Aux sources du Tarn : noces d’or lozériennes
Chaque année, à la fin du printemps, une grande partie de la Lozère se couvre d’or. L’or des genêts en fleurs. C’est principalement sur les contreforts du Mont Lozère, dans la partie nord du Parc national des Cévennes, que cette explosion de couleur est la plus spectaculaire...
Pour assister à un phénomène botanique naturel d’une grande beauté, on peut – à condition d’en avoir les moyens – aller jusqu’à Kyoto admirer l’extraordinaire profusion des cerisiers en fleur, ou en Amérique du nord s’émerveiller des couleurs de « l’été indien ». On peut aussi, plus modestement, choisir de se rendre au Pont-de-Montvert, en ce lieu où est née la Guerre des camisards à l’aube du 18e siècle. Entre les croupes arrondies du Mont Lozère et celles, plus boisées, du massif du Bougès, ce sont des dizaines de milliers de genêts qui, dès le mois de mai, s’épanouissent dans un éblouissement d’or pour le plus grand plaisir des rares habitants de ces lieux et celui des randonneurs précoces, souvent venus là tout exprès pour jouir du spectacle.
Comble de bonheur pour les contemplatifs et les photographes, ces genêts se mêlent de manière intime aux multiples chaos de granite qui caractérisent les contreforts du Signal de Finiels (1699 m) ou du Signal des Laubies (1657 m) – point culminants du Mont Lozère –, et plus encore les paysages des sources du Tarn, entre Le Pont-de-Montvert et Le mas de la Barque, tout autour de l’emblématique Pont du Tarn sur lequel passe, depuis l’époque médiévale, la grande draille du Languedoc. On assiste alors, dans la lumière printanière, aux noces d’or lozériennes, autrement dit au mariage réussi des blocs granitiques et des innombrables inflorescences dorées qui, sous l’action du puissant soleil cévenol, exhalent de surcroît un puissant parfum. Une pure merveille !
Les Cévennes et les grands causses, réunis au sein du Parc national des Cévennes*, ont été classés le 28 juin 2011 au patrimoine mondial de l’Unesco au titre de « paysage culturel de l’agro-pastoralisme méditerranéen ». Et c’est en effet cet agro-pastoralisme qui caractérise l’activité humaine dans le terroir granitique du Mont Lozère, si différent des paysages schisteux des Cévennes méridionales ou des immensités karstiques des causses voisins. Chaque année, début juin, montent du midi de grands troupeaux de brebis transhumantes le long des vieilles drailles utilisées depuis des temps immémoriaux pour amener les animaux sur les lieux de pâture d’altitude. Sous le regard des curieux, les troupeaux passent, emmenés par les meneuses aux pompons rouges, bleus ou jaunes, et encadrés par les bergers et leurs chiens, tous très excités par l’aventure renouvelée de la transhumance, même si les hommes, par pudeur, ne le montrent pas.
Les anciennes fermes d’altitude et les jasses** de montagne ont toutefois changé pour la plupart de destination durant les dernières décennies. Beaucoup ont été restaurées et sont devenues des résidences secondaires de gens de la ville, montés du Gard ou de l’Hérault pour se ressourcer dans ces paysages vierges des atteintes industrielles et consuméristes qui ont semé tant de chancres hideux dans les vallées et les plaines. Un bien pour un mal : abandonnés pour des raisons économiques, ces témoins architecturaux*** de l’activité paysanne d’autrefois ont bel et bien été sauvés de la ruine par cette mutation. Au vu du résultat, on ne peut que s’en féliciter en observant l’état de délabrement de fermes remarquables comme celles de Peyreguy ou de Pailhas dans les hauteurs de Fraissinet-de-Lozère, pour ne citer que celles-là.
Malgré la présence persistante, année après année, des brebis ou des vaches Aubrac maintenues à l’estive par les exploitants de rares Gaec, le pastoralisme déclinant a naturellement favorisé la colonisation des pâturages par les genêts dont chacun connaît le caractère invasif. Paradoxalement, c’est donc à la diminution de l’activité humaine, au fil du temps et des transformations de la société, que l’on doit l’essentiel de la splendeur printanière de ce massif austère, si glacial en hiver, et parfois si étouffant en été. Et cela malgré les écobuages pratiqués tous les 5 à 7 ans par les éleveurs pour enrayer la progression des genêts sur la lande et enrichir les pâtures par l’action du feu.
Mais quelles que soient les motivations qui conduiront, au printemps revenu, les visiteurs béotiens sur les flancs du Mont Lozère – du côté de Finiels, de L’Hôpital ou de L’Aubaret –, une chose est certaine : ils seront émerveillés par ces noces d’or lozériennes qui s’offriront à leurs regards dans l’infinie variété des formes minérales granitiques et le chatoiement doré des millions d’inflorescences. Et si le spectacle les laisse indifférents, c’est qu’ils seront si malheureux, ou tellement blasés des splendeurs naturelles, que l’on souffrira pour eux d’une telle cécité !
* Le Parc national des Cévennes est jumelé avec un autre territoire remarquable : le Parc national du fjord du Saguenay (Québec)
** Bergeries
*** Souvent constituées de bergeries à haute élévation et voûtes en arcs brisés
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