Le vieux coq et la poule au pot
Farce culinaire et aviaire.
Un vieux coq ayant grand appétit tout autant que vaste curiosité culinaire réclama qu'un maître queux de ses relations lui préparât un plat dont il avait maintes fois entendu les éloges. Lui, emblème national avait cru comprendre qu'un roi de France, un certain vers galant (il se demandait bien en quoi un misérable vermisseau puisse ainsi mériter de servir de sobriquet à un monarque) avait proclamé à travers tout le royaume, la qualité de ce met princier. La quémande peut surprendre mais c'est ainsi pourtant que cet animal qui jusqu'alors veillait à ne point marcher sur des œufs, demanda qu'on lui servît une poule au pot.
Le marmiton, bonne pâte, obtempéra, ne souhaitant pas se prendre de bec avec un gallinacé belliqueux. Il redoutait qu'un refus ne contrarie ce coq de combat au point qu'il n'hésite pas à lui voler dans les plumes. Il décida donc de satisfaire un caprice aussi surprenant que déplacé pour un animal qui après tout, est réputé omnivore, qu'importe les conséquences.
Il jeta son dévolu sur une vieille cocotte déplumée, une de celles que son grand âge ne permettait plus depuis peu d'apporter sa contribution en œufs frais. La malheureuse, consciente du reste que ses jours étaient menacés, avait fui le poulailler pour aller s'installer à l'écart dans un nid de poule. Cet exil signifiait aussi pour elle, la fin de ses amours avec celui qui entendait la passer à la cocotte. Les mâles sont si ingrats !
Le maître coq se doutait bien qu'entre cette poule et le coq, il y eut jadis de curieuses accointances, des relations qui a défaut d'être consenties, n'en étaient pas moins régulières. De là à redouter une levée de bouclier de la part des jeunes poules de la basse-cour, il y avait un pas qu'il n'avait pas osé imaginer. Pourtant ce fut le cas, quand les mains nues, il se présenta pour se servir de la future victime.
Il y eut une Révolution volaillère, un mouvement de foule incontrôlée, une manifestation de mauvaise humeur qui déstabilisa le pauvre homme. Quand une poulette trouva un couteau, il en eut la chair de poule, craignant pour son existence. Fort heureusement la pauvrette, ignorait tout de son usage, le cuisinier en fut quitte pour une bonne frayeur. Il avait failli passer à la casserole.
Remis de ses émotions, la défunte poule sous le bras, il se mit en demeure de lui faire sa toilette mortuaire, dans un bain d'eau bouillante afin de lui ôter toute velléité de se prendre pour un ange. Sans ses plumes le risque était moindre et pour achever le travail, il la vida de ses entrailles. Ainsi parée, elle pouvait passer à la cocotte en compagnie de quelques légumes de bonne tenue.
La poule mijota tandis que le coq qui battait hélas la breloque, lorgnait sans cesse sur la pendule Francomtoise dont il était secrètement épris. Non pas qu'il fut un admirateur de Nougaro mais plus prosaïquement parce qu'il avait perdu toute notion du temps qui passe. Pour sauver la face, il suivait attentivement la progression de la petite aiguille sur le cadran pour ainsi coqueriquer à une heure raisonnable. Cette fois, c'est l'heure du déjeuner qu'il épiait attentivement.
Lorsqu'il fut question de préparer la sauce, le mirliton réserva une portion du bouillon afin d'en faire le fond qui ira mouiller le roux. Un roux pour une poule rousse, la redondance ne lui sauta pas aux yeux, trop préoccupé qu'il était à ne pas laisser de grumeaux en se répétant la rengaine que lui avait appris son maître d'apprentissage : « Roux chaud, fond froid, fond chaud, roux froid ! ». Lier une sauce étant un art qu'il maîtrisait à la perfection.
Tout bascula dans une tout autre dimension quand il choisit un cul de poule pour y mélanger deux jaunes d'œufs et la crème fraîche. C'est précisément en séparant le blanc du jaune de l'un d'eux, que l'œuf en question reconnut sa productrice. Si une poule n'est pas à même de reconnaître ses poussins selon un adage fort discutable, le contraire n'avait jamais été vérifié d'autant que le susdit poussin n'était encore qu'à l'état embryonnaire. Lui, avait identifié sans l'ombre d'un doute sa mère poule.
Le jaune fut soudain pris de convulsions. C'est alors que le cuisinier constatant la chose et en percevant les raisons s'écria : « Eurêka ! » Philosophe à ses heures perdues, il venait de résoudre une des énigmes les plus anciennes de ce monde. C'est bien l'œuf qui précéda la poule, il venait d'en avoir la confirmation sous ses yeux.
Pourtant, n'aspirant nullement au prix Kyoto : l'équivalent du Nobel pour les sciences de l'esprit, il battit l'œuf primal sans autre forme de procès. Il incorpora son mélange à sa sauce dans laquelle il glissa des câpres pour signifier que son plat était prêt à être servi. Son arpette l'interrogea sur ce point : « Pourquoi ce condiment, en particulier, annonce-t-il la fin de la préparation ? » Le maître coq de lui répondre la plus sérieusement du monde : « Avec les câpres, c'est fini, à Capri ou bien ici ! ».
Fort heureux de cette saillie, l'homme alla porter la poule au pot au vieux coq qui avait été averti de sa venue grâce aux douze coups de sa chère pendule. Il était déjà à table, espérant se pourlécher les babines. Le cuisinier devant un tel empressement et pour rabattre le caquet qui l'avait ainsi mis en demeure de lui préparer un plat exigeant beaucoup de travail se dressa sur ses ergots pour lui rétorquer : « Les coqs n'ont pas de babines surtout celui qui a la crête en berne et se couche avant les poules ! »
Est-ce cette remarque sournoise ou bien est-ce le remord d'avoir ainsi avancé le trépas de sa pauvre compagne, toujours est-il que la poule au pot resta sur le jabot du vieux coq. Il en eut même des nausées carabinées au point qu'en pleine nuit, la poule revint sous forme d'indigestion. Le coq éprouva le repentir, tandis que la poule, miraculeusement se refit une santé, aidée en cela par son œuf qui était sorti de sa coquille.
Depuis, le vieux coq et sa vieille cocotte couvent des jours heureux à l'ombre d'une pendule. Qu'importe du reste que ceci ne se passe pas dans une ferme du Poitou, mais assez curieusement à Saint-Martin d’Abbat. C'est sans doute une bonne raison pour ne pas accorder « foie » à mon propos même si cela me fendra le cœur.
À Paty & Alain
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