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Accueil du site > Culture & Loisirs > Parodie > Il n’y a pas de sots métiers

Il n’y a pas de sots métiers

 

Le grand saut dans l'inconnu.

 

Il advint qu'un garde de chasse dut étrangement se reconvertir alors que la pleine saison du gros gibier venait de débuter. Au lieu de courir les bois à la poursuite des malfrats, braconniers de tous poils, poquéreux de peu, virtuoses du collet et de la rapine, il fut astreint à une tache bien moins exaltante pour qui aime vivre au grand air.

Les affaires du châtelain qui l'embauchait n'étaient pas florissantes même si l'homme cherchait à donner le change en organisant à grand frais des réceptions dans son domaine. Hélas, il y avait de menus détails qui ne trompaient pas les regards avertis, la toiture de la grande bâtisse de briques fuyait de toutes parts.

L'automne cette année-là était fort pluvieux, le grenier subissait l'assaut des gouttes de pluie qui s'insinuaient sournoisement à travers chevrons et tuiles disjointes. L'humidité menaçait de se remarquer dans la grande salle de réception ce qui aurait mis à mal définitivement la réputation de cet industriel sur le déclin.

Il est important dans la grande société de sauver les apparences, de cacher la misère quand celle-ci pointe son vilain nez. C'est ainsi que ce nobliau en capilotade dut se résoudre à confier à Éric une mission qui n'était pas en rapport avec ses compétences cynégétiques. Le garde, pour assermenté qu'il était, dut se résoudre à troquer le fusil et sa belle plaque officielle pour une panoplie qui lui faisait honte.

Consigné dans le grenier, il devait veiller à ce que la multitude de seaux placés sous les fuites n'en viennent pas à déborder. Si cette partie de sa mission n'avait rien de bien compliqué, il incombait d'avoir l'œil ce qui pour quelqu'un de sa profession est un préalable incontournable, il devait ensuite d'agir promptement lorsqu'un seau menaçait de déborder.

C'est là que le pauvre Éric sentit le souffle de l'humiliation peser gravement sur sa réputation. N'ayant aucune échappatoire par les lucarnes, il lui fallait descendre le grand escalier de bois, porteur d'un seau d'eau qui lui faisait monter le rouge aux joues. Tache humiliante s'il en est pour un homme assermenté que les déboires de son maître contraignaient à accepter une tâche de domestique.

Pire encore, il croisa lors de l'un de ses honteux va et vient, un convive qui allait à la chasse, non pas celle qui venait de s'achever avec un tableau digne des plus grands massacres solognots, mais celle où nul ne peut confier sa place à un quidam. L'homme, tourmenté par des maux de ventre, s'étonna de voir le garde, un seau dans chaque main, descendant l’escalier sur la pointe des bottes, pour n'être pas remarqué.

Le convive de s'enquérir de ce que faisait dans pareil posture celui qui à cette heure, aurait dû surveiller le bois où ne manqueraient pas de traîner ceux qui savaient que le châtelain et ses invités n'y étaient plus. Éric lui confia son secret sous le sceau d'un serment à n'en rien dire, ce qu'accepta volontiers ce personnage dans l'instant tant le ventre le tourmentait.

Hélas, une fois soulagé, l'important personnage oublia sa promesse en faisant entrée tonitruante dans l'assemblée des quarante chasseurs en goguette. Il confia à son voisin de table la déchéance de leur hôte, celui-ci s'empressa de rapporter la confidence à son autre voisin. Ainsi, de proche en proche, de bouches avinées en oreilles aux aguets du persifflage, bientôt toute la tablée sut que le château avait des allures de passoire.

Le méchant homme avait semé son venin. Il venait de commettre un délit d'initié, un parjure et comble de l'infamie, un fort vilain jeu de mots qualifiant le pauvre Éric de garde de chasse d'eau. La saillie fut reprise car dans un tel aréopage, le trait d'esprit n'est pas si fréquent que ça, il convient de s'en délecter tout en en abusant sans vergogne.

La rumeur finit par échoir dans le pavillon du malheureux industriel dont les déboires financiers venaient d'être percés par toutes ses relations d'affaire. Le drame tournait au fiasco, le risque était grand qu'il allait perdre très vite le peu de respectabilité qui lui permettait encore de se maintenir à flot. Sa réaction fut terrible et on ne peut plus injuste.

Devant une tablée hilare, voulant montrer sa fermeté, qualité requise dans ce monde de requins sanguinaires, il appela le garde qui descendait justement deux autres seaux, plein d'eau. Le brave homme, se présenta ainsi devant des individus ayant tous manifestement trop bu. Il se sentait parfaitement humilié et le fut plus encore quand le châtelain qui n'attendait qu'un prétexte pour faire une substantielle économie, le congédia dans l'instant : « Vous allez faire le grand saut, je vous mets à pied. Vous êtes virés séance tenante ! »

Sans un mot, Éric la tête haute, vida non son sac mais ses seaux sur celui qui n'avait pas tenu sa langue puis déclara à l'assemblée médusée de tant d'audace, qu'il se réjouissait à ne plus avoir à servir une telle compagnie de sots et d'ânes, incapable de reconnaître un lièvre d'un garenne, un chevreuil d'une biche.

Pour donner une touche plus explicite à son discours, il sortit de la demeure, alla à la remise remplir ces deux récipients d'avoine et revint jeter à la face de ces maudits gorets la seule pitance qu'ils méritaient. Il y avait dans le lot un sous-secrétaire d'état à la justice qui fit jouer immédiatement ses services pour que le brave homme fut inquiété pour son geste tandis que son ministre de patron, mis en examen pour conflit d'intérêt et menacé de haute cour de justice, conservait quant à lui son poste.

Quant à ce château qui fuit au sommet et s'écroule sur ses fondements, il est à craindre qu'il ne soit trop tard pour le sauver. S'il n'y a pas de sots métiers pour ceux qui les exercent avec dignité, honnêteté et conscience, il est des fonctions ou des charges qui sont malheureusement tenus par des canailles à l'abri de toutes précipitations. Ne vous fiez donc pas aux apparences de ceux qui n'hésitent pas à l'occasion à se grimer de col roulé, d'une veste réversible pour camoufler leurs turpitudes, d'une cartouchière pour tirer sur tous ceux qui se dressent devant eux et d'un beau chapeau de feutre qu'ils n'hésiteront pas à faire porter à un quidam au premier coup de vent venu.

À contre-morale.


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4 réactions à cet article    


  • Clark Kent Clark Kent 10 octobre 2022 09:54

    Et surtout ne mettez pas un gilet jaune si vous voyez des panneaux « chasse en cours ».


    • C'est Nabum C’est Nabum 10 octobre 2022 18:19

      @Clark Kent

      Trop tard

      Ils ont voulu me mettre du plomb dans la tête


    • juluch juluch 10 octobre 2022 11:13

      Des références à l’actualité ??

      Jamais de la vie !!!

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