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Les classards

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La fête au bourg.

C’est un petit village à flanc de coteau. Tout en bas, coule une Loire prisonnière d’un barrage. Ici, vivent trois cent trente cinq âmes, loin de la ville et d’un monde trépident. Même si l’état les prive de services publics, il pense sans doute à fermer une école qui accueille une classe unique, même si ceux qui dirigent le pays les contraignent désormais à rouler à quatre-vingts à l’heure, les gens d’ici savent encore vivre comme on a toujours su le faire dans notre belle France.

Il y a fête au village, un défilé qui réunit bien plus de la moitié de la population. Un cortège bon enfant qui mêle toutes les générations. Les rois de la rue sont les classards : ils sont nés une année en 8. Les plus jeunes sont des nourrissons, le plus âgé René a 90 ans, tous sont déguisés, offrent à boire et jettent des confettis à leurs voisins et amis.

Les uns ont le visage peint, les autres sont vêtus de manière excentrique, tous sourient de bon cœur à cette célébration qui a lieu le premier week-end de septembre et qui les met en lumière une fois tous les dix ans. C’est le tour de la classe 8, une résurgence de la fête des conscrits du temps où il y avait des cohortes de jeunes gens partant sous les drapeaux.

Un grand gaillard, Antoine, portant bleu de travail, bottes de chantier, tee-shirt jaune et maquillage assorti se présente à moi, me tend un grand godet et sans même me connaître, me verse 25 cl de punch. Je n’ai même pas moyen de refuser tandis que mon voisin, Louis se voit proposer la même punition. Nous lions conversation.

Louis est né en 1935. Il a encore bon pied bon œil. Il a été maire de la petite commune, en fut un élu durant 31 années. Il m’explique ce qui se trame devant mon regard ébahi. Il me présente son ancien collègue, Jean Deloire (ça ne s’invente pas) du bourg voisin, deux mandats de maire au compteur, qui est venu accompagné de son épouse Suzanne qui a eu 70 ans dans l’année. Laurence, 50 ans en 2018, défile elle aussi. Elle me reconnaît pour avoir suivi ma balade contée pour les itinérances. Pour améliorer mon état, elle me sert d’office elle aussi un verre de rosé.

Un char, décoré simplement comme il se doit, sert de point central et de réceptacle à ces boissons que nos 39 classards offrent généreusement à toute l’assistance. Il y en a fort heureusement pour tous les goûts et tous les âges. C’est sans doute ma mine rubiconde qui m’attira le punch et le rosé. Je m’arrêtai là pour prendre mieux le temps d’interroger mes amis.

Ils m’ont décrit en détail cette fête que tous les villages font eux aussi. Je retrouve là l’ambiance de l’Aveyron, ce sens véritable de la convivialité et du partage. C’est d’ailleurs autour d’une grande tablée, que la belle assemblée va se retrouver en fin de soirée. L’Auberge du château recevra pas moins de 149 convives qui vont dévorer cuisses de grenouilles et fritures comme il est de tradition.

C’est alors qu’André, l’actuel maire de ce charmant village, né en 1948, arrive tout aussi grimé que les autres. Il ne porte pas de rosette à la boutonnière, nous ne sommes pas au pays des élus orgueilleux. Tout se fait ici dans la simplicité et la bonhomie. Je crois retrouver les ambiances d’alors, dans mon petit pays d’en-France. Quel bonheur !

Je quitte avant qu’il ne soit trop tard la belle assemblée, devant une visite nostalgique au restaurant Le Domanial où l’on m’avait si bien reçu lors de ma remontée de la Loire à pied. Joe me reconnaît, il se souvient que je m’étais vu refuser le petit déjeuner par son voisin le Belvédère, alors que je marchais sous un orage terrible. Le restaurateur avait eu pitié de moi et m’avait concocté un formidable petit déjeuner. Naturellement Joe m’offre à boire (décidément une habitude ici). Pour ne pas être en reste avec les classards, je dévore avec des amis, des cuisses de grenouille et de la friture.

La vie est belle dans ce petit coin de France qui n’a pas tourné le dos à son passé, ses traditions et une merveilleuse idée du vivre ensemble. Les grandes villes se perdent dans des animations « tape à l’œil » et « brise-tympan ». Il suffit d’en mettre plein la vue en transformant les gens en simples spectateurs parqués derrière des barrières pour remplir leur mission d’abrutissement. Ici, il en va tout autrement et c’est tant mieux.

