travail. Momo est le représentant de ceux qui ont osé, qui ont entrepris ou bien quitté leur île pour aller chercher du travail. Il est revenu, comme le font tous les expatriés, dans ce petit coin de Paradis. C’est sans doute pour cette raison que Bernard se contente de peu ; la vie est si douce sur le rocher …

J’ai quitté à regrets ces deux personnages si différents l’un de l’autre. J’ai aimé qu’ils se racontent ainsi, sans pudeur ni forfanterie avec un réel plaisir d’être écoutés par un zoreille . J’ai goûté pleinement ces instants qui furent le suc de mon voyage. Je leur souhaite à tous les deux bon vent. Que Bernard puisse un jour gagner au loto de la vie et que Momo sorte un énorme poisson lors de cette sortie en mer ….

Rencontrement leur.

Pic-de-la-Roche-Verre-Bouteille-3807.JPG


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12 réactions à cet article    


  • juluch juluch 6 septembre 2016 12:24

    La cuisine de la réunion est excellente, j’ai eu l’occasion d’y goûter............on en redemande !


    • C'est Nabum C’est Nabum 6 septembre 2016 13:10

      @juluch

      Je n’ai eu de cesse de cuisiner des mets introuvables en France
      Quel bonheur

      je vous invite si vous passez en Orléans


    • juluch juluch 6 septembre 2016 19:50

      @C’est Nabum

      J’en prends note !!!  smiley

      Absent pendant 3 jours sans PC......je rattraperai les articles !

    • C'est Nabum C’est Nabum 6 septembre 2016 20:30

      @juluch

      Quel courage

      Merci


    • Gilles Mérivac Gilles Mérivac 6 septembre 2016 13:17

      Je laisserais de côté le personnage de Momo qui a passé beaucoup de temps à l’extérieur du département est n’est pas un créole typique.
      Des gens comme Bernard, il y en a à la pelle à La Réunion, mais ils se sont piégés eux-mêmes. Ils ont constamment voté pour des gens qui leur promettaient l’égalité avec la métropole, et ils l’ont obtenue, mais pour quel résultat ?
      Le département ayant beaucoup moins de ressources économiques, de débouchés et de savoir faire que n’importe quel département métropolitain, est obligé de recourir à un assistanat massif pour survivre. Pratiquement toutes les mairies emploient des gens à temps partiel pour permettre à des familles entières de survivre. Cela encourage beaucoup de gens comme Bernard à se contenter des revenus du RSA, alors qu’il pourrait très bien travailler.
      Le spectacle de ces « bougs » déambulant sur la route ivres morts au risque de se faire renverser par une voiture, en se parlant à haute voix parce qu’ils sentent qu’ils sont socialement inutiles et que personne ne va les écouter, devrait convaincre quiconque qu’une société d’assistanat est une horreur totale.


      • C'est Nabum C’est Nabum 6 septembre 2016 15:41

        @Gilles Mérivac

        Bernard est effectivement dans l’impasse et ne peut s’en sortir
        C’est une certitude et il n’a sans doute plus la volonté ni la possibilité de s’en sortir

        Que faire ?


      • Gilles Mérivac Gilles Mérivac 6 septembre 2016 16:49

        Comme je le disais, une personne assistée n’a plus aucune autonomie.
        En revanche, l’île Maurice, qui se trouve à 200 km, est moins riche, et les gens travaillent plus durement, mais ils ne sont pas assistés et ont plus de contrôle sur leur vie.
        Mais les choix ont déjà été faits et on ne peut plus les changer.


        • C'est Nabum C’est Nabum 6 septembre 2016 17:57

          @Gilles Mérivac

          Vouloir rendre service se retourne parfois contre celui qui aide
          C’est toujours complexe ce genre de chose et la nuance s’impose à tous


        • Gilles Mérivac Gilles Mérivac 7 septembre 2016 08:25

          @C’est Nabum
          Il y a un endroit dans les dictons populaires qui est pavé de bonnes intentions ..
          En réalité, les choses sont simples, ce que demande une personne, c’est d’avoir sa place dans la société, d’y être reconnue pour ce qu’elle fait. Quand quelqu’un a été dévalorisé dans son enfance, cela entraîne de grandes souffrances, il lui faut parfois toute sa vie pour se reconstruire. Il arrive parfois que cette personne ait du charisme et entraîne les autres dans un sillage vengeur, c’est alors une catastrophe pour l’humanité. Les exemples historiques sont évidents.


        • C'est Nabum C’est Nabum 7 septembre 2016 09:06

          @Gilles Mérivac

          Nous trouvons notre place ici et sans doute ailleurs tandis que certains n’ont même pas un petit espace de reconnaissance
          C’est là leur drame


        • L'enfoiré L’enfoiré 9 septembre 2016 11:53

          Bonjour Nabum,


           J’avais prévenu qu’il y aurait un billet sur l’île Maurice.
           Et vous y êtes mentionné...

          Bon weekend 

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