Sous le regard des vautours : bienvenue sur le Causse Méjean
Les causses majeurs sont au nombre de quatre : Sauveterre, Méjean, Noir et Larzac. Ils sont séparés par des gorges profondes : le Tarn, la Jonte et la Dourbie. Chacun de ces causses mérite, à bien des égards, d’être parcouru, pour ne pas dire exploré tant les surprises y sont nombreuses. Mais le plus spectaculaire d’entre eux est incontestablement aux yeux des visiteurs le causse Méjean, celui du milieu comme son nom l’indique...
Il arrive parfois, pour différencier les causses du Quercy (les plus connus étant ceux de Gramat et de Martel) des causses aveyronnais et lozériens, que l’on utilise le terme de « grands causses » pour désigner ces derniers. Cette appellation est toutefois sujette à confusion car sont ainsi mêlés dans ce terme générique les quatre géants (Sauveterre, Méjean, Noir et Larzac) et leurs satellites plus petits, mais aussi moins caractéristiques, comme les causses de Séverac, de Blandas ou Campestre, pour ne citer que ces trois-là. C’est pourquoi je préfère les qualifier de « causses majeurs », et cela d’autant plus qu’au delà de leur superficie, ces quatre causses présentent, souvent de manière spectaculaire, tous les caractères des reliefs karstiques, enrichis de surcroît par des témoignages précieux et émouvants de l’activité humaine dans ces lieux rudes, à l’image de la superbe petite cité templière de La Couvertoirade sur le Larzac ou des bergeries traditionnelles aux voûtes de pierre sèche.
Répartis sur les deux départements de la Lozère et de l’Aveyron, les causses majeurs forment, dans le paysage montagnard du Massif central, un terroir à part dont les plateaux sont cousins des grands espaces karstiques du Jura et surtout du Vercors avec lequel ils présentent le plus de similitudes. Une différence pourtant : il existe peu de lapiez sur les causses. En revanche, les gouffres souterrains y sont tout aussi nombreux et parfois imposants si l’on en croit les spéléologues. Appelés « scialets » dans le Vercors, ces gouffres – souvent signalés en surface par une modeste ouverture – sont dénommés « avens » dans les causses. Les plus spectaculaires sont de véritables merveilles de la nature où le public peut admirer stalactites, stalagmites et draperies calcaires parmi les plus belles du monde. L’un de ces gouffres d’exception, l’Aven Armand, se situe sur le causse Méjean, à deux pas des gorges de la Jonte. Non loin de là, de l’autre côté de ces gorges, un autre aven, la grotte « rose » de Dargilan, a été façonné, quant à lui, dans les profondeurs du causse Noir.
La situation du causse Méjean est d’autant plus exceptionnelle qu’il est très largement enserré entre deux joyaux du système hydrographique français, les gorges du Tarn au nord et les gorges de la Jonte au sud, l’extrémité du plateau venant buter à l’est sur le col de Perjuret, marchepied des versants ouest du massif de l’Aigoual, autrement dit des Cévennes. D’un côté, le calcaire et la dolomie formant de grands espaces désertiques ; de l’autre, le granit et les micaschistes, couverts d’un important manteau végétal réimplanté pour limiter les effets de l’érosion et notamment, du côté gardois de l’Aigoual, les phénomènes potentiellement dangereux de pluies cévenoles.
On ne présente plus les gorges du Tarn. Mondialement réputé, ce canyon, qui atteint par endroits 600 m de dénivelée, offre au visiteur une suite de paysages grandioses, particulièrement lorsqu’on peut le découvrir depuis les belvédères aménagés en bordure des causses, à l’image du cirque de Pougnadoires au creux duquel se niche le très joli village de Saint-Chély du Tarn. D’autres localités, baignées elles aussi par le Tarn et bien connues des adeptes estivaux du canoë ou du kayak, méritent une visite : La Malène, et surtout la médiévale Sainte-Enimie, toutes deux construites pour l’essentiel sur la rive Sauveterre du Tarn. Plus en amont, Quézac et Florac, l’une des plus petites sous-préfectures de France avec ses 2000 habitants, méritent également une visite. Et les amateurs de vieilles pierres restaurées ne manqueront pas de faire halte à hauteur des hameaux de La Croze, Hauterives ou Castelbouc pour admirer l’architecture typiquement caussenarde de leurs maisons.