Admirativement leur.

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21 réactions à cet article    


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 12 septembre 2018 00:01

    Visita Interiora Terrae Rectificando Inventes Occultum Lapidem


    • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 12 septembre 2018 00:07

      Le chiffre 8 et l’échelle de JACOB pur les ploucs ci s-dessus qui n’auraient compris ;Nous reproduisons ci-dessous les passages de la Bible où il est question de l’Echelle de Jacob : Genèse 28, 10-17 : l’Echelle de Jacob.
      - 28:10 - Jacob partit de Beer Schéba, et s’en alla à Charan.
      - 28:11 - Il arriva dans un lieu où il passa la nuit car le soleil était couché. Il y prit une pierre, dont il fit son chevet, et il se coucha dans ce lieu-là.
      - 28:12 - Il eut un songe. Et voici, une échelle était appuyée sur la terre, et son sommet touchait au ciel. Et voici, les anges de Dieu montaient et descendaient par cette échelle.
      - 28:13 - Et voici, l’Eternel se tenait au-dessus d’elle, et il dit : Je suis l’Eternel, le Dieu d’Abraham, ton père, et le Dieu d’Isaac. La terre sur laquelle tu es couché, je la donnerai à toi et à ta postérité.
      - 28:14 - Ta postérité sera comme la poussière de la terre. Tu t’étendras à l’occident et à l’orient, au septentrion et au midi, et toutes les familles de la terre seront bénies en toi et en ta postérité.
      - 28:15 - Voici, je suis avec toi, je te garderai partout où tu iras, et je te ramènerai dans ce pays car je ne t’abandonnerai point, que je n’aie exécuté ce que je te dis.
      - 28:16 - Jacob s’éveilla de son sommeil et il dit : certainement, l’Eternel est en ce lieu, et moi, je ne le savais pas.
      - 28:17 - I


      • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 12 septembre 2018 00:13

        Echelle (JOB-JACOB) composée de sept ou huit échelons. Sujet à longues divagations dyonisiaques ou orphiques.


        • nono le simplet 12 septembre 2018 03:18
          il ne faut pas être nostalgique d’un temps où les gens se saluaient, se rencontraient, se parlaient, se connaissaient ... certes certains se détestaient parfois, se haïssaient même ...
          aujourd’hui, hors les petits villages, les gens ne se saluent pas, ne se rencontrent pas, ne se connaissent pas mais arrivent à se détester souvent quand même ... et le reste du temps s’ignorent ... non il ne faut pas être nostalgique d’un temps où on connaissait son voisin de palier, où on saluait le facteur ou le voisin qui partait travailler ... dans mon petit coin de campagne il arrive souvent que des gens en voiture me saluent d’un petit geste sans que je sois capable de les reconnaître, mais je réponds avec un sourire ...

          • velosolex velosolex 12 septembre 2018 13:29

            @nono le simplet
            Mon père avait la capacité de lier conversation et contact avec n’importe quel gus, prolo ou bourgeois. C’était un marchand ambulant, un gars qui s’était fait tout seul à l’ancienne, et avait appris à lire en gardant les vaches, et la cordonnerie en se cachant à l’époque où il était réfractaire ; Pendant longtemps, quand j’étais gosse, et petit con, j’avais honte de lui, quand il m’emmenait dans les cafés, me payant une limonade....

            Bien sûr, maintenant, je l’admire, son parcours, sa faconde, et son bon naturel, ses sorties à la Prévert. Je tache avec plus ou moins de bonheur maintenant de m’en inspirer, et de forcer les contacts, en parlant, en abordant les gens quand ça me chante. Et je dois dire que souvent ça marche ; Les gens sont ravis de parler, de communiquer. On ne perd jamais rien d’essayer, peut être plus facile à un age où l’on ne passe plus pour un dragueur, ou un type ayant une idée derrière la tête ; L’image qu’on renvoie est fondamentale, et le sourire et la poignée de main font tomber bien des barrières et des conventions. 

          • juluch juluch 12 septembre 2018 10:15

            Moins en moins de fete de village.....


