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Et un raton laveur

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Enchaînement

 

Le raton laveur, charmant petit mammifère délicat, doit son nom à son habitude de tremper dans l'eau sa nourriture avant de la manger. C'est ainsi, selon des procédés qui lui appartiennent, qu'il vérifie la comestibilité de ce qu'il entend se mettre sous la dent. Encore faut-il que sa rivière ne soit pas polluée, mais ceci est une autre histoire.

Or donc, ce jour-là, notre ami le raton laveur trouva sur son chemin un jardin extraordinaire dans lequel poussait des arbres totalement inconnus pour lui. Parmi eux un Jacquier car le propriétaire avait pris le soin d'indiquer son nom sur une petite pancarte. L'animal quoiqu’ainsi informé, ne pouvait en savoir plus. S'il avait appris à lire, il n'était pas encore dans ses compétences d'aller quérir des précisions sur sa tablette, faute de disposer d'une connexion fiable.

Il dut recourir à la technique ancestrale des siens pour savoir si la pomme jacque, ce curieux fruit pouvait faire son repas. Sa grosseur lui posa problème tandis que son poids le fit douter qu'il puisse flotter. Le tremper c'était donc prendre le risque de le voir couler et ainsi de ne pouvoir le récupérer. Il prit son parti de l'éplucher pour examiner en détail son contenu.

Ce fut pour lui un rude labeur même si sa peine fut largement récompensée par la délicatesse de sa chair. Il se régala d'une saveur qui se situait entre l'ananas et la mangue, deux fruits qu'il avait eu le loisir de goûter grâce à l'indélicatesse de randonneurs peu scrupuleux. Il s'en léchait les babines quand un renard vint le déranger en cours de dégustation.

Ce goupil, je me dois de vous en informer, était connu dans la région pour tenter une reconversion alimentaire qui intriguait fort ceux de son espèce tout en offrant de nouvelles perspectives à ses proies potentielles. Las de traîner une réputation sulfureuse, il entendait se convertir au végétarisme.

C'est donc tout naturellement que le carnivore repentant s'approcha de l'omnivore moins délicat sur ce point. Il voulait sa part du gâteau ou plus exactement de ce fruit si gouleyant. Le raton laveur n'est guère partageur, c'est là un défaut qui le rapproche de la fourmi. Il est vrai que son sens si pointilleux de l'hygiène le pousse à se distinguer des autres espèces bien moins regardantes sur ce point.

Renard entreprit de négocier auprès de son comparse un partage équitable que la taille colossale du fruit imposait en toute logique. Hélas pour lui, il ignorait tout de l'histoire personnelle de ce brave raton laveur qui avait parmi ses ancêtres, un parent éloigné qui un jour de grande famine, avait été dévoré par un renard ou un loup. Sa famille manqua toujours de détails sur un coupable que personne n'avait vu. Ce sont les restes du malheureux qui attestaient de la fin tragique de son existence sans plus de précision.

Le raton laveur en avait gardé une aversion pour les canidés. On peut même affirmer qu'il avait une dent contre tous ces odieux prédateurs. Il entendait saisir l'opportunité de ce moment pour venger tous les siens et laver l'affront (une forme de déformation professionnelle chez lui). Il joua alors l'hôte fort aimable, invitant à son banquet ce méchant visiteur et s'adressa d'un ton d'autant plus doucereux qu'il avait encore la saveur de la pomme jacque en bouche :

« Prenez donc la peine de vous asseoir à mes côtés cher ami. Vous êtes mon invité. Je sais que ceux de votre race ignore tout de la saveur sucrée et je ne voudrais pas être cause d'une crise d’hypoglycémie. C'est pourquoi je vous invite à vous faire les dents sur les délicieuses graines de ce fruit. Elles seront parfaitement à votre goût et vous requinqueront en un rien de temps ! »

Goupil tomba dans le panneau avec une gourmandise qui le perdit. Il se montra si goulu qu'il ne lui fallut guère de temps pour succomber à la nocivité de ces graines toxiques quand elles sont crues. Son agonie, quoiqu’assez brève réjouit le raton laveur qui dédia ce crime à la mémoire de son malheureux ancêtre.

Un loup avait assisté à distance à la scène. Avouons tout d'abord qu'il ne fut pas mécontent du sort réservé à ce renard d'autant que bien souvent dans les fables, ceux de son espèce avaient été les dindons de la farce de cette engeance plus rusée que la moyenne. Il se dit cependant que le raton laveur méritait lui aussi d'être châtié pour avoir honteusement trompé sa victime.

Sans plus tarder, il mit son projet à exécution et fondit sur celui qui se léchait la babine. Il le dévora sans coup férir tout en se réjouissant de la délicate saveur de sa chair. Il vengeait ainsi l'honneur des canidés et pouvait poursuivre son chemin la tête haute.

C'est alors qu'un corbeau ayant tout vu du haut de son arbre en fit tout un fromage. Il se désolait d'une telle scène qui venait brutalement de semer la confusion dans l'ordre naturel des choses. S'il n'était plus possible de savoir qu'elles étaient les habitudes alimentaires des uns et des autres, la vie de bien des espèces allait devenir un enfer.

Il entreprit d'agir à sa façon afin d'éliminer le dernier acteur de cette farce qui risquait de laisser des traces dans l'histoire des espèces. Il s'empara du plus gros caillou qu'il peut porter et survolant le loup en pleine digestion d'une hauteur considérable, il lâcha son projectile sur son crâne. Ainsi périt le carnassier et dernier membre de ce trio infernal.

