L’étalon noir
Thomas, le farfadet équestre.
Il était une fois Thomas, un farfadet qui se distinguait de ses pairs par un étrange désir ; il voulait être cavalier. Chaque être est porteur de rêve, le sien peut paraître étrange pour un gnome, un petit personnage pas plus haut que trois pommes. Plus surprenant encore, Thomas ne voulait pas monter un poney, c’eut été accepter sa condition de lutin. Il avait la folie des grandeurs, c’est un magnifique étalon noir qu’il voulait monter.
Quand un farfadet a quelque chose dans le crâne, il est impossible de le faire changer d’avis. En cela, il ressemblait fort à un enfant qui fait un caprice, son obstination finit par tourner en idée fixe. Il avait fait de nombreuses colères, tapant du pied et trépignant comme un sale gamin devant la caisse d’un supermarché. Allez donc faire entendre raison à un enfant, la chose est délicate. C’est tout à fait impossible avec les farfadets.
Il fallut se résoudre dans ce club hippique à trouver des astuces et des aménagements afin de réaliser ce qui à première vue est tout à fait impossible. En premier lieu, pour que Thomas se sente bien dans son assiette, il convenait de lui fabriquer une selle, adaptée à sa taille tout en permettant de mener ce grand et beau cheval.
Les bourreliers capables de travailler le cuir ne sont pas si nombreux de nos jours. Mais de plus, celui-ci devait être en mesure de concevoir la chose de manière à ce que rien n’entrave le fier étalon. Ce fut l’occasion de se creuser la tête, de chercher des stratégies qui intègrent les variables liées à la taille inhabituelle du cavalier. Il se trouva en Sologne un artisan du cuir qui fit des merveilles. La selle était parfaite.
Se posa ensuite la délicate question des rênes. Thomas serait-il assez fort pour transmettre ses indications par le truchement de ces longues lanières ? C’était une question qui faisait fi de la force colossale dont dispose un farfadet dans les bras. Sa taille est trompeuse, il est capable de bien des prodiges. Mettre un étalon fut-il fougueux à la raison, serait pour lui simple formalité. Le farfadet est vantard, c’est là son principal défaut.
Puisque les conditions techniques étaient désormais réunies, bien que Thomas n’en ait absolument pas conscience, une phase d’apprentissage était nécessaire. Il n’était pas question pour les responsables du cercle hippique de lâcher dans la nature ce curieux équipage. Le farfadet eut droit au manège comme tous les autres apprentis cavaliers. Il rongeait son frein, persuadé qu’il perdait son temps. Je vous l’avais bien dit, le lutin n’est pas objectif en ce qui concerne ses compétences, en cela il ressemble étrangement aux humains.
Puis vint le jour où le moniteur, titulaire du brevet d’état accepta de lâcher dans la nature l’étalon et son cavalier minuscule. Bien des membres du club avaient émis des réserves, mais las des récriminations du farfadet, le moniteur céda, pensant que le cheval, une bête protée, capable de supporter bien des fardeaux, n’en ferait qu’à sa tête avant que de finir par rentrer au box, sans problème. Il ne se trompait guère.
Pourtant, il n’avait pas prévu une facétie de l’histoire. L’étalon, se sentant libre, ne ressentant pas le poids de son cavalier partit immédiatement au galop à travers la clairière voisine. Il allait grand train, se cabrait tant et si bien que le farfadet fut désarçonné. Le cheval le vit passer au-dessus de sa tête. Il le prit sans doute pour un animal, un parasite quelconque et passant outre sa nature habituelle d’herbivore, croqua dans l’instant le malheureux lutin.
Ceux qui assistèrent à la scène étaient consternés à l’exception du responsable du cercle qui en avait assez de cette comédie. Quand un cavalier, vétérinaire de son état, se proposa d’opérer dans l’instant le cheval afin de récupérer le malheureux cavalier, l’homme excédé prononça cette phrase célèbre qui connut par la suite de curieuses transformations : « Laisse Thomas dans l’étalon ! » C’est ainsi que naquit une expression dont le sens m’a toujours laissé sur ma faim. Je suis ravi de pouvoir enfin la rétablir à la fois dans son écriture tout autant que son sens originel.
De ce jour, les farfadets, les korrigans, les elfes et les lutins furent interdits dans les cercles hippiques sérieux. Quant aux autres clubs, ne tentez pas de faire remarquer cette fâcheuse omission dans le règlement intérieur, le directeur pourrait monter sur ses grands chevaux. Tournez la bride et oubliez ce détail équestre, il prendrait le mors aux dents !
Expressivement vôtre.
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