            • velosolex velosolex 12 septembre 2018 10:33

              Les gens s’aiment et s’estiment à mesure qu’ils ont besoin des uns et des autres

              Et se détestent en fonction qu’ils sont persuadés qu’ils sont autonomes. 
              Je ne sais plus qui a écrit cela...Mais tout le chemin de la politique devrait être de travailler en ce sens. Les fêtes de village remontent, comme disait Vialatte à la plus haute antiquité. Elles célébraient le collectif, sans lequel on ne peut pas vivre. Les pardons en Bretagne se sont eux aussi appuyés sur de de vieilles fêtes païennes, mais une fois le religieux parti, la fête continue à exister. 
              Il faudrait sans doute dans chaque commune instaurer un projet collectif, une construction, une utopie, afin de restaurer l’esprit de rencontre et d’échange. 

              • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 12 septembre 2018 10:50

                @velosolex


                Connaissez-vous la définition de classards ? : Personne de la même classe d’âge, née la même année ou une année se terminant par le même chiffre. A Forcalquier, tous les mois de juin, à l’époque (années 1985), les signes des gémeaux se réunissaient pour fêter ce qui les réunissaient. 

              • troletbuse troletbuse 12 septembre 2018 10:54

                @Mélusine ou la Robe de Saphir.
                On s’en branle !


              • velosolex velosolex 12 septembre 2018 13:19

                @Mélusine ou la Robe de Saphir.
                Il suffit d’un prétexte pour casser les barrières. Dans n’emporte quel ville, et village, à moins d’être à deux, on ne connait pas trop les gens qui nous entourent.

                 C’est une sorte d’étourdissement de savoir que tant de gens avec lesquels on aurait une relation riche nous restent méconnus, alors qu’ils sont à deux pas de chez nous. 
                Faut pas croire que « Les braves gens ne courent pas les rues », le titre d’un livre de nouvelles très noires de mademoiselle O’ Connor, une chic fille à qu’on disait. 


              • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 12 septembre 2018 13:35

                @velosolex

                 Actuellement en pleine lecture d’un très bon polar : Luc Bossi. Manhattan Freud. Me retrouver à une fête avec ceux qui ont aimé les mêmes polars, seraient certainement une totale réussite. La même année de naissance, le même prénom ou couleur de cheveux me semble moins pertinent et risqué. Bien qu’adepte de Pythagore.

              • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 12 septembre 2018 13:42

                Se retrouver entre personnes qui ont les mêmes affinités est intéressant. Mais la complémentarité l’est encore plus. Vivre avec soi-même : quel ennui,....


                • velosolex velosolex 12 septembre 2018 14:21

                  @Mélusine ou la Robe de Saphir.
                  Les psychotiques sont souvent à deux. Il arrive parfois que les délirants soient dans la nostalgie de leur délire, de leur toute puissance, et des esprits qui tournent autour d’eux. 

                  Je me souviens d’une fille schyzo qui me parlait ainsi :
                   « Moi est mes esprits, qu’est ce qu’on était bien ensemble quand ils me tournaient autour en me faisant des caresses quand je me planquais sous mes draps.... »
                  Mais parfois ils devenaient redoutables. La même me disait...« je croyais m’en être débarrassé. Plus de voix pendant toute une année. Et puis il y a une semaine je m’assied sur les chiottes, une voix qui me dit » Ah ah, tu croyais débarrassé de nous....Et bien nous revoilà !"...Glacant. La solitude est une cercueil de verre, disait Bradburry
                  C’est dur d’être seul....N’est pas Hugo qui veut, perdu dans une splendide solitude, et sa villa de Jersey était toujours habité de ceux qui l’investissait. Le thème de l’artiste face à lui même assis devant son petit bureau face à la mer est un classique du romantisme, mais plus facile à tenir, quand on est édité par gallimard. Pour les autres, il reste l’imaginaire, et la compagnie de l’imprévisible à venir. 

                • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 12 septembre 2018 14:32

                  @velosolex


                  Imaginez de vivre face à quelqu’un qui vous dit en permanence : oui, tu as raison, oui tu as raison, .....Je préfère mille fois le : Oui, mais....Au moins on avance,...

