L’esprit cocardier
Allez les bleus !
J’avoue ne pas être tout à fait normal ; je vous dois ce terrible aveu. Quand une équipe de France joue, je ne me lève pas pour chanter la Marseillaise, chanson dont les paroles me gênent aux entournures ; pas plus que je ne me grime de bleu, de blanc et de rouge. Je n’ai pas besoin de tout ce décorum stupide pour apprécier éventuellement le geste sportif pour peu qu’il soit de qualité.
Je m’interroge toujours sur l’utilité d’un hymne national lors des rencontres sportives internationales. Est-ce le besoin de confrontation au plus haut niveau pour que se mobilise ainsi l’esprit le plus cocardier, le plus vulgaire . L'esprit humain a-t-il besoin de cette agitation pour se penser d'une nation ? Tout cela me fait froid dans le dos et m’incite à penser qu’un rien, vraiment une broutille, serait de nature à déclencher de nouvelles guerres, même entre nations européennes.
Le sport, à ce titre, n’est pas ce vecteur de paix qu’on veut bien nous vendre lors des grandes épreuves, bien au contraire. Les foules enivrées par la victoire me font peur : elles sont beuglantes et stupides, avinées et si excitées qu’un rien pourrait déclencher une émeute ou bien un accident majeur. C’est d’autant plus évident, que caméras et micros sont là pour amplifier les réactions déraisonnables que la manipulation des foules prépare avec un malin plaisir.
Je ne suis pas un rabat-joie ; je peux regarder dans le calme sans hurler, sans supporter non plus les cris hystériques des commentateurs. Pourquoi faut-il que ces prétendus journalistes agissent de la sorte et viennent mettre de l’huile sur les braises ? Tout cela relève de la plus grande folie et me plonge dans un abîme de réflexion.
L’esprit cocardier c’est sans doute le plus bas, le plus vulgaire, le plus déplorable instinct. Les foules, chauffées à blanc dans les tribunes, sont les bataillons avancés des prochaines déflagrations. Se sont-ils vus, ces supporters, peinturlurés de manière grotesque, vêtus de ce qui pourrait tenir lieu d’uniforme pour aller à l’assaut de ces adversaires qui ne sont plus des partenaires mais déjà des ennemis à abattre ?
Je ne vais pas jouer les parfaits hypocrites ; je suis encore formaté pour éprouver une petite satisfaction quand une équipe tricolore remporte la victoire. Mais de là, à défiler dans les rues, à brandir le drapeau, à klaxonner ou bien à me saouler, il y a des limites que la décence m’interdit de franchir. D’ailleurs, je fais sans doute partie de ces rares personnes qui n’ont pas regardé la fameuse finale du championnat du monde de football en 1998. Je mérite donc la déchéance de nationalité.
Pire encore, dans les quelques sports que je connais bien pour les avoir pratiqués et aimés, je préfère la victoire de l’équipe qui joue le mieux, au succès, tiré par les cheveux et sans panache, de l’équipe de France. C’est ainsi, je suis un esthète du geste sportif, un amateur de l’épopée sans faire une fixation sur la seule victoire qui compte : celle de la patrie.
Alors, je regarde de loin toutes ces manifestions ahurissantes, ces soubresauts guerriers, ces réactions hystériques qui poussent mes concitoyens à perdre toute raison quand l’honneur de nos couleurs est en jeu. J’ai froid dans le dos à l’idée que tout cela relève d’une certaine idée des relations humaines qui conduisent aux grandes déflagrations.
L’esprit cocardier c’est la lie de l’amour du pays. On peut aimer la France, son histoire, sa langue, ses paysages sans avoir besoin de brandir son drapeau, sans se mettre en transe quand des jeunes gens en culottes courtes sont censés défendre notre honneur ; sans se pâmer pour des médailles qui sont d’abord et exclusivement la récompense de ces jeunes gens qui ont tout sacrifié pour les obtenir.
Jamais je ne crie : « On a gagné ! » Je n’ai pas cet honneur de participer à la rencontre ; je n’ai rien gagné du tout si ce n’est le plaisir d’un bon spectacle pour lequel le résultat importe peu pourvu qu’il soit de qualité. Alors que j’écris ces quelques lignes, j’entends des spectateurs chanter en chœur la Marseillaise. N’existe-il pas d’autres chants pour exprimer sa joie ou son enthousiasme ?
Amateur de rugby, je sais les publics gallois, irlandais, anglais et écossais capables de chanter en chœur des chants qui vous donnent la chair de poule et qui sont d’une beauté absolue, merveilleusement interprétés par une foule à l’unisson. Cela a, sans aucun doute, une tout autre allure que cette misérable marche militaire qui nous vient de la Révolution. Cette hystérie collective relève d’une éducation manquée, d’une manière primaire de concevoir le sport par procuration et la victoire par substitution. Oui, vraiment l’esprit cocardier est bien une détestable manière de penser le sport et le monde.
Chevaleresquement vôtre.
21 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON