Derrière la porte
Voyage intérieur
Intrusion fictive
Je ne puis regarder une porte fermée sans chercher à comprendre ce qui se cache derrière. Plus elle est vieille, plus elle porte les outrages du passé, des intempéries et des colères des hommes et plus elle me pousse à une intrusion fictive, une douce effraction dans un monde imaginaire. Nul n'est besoin de soulever la poignée ni même de toquer à ma curiosité, ce voyage-là ne peut-être qu'intérieur !
C'est sur la toile que je vis une photographie de Jean-Louis Petrone. Immédiatement j'éprouvais le besoin d'un commentaire, d'une réflexion un peu bâclée comme il nous arrive souvent d'en faire sur ce média de l'immédiat. Je vous la livre telle quelle, il n'y a pas lieu d'en être fier. Elle eut pourtant le mérite de m'octroyer le privilège de pouvoir copier ce précieux document.
« J’aime les portes closes, celles qui vous invitent au voyage intérieur. Combien de vies, combien de destins se sont succédés derrière ces couleurs délavées ? C’est une intrusion fictive, un rêve inoffensif. De la vérité, nous ne saurons rien. Ce n’est pas le but de notre voyage. Nous pénétrons en pensée ... »
Derrière la porte je sais un homme seul, traînant sa fin de vie sans jamais en voir le bout. Il attend, assis sur une chaise bancale, les coudes appuyés sur une table de cuisine qui n'a pas été nettoyée depuis très longtemps. Entre une casserole et un verre de vin, il rumine ses tourments.
Un veux chat lui glisse entre les jambes. Il vient se frotter, ultime présence qui lui soit consentie. Quelques miaulements, parfois le cadeau d'un ronronnement. Entre eux, les effusions sont aussi rares que les mots. Ils se savent présents, de cette évidence vient l'envie de continuer ainsi chaque jour à rester debout.
Derrière eux, une vielle pendule bat le rythme du temps qui n'en finit jamais. Un tic tac lourd et sourd, un rythme entêtant. C'est le seul bruit qui meuble l'intérieur de cet espace clos. La radio est un vague souvenir, la télévision n'a sans doute jamais franchi le pas de porte de ce lieu reculé de tout.
Le sol est fait de terre battue à moins que ce ne soit de tommettes disjointes. C'est l'un des mystères que je ne veux élucider. Il a y bien longtemps qu'un balai n'a pris la peine de traîner sa misère et ses brindilles déplumées sur cet espace couvert d'une fine poussière. Pourtant, ni désordre, ni saleté, simplement les traces du temps qui s'étire !
Une lumière diffuse franchit péniblement le seuil d'une fenêtre borgne. Des rideaux en coton, souvenir d'une mère qui maniait le crochet avec virtuosité et amour. Une plante verte sur le le rebord, c'est elle qui capte ce qui passe de clarté entre les murs épais d'une bâtisse dans la pierre.
Un abat-jour perché au plafond : sa lampe jaunie offre le peu de clarté qui suffit au bonhomme pour regarder le temps qui s'efface. Perdu dans ses pensées, il n'attend personne depuis si longtemps qu'il a enfin cessé d'espérer une visite. Il a vécu seul ici. Nulle femme hormis sa mère n'a franchi cette porte. Tout est trop sombre, trop vétuste, trop éloigné de tout pour attirer en ce lieu une autre solitude.
Derrière lui, trois marches qui conduisent dans l'autre pièce, la chambre à insomnies. Un lit sur un sommier métallique, des draps de lin épais qui sont roides de n'être pas si souvent lavés. C'est tous les trois mois qu'une voisine vient mettre un semblant d'ordre et de soin en cette petite maison.
Mais la porte reste close. Je n'en saurai jamais davantage. Je me suis fait un film, un voyage imaginaire. D'autres possibles se proposent à votre interprétation. Mais faites comme moi, restez de ce côté ci de l'huisserie. C'est là que nos songes sont les plus beaux.
Huisseriement vôtre.
Photographie de Jean-Louis Petrone
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