Près d’un millier de vautours
Á Florac, la route abandonne le Tarn pour monter vers le col de Perjuret avant de redescendre vers le tranquille village de Meyrueis, localité chargée d’histoire qui constitue une base idéale pour découvrir les causses Noir et Méjean, les gorges de la Jonte et, côté cévenol, le massif de l’Aigoual. Moins connues naguère que les gorges du Tarn, les gorges de la Jonte se sont désormais taillé une belle réputation. Non seulement liée aux paysages spectaculaires qu’elles offrent en descendant vers Le Rozier, point de confluence du Tarn et de la Jonte, mais surtout à l’omniprésence des vautours aux abords du Truel et des falaises qui dominent le village.
Impossible de manquer ces rapaces : ils sont là par dizaines, nichant dans les chaos rocheux ou sur les promontoires escarpés. Le moment venu de partir en quête des carcasses de brebis dont ils se nourrissent, les impressionnants rapaces accèdent au causse en utilisant à merveille les courants ascendants qui se développent le long des falaises. Décimés au cours du 19e siècle puis définitivement éradiqués de la région durant la première moitié du 20e siècle, les vautours ont été réintroduits progressivement dans les années 80 grâce à une action conjointe du Parc des Cévennes et de la LPO. Une réintroduction initiée dans un premier temps par les naturalistes Jean-François et Michel Terrasse. Ces pionniers avaient installé une volière d’acclimatation sur le causse, à proximité du hameau de Cassagnes et des corniches du Méjean. Dans le même temps ils organisaient des réunions et des projections pour convaincre les populations locales. On pouvait alors observer de très près ces vautours aux abords des sentiers, souvent à quelques mètres seulement. Certains jeunes, pas encore complètement habitués à ce retour à la vie sauvage, confondaient même parfois la route des gorges avec une piste d’atterrissage sur laquelle ils se promenaient tranquillement, telles des volailles échappées d’un poulailler. Souvenirs...
Les temps ont bien changé, et les vautours sont aujourd’hui totalement autonomes, avec pour terrain de chasse un immense territoire tantôt désertique, tantôt dédié au pâturage des brebis. Deux espèces sont en permanence présentes dans les causses : le vautour fauve (celui de la réintroduction initiale) dont la population s’établit désormais à plus de 800 individus, et le vautour moine (réintroduit au début des années 90) qui compte un peu moins d’une centaine d’individus. Á ces deux espèces viennent de surcroît s’ajouter depuis quelques années en période estivale des vautours percnoptères qui repartent vers le sud l’automne venu. Ne manque plus à l’appel que le gypaète barbu, pourtant présent dans les Alpes, les Pyrénées et la Corse. Tout cela pour dire que c’est un formidable spectacle qui est offert aux randonneurs du causse. Quant aux touristes motorisés, ils peuvent, à proximité du Truel, visiter le Belvédère des vautours ; ils y trouveront des longues-vues mises à disposition pour observer les vols planés des grands rapaces ou les jeunes restés au nid, et pourront assister au repas d’une partie de la population, grâce aux carcasses de brebis collectées auprès des éleveurs.
Les gorges visitées, il est temps de monter sur le causse Méjean. Une douzaine de routes y conduisent. Mais si celles qui montent de Meyrueis ou du Perjuret sont faciles, d’autres le sont nettement moins, quand elles ne sont pas carrément à proscrire aux personnes impressionnables, avec leurs chaussées étroites, leurs virages très fermés au bord du précipice, et parfois des débris de roche tombés sur l’asphalte. Mais cela fait partie du plaisir et accentue le soulagement lorsqu’après les émotions de la route l’on débouche sur le plateau.
