Suffixe « varier »
L’évolution, encore et toujours. Parce qu’elle varie, elle-même ; dans le temps au fil des découvertes. Elle progresse. Après 150 ans, le Néo-darwinisme a fait évoluer sa théorie et pas uniquement la sienne. Les mentalités, elles-mêmes, en furent altérées. Pourquoi pas, une conversation imaginaire dans le temps à la recherche des chaînons manquants ?
Après l’article "Préfixe ’Evoluer’", le Science et Vie de juin (n°1101) faisait l’inventaire des dernières investigations et découvertes que Darwin ne pouvait pas connaître.
La théorie de l’Évolution évolue elle-même. Alors, si on y mettait un peu d’humour avec une rencontre imaginaire, du 3ème type, mêlée à de l’histoire très post-moderne ?
Hériter n’est ce pas la meilleure manière de continuer ? Malheureusement ou heureusement, en fonction du bénéficiaire, peut aussi se voir amputer de beaucoup d’acquis de la génération précédente ou s’en voir conserver une partie à l’insu de son plein gré. Car, on ne conserve rien tel quel. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout change ou se déplace... de poche, aussi.
Où, il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir. Ce ne sont pas les gènes qui vont contredire ce principe de base. Pour les individus, ce serait entre égoïsme ou altruisme avec l’environnement comme toile de fond. Pour les gènes, dans le fond, ce n’est pas tellement différent.
Chacun sur son arbre de vie et laissons faire la nature des choses. Mais qu’entend-on dans la forêt ?
- "Espèce de con, pourquoi as-tu fait cela ? Tu ne connais pas la dernière interprétation et sa dernière évolution ?", dit une petite voix avec mauvais caractère.
- "Sale canaris, mal emplumé. Qu’est ce qu’une "espèce de con", au moins le sais-tu, de quelle espèce, es-tu ? Chacun doit avancer à son rythme pour parler d’espèces et les vaches seront bien gardée. Qui t’as donné ce sale caractère ? De qui as-tu hérité cela", répond une grosse voix.
Ils ne s’étaient même jamais rencontrés avant, ces deux-là et ils n’étaient déjà pas d’accord. Vite dit, donc, de chercher à s’entendre, dans ce monde-là. Alors, fusionner, vallait mieux pas.
La Science, elle, a ses raisons que la raison adore exprimer avec le plus de précisions, quitte à noyer le poisson.
Le mystère allait-il s’épaissir ou s’aplanir ? La réponse est très dépendante des interlocuteurs et, eux, très dépendants de leur racine et de leur Foi.
A l’écoute, Darwin se réveilla et s’en retourna même dans sa tombe à entendre ces mots.
- "Je me suis basé sur mon intuition avec mes pinsons à bec variable et ça me fait une belle jambe de retrouver votre ancêtre commun qui évolue au fil de vos fantaisies de générations. Le résultat avec toi reste plutôt très douteux.", dit la voix caverneuse de Darwin.
- "Mais, calme-toi, on n’est pas fâché, cher Darwin. Seulement une petite querelle de voisinage. C’est la loi, par ici. Les mots dépassent souvent les pensées les plus intimes. Il faut répondre à vitesse ou à impulsions réduites en jouant sur les gaz et la pédale de l’accélérateur. Tu sais, la spéciation passe aussi par les allèles et un peu de sélection naturelle comme antidotes aux réactions trop rapides ou mal appropriées, cela ne fait pas de mal.", s’empresse de répondre le pinson. "Il faut seulement s’adapter aux circonstances. Tout change ici bas, mais toujours à vitesse variable. Il faut donné le temps au temps, que diable. Ta théorie, tu as mis le temps à la sortir. Mon bec, si je dois en plus, le fermer, où irais-je ? Et puis, je ne suis pas naturaliste, moi. Donc, tu devrais en savoir plus sur la question, non ? L’hérédité, cela ne te dit rien ?".
- "L’hérédité et les héritages sont affaire de niveau de parenté au bénéfice du plus rapproché. La ligne directe, c’est le pactole assuré. Ce l’est un peu moins pour les copains dans la nature environnante. Le copinage, les arrières petits neveux, il faudra qu’ils s’y fassent. Ils n’auront pas la gloire avec l’héritage.".
- "Exactement. Ça c’est chez les individus. Tu en connais les risques. C’est presque identique dans l’infiniment petit. Les généticiens, depuis ton départ, ont relevé le gant et ils l’ont très souvent largement ouverte cette hérédité avec beaucoup de théories, en plus. L’ADN a de ses secrets que le commun des mortels ne peut pas se rendre compte, sans se poser beaucoup de questions. Ces généticiens ont, souvent, des réponses que tu ne comprends pas tout de suite mais qui sont très peu fixées dans le durable. Donc ne t’en fais pas trop. Il est tellement instable, ce serpentin, face à tellement d’ennemis ou de faux amis. Cent génomes d’animaux. Mille génomes de bactéries. Des milliers de génomes viraux. Tous, séquencés, aujourd’hui. Te rends-tu compte du boulot pour ces généticiens ?".
- "Des généticiens, des génomes ? Je dois avoir manqué quelques marches dans la compréhension. Mon concept et mes convictions ont toujours été "Croisez et multipliez", j’ai toujours pratiqué cela avec ma famille. Neuf enfants, c’est pas mal, non ? Mon épouse n’a peut-être pas l’intelligence de l’homme, mais de la tendresse, bordel ! Qu’est-ce que t’en fait ? Explique moi."
- "D’accord. C’est Mendel qui expliqua, en premier, avec son support matériel de l’hérédité que les avoirs, les acquis se transmettent par les gènes entre générations. Mais ce n’est pas tout, ceux-ci peuvent muter au passage. Tu ne me reconnaîtrais pas avec ma couleur bariolée d’aujourd’hui. Et pourtant, mon plumage n’est déjà plus le même qu’à ma naissance. J’évolue même entre mes contemporains. Quant à mon ramage, en cherchant bien, La Fontaine pourrait bien avoir une fable cachée dans son mémento pour la décrire. Pour l’idée que tu te fais de la femme, il faudra un peu la réviser, à mon avis. Sais-tu que chez mes contemporains humains, c’est la crise et un plan de relance parle d’investir dans la femme sous le terme de Womenomics ? Ça, t’en bouche un coin, non ? Pendant toute ta vie tu as été malade. Sans le savoir, tu étais, probablement, en déphasage avec la sélection naturelle. Avec ta stature courbée, ta barbe en bataille, qui sait, tu étais, peut-être, non viable."
Darwin, étourdit, réfléchissait. La moutarde commençait à lui remonter par les narines. "Non viable ?", se disait-il. L’intelligence de ce rejeton dépassait celui de ses pères. Jamais entendu un pinson qui parle et qui soit si féru d’érudition et si insolent, à la fois. La descendance avec mutation devient une véritable descendance d’enfer, pensa-t-il. Plus aucun respect pour les aînés. Pourtant, intrigué, il demanda :
- "Tu parles d’ADN. De quoi s’agit-il ? Serait-ce l’"Âme à Dose Naturelle" ?, s’inquiète Darwin.
- "Non, l’Acide Désoxyribonucléique. C’est la partition de la symphonie génétique. T’es pas au courant ? James Watson et Francis Crick l’ont découvert bien après toi. T’as vraiment une structure vestigiale, dit ? Génotypes vers phénotypes, pour ne rien te cacher."
Darwin commence à chanter mentalement "Il est malade, complètement malade", tandis que le pinson, joyeux, sautant de branche en branche, continuait sa théorie post-moderne tout en continuant à faire l’étalage de ses connaissances.
- "Nous sommes marqués chimiquement. Les pros de ce marquage appellent cela de l’épigénétique. Stephen Jay Gould expliquait, ainsi, l’élasticité de notre évolution dans sa vitesse d’exécution contrairement à ce tu disais, au sujet de l’évolution, graduelle et lente. C’est à vitesse variable. Cela expliquerait même les chaînons manquants chez tes chers fossiles en y apportant des ponts inattendus. Véritable équilibre ponctué par quelques monstres prometteurs mais qui restent heureusement anecdotiques. Question d’interpréter la partition, les protéines, les virus, par exemple, sont dans le coup et influencent l’ARN. Ils s’attaquent à l’ADN pour en déstabiliser l’édifice, encore plus. Tout est imbriqué dans le processus. Tous pour un, un pour tous. Dans ce jeu, on en oublie, si c’est la poule qui a fait l’œuf ou l’inverse. Contradictoire, tout cela ? Non, complémentaire. C’est ce qu’on appelle la discipline de l’évo-dévo. Non, c’est une "super synthèse", du saltationnisme.".
- "ARN ? Qu’est ce, encore, cela ? L’Attraction Répréhensible Naturelle ? Espèce de pinson, qui ne parle plus mon langage. Tu recommences ? T’as la couleur de tes plumes et de tes poux. Même pas une queue plus longue, mais pour ce qui est de la tête, t’as exagéré avec le plomb. T’es vraiment plus le fils de ton père et de ta mère. Mutant, va."
- "Encore une fois, tu te trompes. L’ARN, c’est de l’acide ribonucléique et la spéciation a eu des effets qu’il faut juger sur pièce. Le découvreur, c’est entre autres, Marshall Nirenberg. T’as qu’à t’y faire, aujourd’hui, on découvre les choses en équipes. Carl von Linné, tu t’en souviens, peut-être, espérait pouvoir nous classifier avec ses étamines, ses pistils à en choquer plus d’un de son époque. Et bien non, c’est plus compliqué que cela, il y a, en plus, un flou artistique. Ces sacrés emmerdeurs de virus ont tout cassé avec leurs subtilités du travail bien fait en véritables kamikazes. Leur évolvabilité est diablement plus rapide sans consensus. C’est, parfois, une explosion qui fait évoluer et il faudra chercher une nouvelle niche écologique, comme dit Mark Pagel. Car il y a les accidents de parcours, qui, en définitive, marchent à merveille, comme avec Alice, ma copine, qui vole plus vite que moi avec son bec aérodynamique. Et le concept de la co-évolution en symbiose, des transposons, avec les bénéfices partagés et le stress qui influence, tu connais ?"
- "Tu me les gonfles. Tu es devenu un virus dangereux, un carriériste qui se gargarise de mots, pinson de mes deux. Mais ce qu’on ne pourra jamais me reprocher, c’est d’être écolo avant l’heure. Et, ça cela vaut tous les mots de la terre.".
Manifestement, la conversation s’envenimait. Un véritable dialogue de sourds. Querelles de générations, aussi. Ces jeunes ne pensent qu’à l’évolution de leur carrière. Le pinson en avait encore beaucoup de choses à raconter à Darwin. Traduit par Clémence Royer, sa théorie à fait des émules dans pas mal de secteurs et certains en ont tiré des conclusions hâtives en soutien à leur propre théorie qui n’avait plus rien à voir avec l’idée scientifique. Le mot d’eugéniste, lui brûlait le bout du bec. Lui parler de son fils aîné, qui, lui aussi, n’était pas exempt de fantasmes. Traduire n’est ce pas trahir ?
Mais, il était vraiment temps que chacun reprenne sa route.
Le pinson s’envola et Darwin se retourna en réfléchissant à un ailleurs meilleur.
Il n’aurait même pas osé parler d’informatique, alors que là aussi, des processus d’héritage existaient au grand bénéfice de ses utilisateurs et développeurs. Il ne chercha pas son Créateur. Il pensa donc simplement qu’il était et qu’il continuerait son chemin dans le ciel jusqu’à la fin des temps. Il ne voulait pas en savoir plus.
Il n’avait pas entendu le biologiste russe Theodosius Dobzhansky dire « Rien n’a de sens en biologie, si ce n’est à la lumière de l’évolution ». Mais, ce n’était certainement pas dit dans sa langue de pinson.
Cela aurait pu le rassurer un peu, pourtant, avec des principes simples, universels et complémentaires de la descendance avec modification et de sa sélection naturelle.
Depuis, Armand de Ricqlès avait constaté que "La théorie synthétique a fortement évolué par incorporation - et donc dépassement - de points de vue initialement très critiques et par l’émergence de champs nouveaux venant la compléter".
Massimo Pigliucci, lui, se taisait mais il n’en passait pas moins.
La théorie de l’évolution pourrait-elle devenir, enfin, prédictive et dessiner l’évolution future des êtres vivants ? Là, ce serait aller trop loin. Ce n’est pas le but du jeu. L’histoire est pavée de "trop" bonnes intentions. Les apprentis sorciers habitent souvent le futur, que l’on voudrait ne pas avoir à imaginer.
Que le Futuroscope de Poitiers eut pu imaginer un tortunosaure, passe encore, mais, n’est pas singe qui veut.
Modifier un homme vers son propre progrès ? Quel progrès ? De toute façon, il faudrait terriblement le bricoler pour qu’il reste varié, cet homme, sans devenir "avarié".
Alors, les sélections ne sont plus tout à fait naturelles. Contre nature, même. Les castings ont commencé.
Pour évoluer, aujourd’hui, rien ne sert de partir à point, il faut toujours courir.
L’Enfoiré,
Citations :
-
"Si on repassait le film de la vie, le scénario ne serait pas le même", Stephen Jay Gould
-
"L’évolution est une théorie au sens propre du terme, c’est-à-dire une vaste synthèse intégrant et rendant compte d’une multitude de données observationnelles et expérimentales dans un cadre rationnel et unifié. Ce n’est donc, pas une hypothèse parmi d’autres mais un système ouvert.", Armand de Ricqlès
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