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Foot et fiscalité, le match nul

Ecrasé par le FC Barcelone (5-2) en huitièmes de finale retour de la Ligue des Champions, la plus prestigieuse des coupes européennes de football, l’Olympique Lyonnais, septuple champion de France, a démontré une nouvelle fois la difficulté des clubs français à briller sur la scène continentale. Jean-Michel Aulas, le président de l’OL, a aussitôt pointé les « problèmes structurels » du foot hexagonal et dénoncé une fiscalité française qu’il juge trop lourde.

Jean-Michel Aulas est un chef d’entreprise à la tête de deux affaires. L’une consiste à vendre des logiciels. L’autre des buts et des maillots. La première est cotée en Bourse. La seconde…aussi. « Un club se gère comme une entreprise » a t-il reconnu un jour. Association devenue Société Anonyme à Objet Sportif (SAOS) puis composante d’une holding baptisée OL Groupe, le club rhodanien n’a pas tardé à sentir la touche de l’entrepreneur. Sur le plan sportif, l’ascension est impressionnante : en une douzaine d’années, l’Olympique Lyonnais passe du statut de modeste formation de deuxième division à celui de roi incontesté du foot français. Depuis 2002, année de son premier sacre, l’OL fait main basse sur toutes les couronnes de champion national. L’entreprise est florissante. Des OPA sur les meilleurs éléments des concurrents lui assure l’hégémonie sur le pays. L’achat-revente de quelques perles bien trouvées (comme le Ghanéen Michael Essien, acheté 11 millions d’euros à Bastia puis revendu deux ans plus tard aux londoniens du FC Chelsea pour 38 millions) garantit une trésorerie confortable. Jean-Michel Aulas peut être fier. Grâce à ses méthodes de businessman, Lyon est devenu le fleuron national de l’industrie foot. Dès lors, l’hexagone commence à se faire étroit. Il faut exporter le produit.

Roi de France, faire-valoir d’Europe

La concurrence décimée, Lyon ne cesse de gagner en France. Si on ne veut pas que les supporters se lassent, il faut réussir quelque chose sur la scène européenne. C’est là que le bât blesse. La méthode « Aulas », révolutionnaire en France, les voisins italiens, anglais et espagnols la pratiquent déjà depuis un moment. Ce n’est pas au milliardaire américain Malcolm Glazer, propriétaire de Manchester United, champion d’Europe en titre, et accessoirement des Bucs de Tampa Bay (football américain) que l’on va apprendre le sport-business. Les années se suivent et se ressemblent : l’OL carbure en France mais cale en Europe. En dépit de prestations parfois brillantes, Lyon ne dépasse jamais le stade des quarts de finale. Cette année, comme lors des deux précédentes saisons, c’est même en huitièmes de finale qu’a du s’arrêter l’aventure. Premier budget de Ligue 1, l’Olympique Lyonnais n’est que le 12ème des clubs européens les plus riches(). Absorbeur de talents en France, Lyon se fait subtiliser ses meilleurs éléments par les « gros européens » (Mahamadou Diarra par le Real Madrid, Florent Malouda par Chelsea, Eric Abidal par le FC Barcelone…). Son stade, parmi les plus grands de France (43000 places) ferait sourire les 98000 spectateurs du Camp Nou de Barcelone. La loi que l’OL impose aux clubs français est la même que celle qu’il subit en Europe : le plus gros des poissons croque les autres. Le capitalisme dans toute sa splendeur. L’entrepreneur Aulas peut-il s’en offusquer ?

« Nous ne luttons pas à armes égales »

Placée dans ce système, la réponse de Jean-Michel Aulas ne surprend pas vraiment tant le discours est entendu. « Nous ne luttons pas à armes égales », lance t-il le lendemain de la cuisante défaite de Barcelone. (2) D’une, les stades français sont trop petits pour engranger des recettes de billetteries conséquentes. Mais surtout, « L’Espagne a de meilleurs lois fiscales qui font que les meilleurs joueurs viennent ici ». Et revoilà l’impôt ! L’ennemi irréductible de la libre entreprise et le frein traditionnel de la compétitivité des marques nationales. Si Lyon n’est pas en mesure de rivaliser avec Barcelone ce n’est pas une question de culture populaire ni d’ancrage historique. Peu importe si le « Barça » totalise 51 titres nationaux dont 18 sacres de champion d’Espagne, quand Lyon n’en compte que 22 dont 7 couronnes nationales. Qu’importe si Barcelone était déjà champion en 1929 quand Lyon a dû attendre le 21ème siècle (2002). Que les "Blaugranas" soient adulés dans le monde entier pour l’identité de leur jeu, fondée sur la circulation rapide du ballon et tournée vers l’offensive, tandis que Lyon cherche encore son style, n’est pas une raison valable pour justifier que de l’aveu même de son attaquant vedette Karim Benzema, « [Lyon] n’a pas vu le ballon ». Non si l’entreprise d’Aulas ne s’exporte pas bien c’est à cause des « problèmes structurels » bien français. « Quand on a l’esprit tourné vers l’égalitarisme, il arrive cela » juge le président. « On a besoin d’un état d’esprit tourné vers l’élite et non vers les plus mauvais » (3). Et si en France, les stades sont à moitiés vides, c’est parce qu’ils ne sont pas assez grands.

Non à l’impôt mais…oui à l’aide publique

Le problème de l’entreprise de football, c’est qu’elle n’est pas délocalisable. Il faut soit s’adapter à l’environnement, soit tout faire pour le transformer. En lobbyiste confirmé, Jean-Michel Aulas ne pouvait se contenter d’une adaptation. Ses complaintes régulières -qui n’ont pas attendu la déroute de Barcelone- résonnent jusqu’aux plus hautes instances politiques. En novembre 2008, Eric Besson, alors Secrétaire d’Etat à la Prospective, remettait son rapport sur la compétitivité du football français, commandé en avril par François Fillon. Le président lyonnais fait partie des personnalités auditionnées. (4) Parmi les grandes mesures préconisées : « moderniser les stades » et « modifier certains principes économiques » (sic). Pointant du doigt « le niveau plus élevé des impôts et des cotisations sociales », Eric Besson insiste sur la nécessité de renforcer le dispositif du Droit à l’Image Collective (DIC). Mis en place en 2005, le DIC permet d’exonérer de cotisations sociales 30% de la rémunération brute des sportifs si celle-ci dépasse deux fois le plafond de la Sécurité sociale (soit 5546 euros mensuels). Présentée alors comme un moyen de garder les meilleurs joueurs en France, ou de les y faire venir, la mesure n’a eu à ce propos aucun effet. Le mois dernier, la Cour des comptes, qui chiffre son coût pour le budget de l’Etat à 95 millions d’euros, a recommandé sa suppression. La Cour juge notamment que « les écarts de rémunération entre sportifs français et étrangers n’ont pas vocation à être comblés par les finances publiques ». (5)

La Cour fait bien de le rappeler. En 1995, Jean-Michel Aulas signait avec Raymond Barre, alors maire de Lyon une convention attribuant à l’OL une subvention annuelle de 10 millions de francs-auxquels s’ajoutaient 4 millions en cas de qualification européenne et 2 autres millions en cas d’accession en quarts de finale- tandis que la mairie achetait pour 3 millions de francs de places. (6) Par ailleurs, le président lyonnais projette de construire un nouveau stade de 62000 places. Sur un coût global de 500 millions d’euros, l’Etat et les collectivités territoriales devraient participer à hauteur de 180 millions. (7) Se pose évidemment la question des aménagements des dessertes. Le 24 novembre 2008, la commission Grands stades – Euro 2016 préconisait dans son rapport la reconnaissance du caractère « d’intérêt général » aux grandes enceintes sportives. Cette mesure faciliterait le financement des dessertes et accès au stades par les collectivités locales… Le 21 janvier dernier, Michel Mercier, sénateur et président du Conseil général du Rhône déposait un amendement au « Projet de loi pour l’accélération des programmes de constructions et d’investissements publics et privés", amendement dotant du statut « d’intérêt général » « les stades et enceintes sportives réalisés par des sociétés à objet sportif » ainsi que « les équipements connexes permettant le fonctionnement de ces installations »… (8) Adopté au Sénat, l’amendement Mercier fut finalement rejeté le 28 janvier après la réunion d’une commission mixte paritaire. Les impôts que critique tant M. Aulas ne paieront pas ses projets privés, du moins pour le moment. En attendant, l’Etat verse toujours chaque année 1,7 millions d’euros de subventions aux clubs de Ligue 1, ce qui ne représente jamais qu’environ 4% de leur budget en moyenne (9), mais ne laisse malgré tout d’interroger sur la pertinence de l’aide financière publique en faveur des clubs dégageant des bénéfices confortables, comme Lyon ou l’Olympique de Marseille, 17ème club le plus riche du monde (op cit).

Remèdes libéraux pour « entreprise » française

La gestion entrepreneuriale de son club par Jean-Michel Aulas n’est pas un fait nouveau. Elle partage le monde du football entre critiques et admiration depuis quasiment une décennie. Après tout, la bonne santé financière du club et sa réussite incontestable au niveau national plaident en sa faveur. La méthode de gestion privée du président de l’OL dérange cependant beaucoup plus quand elle en vient à interpeller les politiques et à solliciter les financements publics. Quand à cela s’ajoute l’argument, certes classique, de l’étouffement fiscal, la méthode Aulas devient indécente et choquante. En définitive, à force d’avoir voulu en faire une « entreprise comme une autre », le cas de l’OL renvoie aisément l’image de la firme française qui peine à s’exporter. Les raisons de ses faiblesses ? Des handicaps structurels, au premier rang desquels, l’impôt. Or, de la même façon que baisser les salaires des ouvriers français au nom de la compétitivité avec les ouvriers chinois est insensé, tant l’échelle est différente, miser sur l’attrait financier du football français paraît totalement vain. Peut-on croire une seconde que baisser l’impôt sur le revenu pour les footballeurs évoluant dans l’hexagone dégagerait une manne suffisante pour concurrencer sur leur terrain l’oligarque russe Roman Abramovich, propriétaire du FC Chelsea ou le milliardaire dubaiote Suleïman al-Fahim, propriétaire du club de Manchester City ? Cet argent issu de l’impôt permet en revanche de financer les associations locales de football dans lesquelles se servent M. Aulas et les autres le moment venu. La formation « à la française », célèbre dans le monde du football, demeure une des plus brillantes -les joueurs Français sont, derrière les Brésiliens, les plus représentés lors des coupes européennes. Il serait peut-être plus pertinent de veiller à renforcer ce modèle, d’autant que les observateurs n’auront pas manqué de relever que la moitié de l’équipe barcelonaise qui a affronté Lyon était issue du centre de formation catalan- comme quoi le troisième club le plus riche du monde ne fonde pas pour autant sa réussite sur le seul recrutement (10). Le rapport Besson prévoit pourtant de réduire le nombre de centres de formation afin de réduire les coûts pour les clubs et leur garantir une plus grande « rentabilité ».

Quoi qu’il en soit, la déroute de l’Olympique Lyonnais à Barcelone a permis à son président de revenir à la charge. Le moment est plutôt bien trouvé, si l’on peut dire, car si l’agenda est respecté, les réformes proposées dans le rapport Besson devraient être engagées ce mois-ci.

 

Filippik

 

(1)"Les clubs les plus riches du monde", Le Figaro.fr, 14 février 2008
http://www.lefigaro.fr/societes-etrangeres/2008/02/14/04011-20080214DIAWWW00516-les-clubs-les-plus-riches-du-monde.php

(2) Reuters, 12 mars 2009

(3) Lyoncapitale.fr, 12 mars 2009
http://www.lyoncapitale.fr/index.php?menu=05&article=7420

(4)Rapport d’Eric Besson « Accroître la compétitivité des clubs de football professionnels français »
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/084000693/index.shtml 

(5) cf : www.ccomptes.fr/fr/CC/documents/RPA/20-droit-a-image-collective-sportifs-pros.pdf

Extrait : « La Cour constate que quatre ans après sa création le dispositif d’exonération complète des cotisations sociales - patronales et salariales - normalement applicables à une partie des rémunérations versées aux sportifs professionnels par leurs clubs n’a pas démontré son efficacité par rapport au but recherché : les meilleurs sportifs professionnels français continuent à partir à l’étranger, dans la mesure où les véritables problèmes structurels de compétitivité des clubs français dépassent manifestement la seule question des charges sociales » (Rapport de la Cour des comptes, février 2009)

(6) "La ville de Lyon module sa subvention à l’Olympique Lyonnais ", Les Echos, 28 juillet 1995
http://archives.lesechos.fr/archives/1995/LesEchos/16949-61-ECH.htm

(7) Libelyon.fr, 14 octobre 2008
http://www.libelyon.fr/info/2008/10/le-projet-de-gr.html

(8) Libelyon, 28 janvier 2009
http://www.libelyon.fr/info/2009/01/un-dput-ump-sin.html

(9) Projet de loi de finances pour 2008 (cf tableau http://www.senat.fr/rap/a07-092-8/a07-092-84.html )

(10) « Au Barça, la star c’est le centre de formation » Le Monde.fr, 23 février 2009
http://www.lemonde.fr/sports/article/2009/02/23/au-barca-la-star-c-est-le-centre-de-formation_1159202_3242.htm


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4 réactions à cet article    


  • TSS 27 mars 2009 16:08

    Aulas le Tapie de Lyon,le charisme en moins... !!


    • zelectron zelectron 27 mars 2009 17:42

      Les gladiateurs du foot ? Les arênes d’Augias ? les sévices de Capoue ?

      (je ne suis pas sûr de mes citations, mais il y a bien le donneur de leçons de service qui va se faire un plaisir de tomber dans le panneau et Oh ! lumière des lumières retablir la vérité que personne ne connaissait sauf lui) on y va tout droit, comme si il n’y avait pas d’autres sujets de préocupations.

      Diminuer la fiscalité ? vous n’y pensez pas et si vous insistez voyez ce qui est arrivé à Quintus, vous risquez une augmentation d’impôts qui ne va pas vous faire rire.


      • Fergus fergus 28 mars 2009 10:49

        Non seulement il n’y a pas lieu de diminuer la fiscalité, mais il faut au contraire l’alourdir pour compenser les dérives salariales indécentes.


      • Fergus fergus 27 mars 2009 19:20

        Le football professionnel est devenu tellement indécent en ces périodes de crise et de souffrance des classes populaires qu’il est grand temps de faire table rase des errements du passé et de couper court définitivement à toute subvention publique, quelle qu’en soit la forme et la justification.

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