Au fond du miroir
Quelques éclats ...
À l'heure des possibles bilans, des regards en arrière, du coup d'œil sur ce qui reste devant, un étrange reflet, une image incertaine vient se glisser entre moi et cet autre moi. Le miroir se dresse devant celui qui se présente dans le reflet ; une image impolie sur un verre poli ! Un reflet déformé sur un verre déformant, l'image complexe sur un verre complexe.
À me regarder au fond de l'âme, j'aperçois l'envers du décor, l'inversion étrange du hue et du dia , la symétrie incomplète de celui qui se révèle face à moi. Souvent ce verre n'est que miroir aux alouettes, étrange envol de ma pensée terrestre vers des yeux reflets improbables.
Je me rêvais héros de roman, capable par la force des mots de changer la marche du monde. Je me découvre prince maléfique rompant les délices d'une fée bienveillante. Je voulais être une voix qui porte au loin, je me découvre sorcier intrigant agissant secrètement dans les reflets multiples d'une image qui divise.
Le miroir devait accréditer mon heure de gloire, celle qui m'entraînait sur les chemins de la conviction. Devant la glace, plusieurs effets cumulés multiplient à l'envie mon image vers un infini plus troublant que glorieux, plus sombre que lumineux, plus confus que brillant. La réalité s'est faite affliction ! La duplication n'est que factice.
Devant mes interrogations douteuses, le miroir se brise en des éclats confus. Il donne à celui qui se mire l'impression factice d'être témoin et acteur, démon et ange, avers et envers. La force du voir est pour certains supérieur au plaisir d'agir. Le miroir devient la double apparence du voyeur et du jouisseur, du témoin passif contemplateur de sa propre inefficacité.
La nature nous offre bien des fois des surfaces qui nous réfléchissent au fil d'une onde mouvante. Il y a un jeu du pareil à l'incertain, du même au fuyant, que le moindre souffle, que le moindre incident viennent à tout jamais perturber. Vous retrouvez alors ce reflet incertain qui ne fait que confirmer l'échec d'un rêve inaccessible.
Un sillon se creuse, une vague se forme, et la ride déchire le reflet aqueux. L'image se perd ou parfois elle se noie dans une eau qui devient larmes. Narcisse ne sera jamais heureux, il ne cesse de voir en celui qu'il croit lui, l'abîme insondable de ce qu'il ne sera jamais. De l'autre côté de la surface réfléchissante, il n'y a rien qui vaille !
Mais rien n'est pire que la loupe interlope, ce regard myope qui se focalise sur les détails sombres. L'œil se fait plus gros que le bœuf, la bouche se perd dans un silence immense, le grain de peau devient une tâche grotesque. L'autre presque vous-même restera muet. Ce compagnon n'a rien à dire en propre. Il peut simplement se satisfaire de répéter sottement vos propres paroles.
Nous allons finalement au musée des horreurs pour jouer ainsi se faire peur à soi-même. Quelques bougies, une lumière sombre, des ombres qui s'allongent et le miroir joue les maléfices. C'est alors que peut surgir la catastrophe sublime, le miroir qui se brise pour que le diable s'immisce dans les mille éclats qui font de vous un être déconstruit.
Le vrai ou le faux-semblant sont alors images symétriques dans une réflexion éparpillée. Nous allons nous mirer pour nous faire beau, preuve s'il en est que l'objectif n'est pas atteint quand on se regarde au fond de l'âme.
Miroir ô mon beau miroir, suis-je bien réel ?
Non, tu n'es que le reflet incertain d'une illusion d'optique ! De toi, il n'y a qu'un exemplaire si imparfait, si incomplet qu'il n'est nul besoin de le dupliquer ainsi. Ton image n'a aucune réalité, elle ne se grave que dans ta rétine fiévreuse. Cesse donc de croire en ce face à face illusoire …
Réflexivement mien.
2 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON