Carnet de route. Thaïlande1. Départ et dépendances

J’ai snobé l’Asie toute ma vie. Pourquoi ? Est-ce parce que dans mon inconscient, Indochine, Vietnam, Laos, Cambodge étaient des noms de guerre ? Est-ce parce qu’« Asie », phonétiquement, ne me plaît pas ? Trop bref. Pas mélodieux. (Les raisons les plus profondes sont souvent les plus creuses.) Mais l’an dernier, j’ai adoré la Chine au hasard d‘un voyage feuilleté au hasard. Et depuis j’ai rejoint la cohorte des victimes inconditionnelles de la douceur asiatique.
Adieu la France, pays de grognons !
Cette année : la Thaïlande.
Là aussi, ce nom « Thaïlande » a besoin d’un sacré coup d’éponge. Sur le tableau de notre imaginaire effaçons Pattaya, les Mitterrand en goguette, cette putasserie voyeuse qui sous dehors d’enquête veut exciter et dire : « Allez-y, occidentaux en mal de baise !! » L’occident ! Le nom viendrait-il du verbe « occire ? » J’appartiens à une sale race, en fait…
Ce matin je suis sur une terrasse face à la rivière Kwaï. Le pont de la rivière Kwaï à Kanchanaburi ! J’y suis ! Je rejoins le mythe ! Est-il possible que je sois entrée dans le film ? Une image me revient : William Holden a échappé à l’enfer et il y retourne pour sa fameuse mission. Il jaillit dans une jungle jacassante.
Thaïlande, Go !
Partir, c’est mourir un peu…
Beaucoup si l’on s’en tient aux préparatifs de voyage que certains maîtrisent admirablement et d’autres pas du tout ! (Moi.) Ce n’est rien de partir, il faut organiser la survie de ceux qui restent : les plantes, les chats, les chiens, les poissons, les mémés, les amis, les dernières lettres à poster, l’ultime recommandé de la dernière prune. Quand je pars, quand la voiture démarre, j’ai des sueurs froides. L’argent ? Le passeport ? L’anti-moustique ? On a toujours l’impression que l’on part pour une jungle sans boutiques. Hélas,non !
Lors de mon départ en Chine, l’an dernier, habillée de pied en cap, la valise à la main, je me suis aperçue, terreur, que le pot d’arrosage au pied de l’eucalyptus était bloqué ! Trois semaines sans eau pour cette grande asperge que je retrouverai avec un air de balai chiotte, non ! Je me penche sur cet arroseur que je titille, jusqu’à ce que, surexcité, il m’explose à la tête me transformant en naïade de la fontaine de Trevi ! A vingt minutes du départ, bravo ! La valise s’est pris aussi quelques coups de jet ! Enfin, l’eau porte bonheur !
Cette année, aucun malheur, ce qui me permet de triompher de Blanche, ma belle-fille, qui nonobstant son sens aigu de l’organisation, est passée à deux doigts du crash total.
Blanche c’est le genre de nana qui commence à repasser son linge trois semaines avant le départ, qui range matière par matière, couleur par couleur, qui a mis tous ses produits de beauté dans de petits tubes, qui a stabilobosé son guide, abondamment nourri de petits index selon les spots, les prix, les centres d’intérêts, que sais-je encore.
Elle me téléphone : « Et toi, tu es prête ? «
En ce qui me concerne, quand je pars en voyage, je ne peux faire ma valise qu’une heure avant le départ. C’est une punition d’une vie antérieure. C’est comme ça. Je range le froissé avec le froissé car tout sort de la machine à sécher. Heureusement, le chat se couche sur tout et l’aplatit. Il veut partir avec moi ! Je le laisse ronronner et se faire des rêves le temps de trouver une dernière rallonge introuvable…
Blanche est même allée jusqu’à photocopier son passeport au cas où... Et là…Hihihihi !!!!
Le dimanche, vers dix-sept heures, au moment où elle range un dernier mouchoir dans ce qui est déjà rangé, elle s’aperçoit qu’elle n’a pas…son passeport !!!!!!
Je passe sur ces instants à la Sherlock Holmes où l’on remonte tous les indices : elle se souvient qu’elle a oublié son passeport à la poste de C… où elle était allée le photocopier !!Hé oui, les saints les plus admirables sont parfois sujets à faiblesses ! Or le lundi matin elle part à 9h 35 de Roissy. Hihihihi !!!
Et c’est là que ma Blanchounette se révèle dans toute sa splendeur ! Car peu importe la faute si tu la répares ! A sept heures un copain vient la chercher en moto. (En Harley Davidson, précisons. Si l’épisode est tourné...) A huit heures ils sont à la poste. Le passeport est là avec une cinquantaine d’autres. Oublier son passeport dans une photocopieuse est semble-t-il un acte commun. Tu es tellement étonné que la photocopieuse marche que tu t’en vas ravi en laissant tout ! Au même moment mon fils, amoureux de cette diablesse, lui porte sa valise à Roissy. La Harley Davidson arrive à 8h 30. Blanche saute sur sa valise cabine, saute sur la queue de deux cents mètres qui attend, expose son cas à la foule. (Elle est comédienne.) J’imagine le texte : « Oui, je suis une crétine mais laissez-moi passer ! » Tout le monde s’écarte comme les flots de la mer rouge devant Moïse car Blanche a les yeux bleus ce qui ne ne nuit jamais en cas de négociation dans les aéroports. Elle a enfin son vol !!!
Pendant ce temps, moi, cool Raoul , avec ma valise bourrée de linge froissé, j’embarque à Marseille pour Londres. Ce linge je le repasserai en Thaïlande ou jamais. Car généralement c’est ce qui se passe. Je pars avec du linge froissé que je ne repasse pas. Je m’achète des fringues neuves à trois baths six sous et le tour est joué….
Bon. Le voyage.
Nous avons pris des billets avec escale parce que c’est moins cher.
Blanche fait escale à Moscou et nous, ma fille son copain et moi, nous passons par Londres.
Le billet avec escale à Londres nous coûte six cents euros aller-retour. On économise 300 euros par rapport à un voyage direct. Ce qui signifie, en fait, que nous avons trois cents euros de shopping gratuit à Carnaby Street. Pas mal…
Je n’ai jamais mis les pieds à Londres. On arrive. Il a plu. Il va pleuvoir. Jusque là, rien que du prévisible. Mais dans le métro, un évènement merveilleux ! Un homme vivant est sur le quai pour renseigner les gens !!!! Comme nous courons pour attraper le train qui va de l’aéroport au centre ville, zut les portes se ferment !! C’est alors que cet homme vivant, dans un pays où pourtant, comme partout, on robotise, cet homme nous dit (c’est un homme qui parle encore) :
-Je vais vous annoncer une bonne nouvelle. Vous ne l’avez pas raté ! Il ne part que dans trois minutes ! Montez plus loin !
Il fait même de l’humour !! Je le regarde attentivement pour voir si ce n’est pas un robot de la Tyrell Corporation, issu de Blade Runner. Mais non !
Puis il nous explique gentiment où aller, que faire, que dire ! J’ai les larmes aux yeux. C’est tellement rare et tellement beau un humain qui dit des choses humaines à des humains !
Dans Londres, pour tout avouer, je suis très déçue par Buckingham Palace qui est posé sur du goudron rouge avec des grilles noir et or ! Oh ! La ! La ! Les Anglais ! Ca vous tuerait un peu de verdure ? Ah ! Non ce n’est pas Versailles ! Par contre j’adore le décor urbain, les cabs et les bus. Oui, c’est connu, je sais, mais quand on voit les choses en vrai pour la première fois, c’est comme entrer dans un livre d’images qu’on a feuilleté autrefois. Paris est nul en ce qui concerne les taxis. Dans toutes les villes du monde ça grouille de taxis colorés et nous, niet. Il paraît qu’en France ça ne se fait pas parce que quand les taxis vont en vacances chez leur belle-mère, ils ne veulent pas qu’on sache qu’ils sont taxis. Et comme ils se sont ruinés avant de commencer à rouler et comme une grève de taxi, ça fait mal, on reste les seuls à être vilains et gris ! En 2012, je vote pour celui qui nous offre des taxis et des bus fleuris ! Qu’on mette ça au concours auprès de tous les taggers ! Des taxis œuvre d’art ! Voilà un bon plan pour Paris !
Ce que j’adore aussi dans les cabs c’est leur petit salon à l’arrière. On peut s’asseoir face à face et déballer ces courses, bavarder. C’est cosy !
Le soir, London airport. Nous sommes arrivés à Gatwick, nous embarquons à Heathrow.
Je suis obligée de constater, une nouvelle fois, que Roissy est un des aéroports les plus moches de la planète. Certes, je ne les connais pas tous. Cela lui laisse une chance. Maigre. Plus gris, plus impersonnel. plus crade quand on regarde les verrières extérieures, difficile de faire mieux. Jolie, l’entrée en France !
Onze heures après, Bangkok met une nouvelle claque à Roissy ! Vaste, propre, lumineux, fleuri. Seul bémol les policiers de l’immigration qui se la jouent : « J’ai été formé aux US par la CIA. » Mais mis à part ce jeu de rôle, on peut se livrer rapidement à cette excitation qui fouette après douze heures de voyage :
Un nouveau monde !
Première découverte : L’écriture Thaï est « girly ». Avec des courbes et des points partout. Cela me rappelle ces lettres de correspondantes anglaises qui mettaient des petits ronds sur tous les « i » ce qui me paraissait le summum de l’exotisme.
Comment voyager ?
Au hasard. Je déteste savoir ce que je vais faire. Si peu de liberté, partout, mais quand il s’agit simplement de jouir et d’être heureux, laissons le hasard distribuer les cartes.
Je triche un peu quand même. Mes deux premières nuits sont réservées.
Ce sera “The Thaï house”. Je vous donne l’adresse car si vous débarquez à Bangkok, vous refaire du jet lag dans cette adorable maison de famille est vraiment un plan idéal. Superbe maison en bois. Magnifique architecture. On cuisine pour vous une nourriture raffinée. Les hôtes sont thaïs c'est-à-dire les plus gentils du monde. Le sourire est le visage des Thaïs. (La chambre pour trois personnes 30 euros. Le repas : 4 euros.) Nous prenons ces repas dans une immense salle à manger en bois exotique où je ne peux écrire que des chefs-d’œuvre tropicaux. Mais le plus merveilleux, caractéristique de ce pays, est que l’on ne peut entrer dans les maisons que pieds nus ! Quand je pense au supplice de mon enfance, moi toujours pieds nus, confrontée à une coalition de bien-pensants dont le leit- motiv était « Mets tes pantoufles ! Tu vas prendre mal ! » et là, c’est la règle, la bienséance ! Ah ! Marcher pieds nus, laisser les ondes bienfaisantes de la terre et des matières nous traverser de part en part ! Même les temples, pieds nus, même les musées !
Le lendemain nous empruntons un petit bateau qui nous fait découvrir les canaux de cette banlieue de Bangkok . Là encore nous sommes seuls, bien loin de l’ enfer du tourisme occidental. Sur les rives, il n’y a pas un être vivant qui ne réponde à nos sourires et à nos saluts. Je suis comme Lady Di. J’adore ce sport. Faire sourire les gens. Trop facile en Thaïlande. A New York, c’est plus risqué mais tout aussi efficace. Le plus grognon, si on lui sourit, vous le rend vite tellement heureux, tout compte fait, de pouvoir raconter, le soir, cette merveilleuse histoire : « Dans la ville, une inconnue m’a souri ! » (On dirait de la pub pour un déodorant !)
Souriez-vous les uns les autres !
C’est un sport qui vaut le jogging. On a le sang qui circule mieux. On se ramasse des joues roses.
La nuit, concert d’oiseaux.
Il y a l’oiseau orgasme qui dialogue avec un copain ou se le fait tout seul :
« Oh ! Ooh ! Oooh ! Ooooh ! Ooooooh ! »
Et soudain plus rien. Coït interruptus. Cela fait des siècles que cela dure. Des milliards d’années peut-être. Il faudrait l’aider cette pauvre bête.
Il y a l’oiseau qui sait compter :
« Un.. deux.. trois.. quatre-cinq six ! Un .. deux, trois, quatre-cinq-six » et qui en est très fier.
Il y a l’oiseau joyeux : Oh ! la ! Oh !lal Oh la ! Hihihi !!! Oh ! la ! Oh ! la ! Hihihihi !!
Il y a l’oiseau prudent : hou…hou.. Houla !
Mes compagnons de jet lag.
Autre délice : les fruits. Je croyais que j’avais mangé des ananas, des bananes et des mangues, mais non. C’est dans les pays tropicaux que l’on découvre leur vrai goût. On se fait avoir, nous ,avec nos fruits plastique ! Une mangue c’est comme du beurre d’or qui ruisselle sur mon menton, me coule entre les seins, dans une apocalypse inimitable de saveurs soyeuses et suaves ! Ce que c’est bon ! Comme la phrase est plate à côté de l’émerveillement du palais, qui pour une fois porte son nom : le palais de la vie parfaite aux créations parfaites ! Encore une mangue ?
Nous resterons deux jours à The Thaï house. Sur le départ je saute au cou de la dame de la maison qui en est stupéfaite et ravie. Ils ne se touchent pas dans ce pays. Mais mon tempérament révolutionnaire ne se soucie pas des protocoles.
Je ne sais pourquoi cet épisode me fait penser au départ de Candide de l’Eldorado. Quand il saute au cou du Roi qui en est tout chose. Et c’était un peu ça, cette première étape, si humaine, en pays Thaï : un Eldorado .
Au revoir the Thaï house !
A nous deux Bangkok, la ville barbe à papa fluo !
Ca va chauffer !
Je joins le lien du site de Fabrice Leroux qui prend des photos sensibles et originales pendant ce voyage. Cliquer sur l'onglet "Thaïlande"
Voici également le lien de "The Thaï house"
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