Dans les « rues » de Nîmes-le-Vieux
Un plateau pas si plat que cela car il est constitué de nombreuses ondulations et jalonné de collines. L’habitat y est parcimonieux, limité à des villages minuscules, à des hameaux ou à quelques rares fermes isolées. La faute au manque d’eau dans cet univers calcaire transformé en gruyère au cours des millénaires. L’habitation traditionnelle caussenarde tient évidemment compte de cette particularité, et les anciennes fermes disposent toutes d’une grande citerne sous la forme d’une cave soigneusement entretenue et rendue étanche par l’emploi de marnes du causse. Des vieilles maisons remarquables – auxquelles il convient d’ajouter les bergeries –, il en est un peu partout sur le Méjean, de La Volpillière à Nivoliers, en passant par Drigas ou Le Buffre. Cela dit, sauf à en connaître les habitants, il n’est pas toujours évident de pouvoir pénétrer au cœur d’une maison traditionnelle caussenarde. C’est pourquoi la visite de l’écomusée de Hyelzas s’impose. Tout comme, pour ceux que la marche ne rebute pas, celle du hameau de Fretma, en cours de restauration, à condition d’en négocier l’accès avec le propriétaire ; au début du 20e siècle, pas moins de 60 personnes, maîtres, valets de ferme et bergers, vivaient entre ces quelques murs !
Reste les curiosités naturelles du causse Méjean. Quiconque l’a arpenté sait à quel point elles sont nombreuses. Impossible de les lister toutes. Il en est pourtant deux qui me tiennent à cœur : les corniches du Méjean, incontournables, mais aussi le site de Nîmes-le-Vieux, nettement moins connu mais si attachant à mes yeux.
Les corniches du Méjean, il y a deux façons de les aborder : soit en montant du Rozier, dans la vallée de la Jonte (ou plus exactement du hameau de Capluc, situé un peu au dessus du village), soit en partant du hameau de Cassagnes, sur le plateau. Dans le premier cas, le randonneur doit s’attendre, via le sentier Jacques Brunet, à une montée très rude avec de délicats passages dans les rochers. Dans le second, l’accès est nettement plus aisé car il s’effectue sous la forme d’une approche facile à travers pins et chênes. Dans les deux cas, la récompense est au rendez-vous. Tout d’abord sous la forme de belvédères naturels idéalement placés pour observer les vautours montant de la Jonte. Puis en donnant accès à ces splendeurs que sont le vase de Chine et le vase de Sèvres, tous deux posés au sommet de falaises vertigineuses. Superbe !
Nîmes-le-Vieux n’est pas une ville mystérieuse posée sur le causse, mais une suite de chaos ruiniformes formés par l’érosion de la dolomie à l’extrémité est du Méjean entre les hameaux de Gally, L’Hom et Veygalier. Chacun peut voir dans ces rochers ce que bon lui semble en laissant aller son imagination au détour des sentiers. C’est à un pasteur de Vebron, Paul Arnal, que le site doit son nom, par analogie avec un site semblable – quoique plus imposant – sur le causse Noir : Montpellier-le-Vieux, ainsi dénommé par le grand spéléologue Édouard Martel. Se balader dans les « rues » de cette ville en ruine est un vrai régal tant l’alternance de rochers insolites et de petites pelouses cachées attise la curiosité.
Impossible de quitter le causse Méjean sans en mentionner deux habitants caractéristiques : la stipe pennée et l’azuré. Plus communément appelée « plumet », la stipe pennée est une herbacée blanche qui recouvre en début d’été des parties imposantes du causse, au point que l’on pourrait le croire enneigé. Quant à l’azuré du serpolet (ou azuré de la sarriette), c’est un petit papillon méridional qui monte jusque sur le Méjean établir ses quartiers d’été. Malgré sa taille modeste, il est difficile de le manquer car il vit généralement en bande et forme, avec ses congénères, de superbes ballets sans cesse renouvelés. Merci à lui et à tous les habitants du causse, qu’ils appartiennent au règne végétal ou animal, y compris les chevaux de Przewalski amenés naguère de Mongolie pour peupler la « steppe » de Nivoliers. Grâce à eux et à la beauté des sites, les aléas de la vie sont mis entre parenthèses, et cela fait un bien fou !
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