                • Francis, agnotologue JL 12 septembre 2018 14:53

                  @velosolex


                  vous voulez parler de Hugo en exil à Guernesey où il est demeuré 15 ans (trois ans à Jersey) ? Je vous suggère de visiter ladite villa, belle maison de maîtres de trois ou quatre étages, dont l’ameublement est très étonnat, perchée sur les coteaux d’où l’on voit le port , le château forteresse de Hornet, et la mer bien sûr, et d’où il voyait aussi la maison de sa maîtresse àproximité. Vous y constaterez que Victor Hugo ne vivait pas dans la solitude.
                   
                   C’est là qu’il a écrit « Les travailleurs de la mer », l’un des plus passionnant romans que j’ai jamais lus.

                • velosolex velosolex 12 septembre 2018 15:48

                  @JL
                  Bonjour . Hugo a fréquenté les deux ïles, et pas mal « d’elles » aussi....Les îles se rejoignent toutes, et leurs habitants aussi. Guernesey fait partie de mes projets de bouts du monde miniatures. J’ai écrit il y a quelques temps un article sur ouessant où j’évoquais cette maison d’exil. 

                  Fait divers et coup de sang : Hold up à l’île d’ouessant ! Je tiens le vieil Hugo en plus haute estime. Quelqu’un qui était royaliste dans sa jeunesse, et a fini républicain. Hugo comme Dickens nous parle autant de romanesque que d’histoire et de sociologie. J’ai beaucoup aimé « L’homme qui rit ». Les longues digressions de l’auteur, qu’on lit aussi dans « les misérables » font partie d’une sorte de devoir d’apprentissage de l’auteur, envers son public, qui l’aimait. J’ai lu quelque part que les ouvriers du livre qui avaient sorti les misérables s’étaient cotisés entre eux pour acheter par 20 un exemplaire de l’ouvrage qu’ils se refilaient ; Il faut savoir cela pour savoir d’où nous venons ! Dans « l’homme qui rit », Hugo dépeint longuement la vue que le voyageur avait des côtes anglaises, avant de débarquer. Les contrebandiers étaient pendus à un gibet surplombant les falaises, et se balançaient des jours, des mois, des années, au gré du vent et des tempêtes, le corps couvert d temps à autre de goudron pour faire durer le message. bien visible de tous....« Fait ce qui ne convient pas ; Attend toi à une réponse qui ne te plaira pas ! »....Mais ce n’était guère souvent le choix, mais la nécessité qui poussait les gens au brigandage, tout le monde ne pouvant être notaire ou baron. En tout cas, son évocation longue de des destinées, et de ces fenêtres « avec vues » est saisissante. Hugo rebondit ensuite sur ce fait historique pour l’amarrer à l’histoire de ce gosse qui s’enfuit, et hagard, en pleine nuit, se retrouve ainsi au pied d’un gibet....Mais Dickens au début des « grandes espérances » raconte aussi la rencontre terrifiante d’un orphelin , priant dans une cimetière, avec un bagnard évadé, sortant d’un marais. Mais que faisaient les cellules de soutien psychologique ?....Peut être bien que ce genre d’écrit y pallie. 

                • L'enfoiré L’enfoiré 12 septembre 2018 17:03
                  @Mélusine ou la Robe de Saphir.

                   On dit chez nous à Bxl « Oui, mais non ».
                   C’est un reflex conditionné.

                • L'enfoiré L’enfoiré 12 septembre 2018 17:06
                  @Mélusine ou la Robe de Saphir.

                   Si vous avez lu mon « A propos », vous avez pu constater que je suis un solitaire mais pas du tout ermite.
                   Cela veut dire ne pas vivre avec soi-même mais créer des contacts insolites.
                   C’est évident, on apprend beaucoup plus de celui qui n’est pas comme soi.
                   Avoir les mêmes affinités, c’est souvent perdre du temps.


                • Francis, agnotologue JL 12 septembre 2018 17:57

                  @velosolex

                   
                  ’’Mais que faisaient les cellules de soutien psychologique ?...Peut être bien que ce genre d’écrit y pallie.  ’’
                   
                   Autres temps, autres mœurs.
                   
                   Bonne soirée.

                • L'enfoiré L’enfoiré 12 septembre 2018 17:02
                  Cher Nabum,

                   Comme vous pouvez l’imaginer, j’ai un peu étudié les différences entre le village et la ville.
                   Mais nous ne sommes pas vraiment un pays agricole et les villes sont très peu écartées l’une de l’autre.
                   Le changement de vitesse entre les villes et villages n’est parfois pas nécessaire

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