Hiérarchie fluviale
Histoire de point de vue.
Jadis, il y avait une nette dichotomie entre mariniers et marchands, entre ceux qui allaient sur l'eau et ceux qui commandaient aux destinées du commerce. Les uns devant faire avec les impondérables, les difficultés, les variations du vent et de l'eau, la réglementation, les passages délicats, les attentes aux ports tandis que les donneurs d'ordre avaient des priorités très différentes.
Les heurts naissaient immanquablement de ce conflit entre le réel et le souhaitable, la navigation et le commerce, les impératifs humains et les considérations financières. Le rapport de force étant implicitement inégal puisqu'au final l'un était le patron et les autres les employés. Les clivages étaient forts, les tensions permanentes et les coups de gueule nombreux.
Le marchand, en dépit de son pouvoir économique devait en rabattre car à l'impossible nul n'est tenu, fut-il un marinier fort en goule et d'un caractère bien trempé. Puis, une fois le coup de tabac passé, la puissance économique reprenait le dessus au moment des négociations pour les contrats de charge.
Je m'amuse à observer le même type de rapport lors de cette Grande Remontée entre les gens d'à terre et les gens de l'eau. Les uns attendant un horaire précis, voulant que le programme s'enchaîne immédiatement, semblant imposer des contraintes qui ne peuvent satisfaire ceux qui viennent d'essuyer bien des difficultés et qui une fois au port, aspirent à un peu de repos.
Curieusement, l'histoire bégaie tandis que le fléau du pouvoir penche tout naturellement vers les donneurs d'ordre, ceux qui de leur place, attendent que tout s'ordonne comme ils l'ont envisagé. Le Parlement remplace les Marchands, même jeu de pouvoir et de position dominante tandis que le marin, revenu à terre, semble perdre de sa superbe.
Tout cela ne peut se passer sans qu'un grain de sable ne vienne enrayer les jolies prévisions des ordonnateurs de la manifestation. C'est de cette dualité que j'ai eu à souffrir au départ et dont je m'amuse aujourd'hui. L'éternelle rivalité entre les donneurs d'ordre et les exécutants, les gardiens de la bourse et les manants, les seigneurs et les gueux.
Le pouvoir intellectuel une fois à terre veut reprendre ses prérogatives dans l'instant, ordonnant, imposant, réclamant tandis que de l'autre côté, on sent non de l'opposition ou de la contestation mais une véritable inertie qui exaspère au combien ceux qui ne perçoivent pas que tout ceci n'est somme toute que très naturel.
Le Parlement de Loire ne diffère en rien des véritables instances institutionnelles. Le besoin d'imposer des vues est consubstantiel à toute forme d'instance officielle alors que face à eux se trouvent des équipages composés d'individus qui n'ont que faire de cette logique injonctive. Les mariniers votent en traînant les pieds, en ne répondant pas aux attentes, en feignant de n'avoir pas compris.
À ce jeu du chat et de la souris, en l'absence de moyens coercitifs, le Parlement doit en rabaisser un peu, se plier à la mauvaise volonté des gars qui vont sur l'eau. Puisse cet exemple donner des idées aux citoyens face aux véritables pouvoirs qui les indisposent à longueur de lois et règlements iniques. L'inertie peut faire des miracles.
Les marchands qui ont toujours su être du bon côté de la cognée devraient eux aussi se méfier de l'exaspération du peuple. Les clefs peuvent changer de mains. C'est parfois ce qui se passe durant cette Grande Remontée, symbolique des conflits de point de vue.
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