Corbeau croassa de contentement. Quoique souvent oiseau de mauvais présage, dans l'esprit des humains, il entendait que sa justice, aussi expéditive soit-elle, vint mettre un terme à la terrible dérive des comportements à laquelle il venait d'assister. Il ignorait sans doute que lui aussi était sorti du cadre, ce que vint cruellement lui rappeler un chat qui ne lui laissa aucune chance.

Le chat se hâta de rentrer chez lui, porteur dans sa gueule de ce trophée. Il traversa sans regarder la grande route qui bordait le théâtre de ce drame et périt écrabouillé. Devant l'hécatombe à laquelle venait d'assister un naturaliste en quête d'inspiration pour une conférence, le pauvre homme se dit qu'il serait bien difficile d'expliquer ce lamentable épisode de la vie des animaux aux élèves d'une classe nature qu'il devait recevoir ce jour-là.

Il noya le poisson en confiant la tâche à un raconteur d'histoires, pensant que lui trouverait une chute pour clore ce récit. L'autre devant l'ampleur de la tâche et la difficulté de donner la moindre cohérence à ce qu'il venait de lui confier, se dit que seul Jacques Prévert pourrait les tirer de ce mauvais pas. Ce n'était d'ailleurs que simple logique puisque tout était parti du fruit d'un Jacquier et d'un raton laveur.

 

Inventaire

 

 

Une triperie, deux pierres
Trois fleurs, un oiseau
Vingt-deux fossoyeurs, un amour
Le raton laveur, une madame untel
Un citron, un pain
Un grand rayon de soleil

Une lame de fond, un pantalon
Une porte avec son paillasson
Un Monsieur décoré de la légion d'honneur
Le raton laveur
Un sculpteur qui sculpte des Napoléon

La fleur qu'on appelle souci
Deux amoureux sur un grand lit
Un carnaval de Nice
Une chaise, trois dindons, un ecclésiastique
Un furoncle, une guêpe
Un rein flottant

Une douzaine d'huîtres
Une écurie de courses
Un fils indigne
Deux pères dominicains
Trois sauterelles, un strapontin
Une fille de joie
Trois ou quatre oncles Cyprien
Le raton laveur

Une mater dolorosa, deux papas gâteau
Trois rossignols, deux paires de sabots
Cinq dentistes, un homme du monde
Une femme du monde
Un couvert noir, deux cabinets

Deux petits suisses
Un grand pardon
Une vache, un samovar
Une pinte de bon sang
Un monsieur bien mis
Un cerf-volant
Un régime de bananes
Une fourmi
Une expédition coloniale

Un cordon sanitaire, trois cordons ombilicaux
Un chien du commissaire, un jour de gloire
Un bandage herniaire, un vendredi soir
Une chaisière un œuf de poule

Un vieux de la vieille
Trois veuves de guerre
Un François premier
Deux Nicolas II
Trois Henri III
Le raton laveur

Un père Noël
Deux sœurs latines
Trois dimensions
Mille et une nuits
Sept merveilles du monde, quatre points cardinaux
Huit heures précises, douze apôtres
Quarante-cinq ans de bons et loyaux services
Deux ans de prison, six ou sept péchés capitaux

Trois mousquetaires
Vingt mille lieues sous les mers
Trente-deux positions
Deux mille ans avant Jésus-Christ
Cinq gouttes après chaque repas
Quarante minutes d'entracte
Une seconde d'inattention
Et naturellement
Le raton laveur

Jacques Prévert


Moyenne des avis sur cet article :  4.5/5   (16 votes)




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10 réactions à cet article    


  • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 24 mai 2023 11:10

    Merci, j’ai beaucoup aimé.

     

    Ma contribution : https://www.paroles.net/boris-vian/paroles-la-complainte-du-progres-arts-menagers

     « Autrefois pour faire sa cour
    On parlaient d’amour
    Pour mieux prouver son ardeur
    on offraient son coeur
    Maintenant c’est plus pareil
    Ça change ça change
    pour séduire le cher ange
    on lui glisse à l’oreille
    Ah ! Gudule

     »

     

     ps. Le scripteur a écrit : ’on parlaient’, ’on offraient’ mais ’on lui glisse’.

    On parlait’, ’on offrait’, est correct. ’on’ équivalent à ’il’ ou ’elle’.

     


    • C'est Nabum C’est Nabum 24 mai 2023 11:14

      @Francis, agnotologue

      Le on devient pluriel selon les libéralités de l’heure

      Merci


    • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 24 mai 2023 11:18

      @C’est Nabum
       
       ’’Le on devient pluriel selon les libéralités de l’heure ’’

        >

       ?

      Vous pourriez m’en dire plus ?


    • C'est Nabum C’est Nabum 24 mai 2023 11:42

      @Francis, agnotologue

      C’est désormais une tolérance dans la maison éducation


    • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 24 mai 2023 11:46

      @C’est Nabum
       
      ’’C’est désormais une tolérance dans la maison éducation’’
      >
       C’est quoi ’la maison éducation’ ?


    • C'est Nabum C’est Nabum 24 mai 2023 12:45

      @Francis, agnotologue

      Rien de bien important
      un lieu voué au wookisme


    • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 24 mai 2023 12:51

      @C’est Nabum
       
       j’ai fait une faute.
       
      J’aurais du écrire : ’on’ équivalant à ...
      ou bien : ’on’ est équivalent à ...


    • C'est Nabum C’est Nabum 24 mai 2023 14:09

      @Francis, agnotologue

      J’avoue ne pas voir les fautes des autres


    • juluch juluch 24 mai 2023 12:10

      merci Nabum pour cette histoire....surement authentique !! 

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