Sexe et business, mode d’emploi
Avec Sexus economicus (Nouveau monde éditions), le journaliste Yvonnick Denoël (un pseudonyme), auteur de plusieurs ouvrages sur le renseignement, s’est penché sur ce qu’il nomme « le dernier tabou des affaires » : le sexe.
Un tabou ? Pourtant ici et là les affaires où sexe et business sont mêlées défrayent régulièrement la chronique. C’est la partie immergée de l’iceberg. « Si tel ou tel grand patron mène une vie dissolue, ça ne choque personne, précise Yvonnick Denoël. En revanche si une compagnie de distribution d’eau organise des séminaires très sexuels pour nos élus, ça se fait avec l’argent du contribuable, là ça devient un sujet d’inquiétude et d’enquête tout à fait légitime ».
Sexus politicus se penchait sur les rapports entre sexe et politique, Sexus Footbalisticus s’intéressait, comme son nom l’indique, aux liaisons entre sexe et football.
La plupart des informations publiées dans ce livre sont connues. Quelques scoops cependant le ponctuent comme cet étonnant « club » que « Dick Cheney a fait aménager à grand frais dans sa maison de fonction, dans laquelle il recevait le soir de hautes personnalités du Moyen-Orien, ainsi que des cadres d’Halliburton et des membres du Pentagone ».
Yvonnick Denoël : En travaillant sur diverses histoires touchant à des questions d’intelligence ou d’espionnage économique. On ne réagit pas forcément la première fois, mais lorsqu’un schéma très récurrent se dessine on finit par se poser des questions. Je ne saurais pas vous dire quel a été l’élément déclencheur, mais c’est quelque chose de très fréquent dans le paysage.
OB : Le sexe est utilisé soit pour "fluidifier" des relations commerciales ou pour déstabiliser
YD : Exactement. Ou pour espionner, ce qui est une façon de déstabiliser. Il y a une tradition dans la négociation et la conclusion de très grands contrats qui peuvent s’accompagner de dons et contre-dons de services de call-girls. Mais on peut aussi repérer et utiliser les faiblesses du dirigeant soit pour l’espionner, soit pour recueillir des confidences, soit carrément pour le déstabiliser ou le faire chanter.
OB : Qu’est-ce qui relie, pour prendre des exemples au hasard dans votre livre, l’assassinat du banquier Edouard Stern, Patrick Sébastien, Omar Bongo, les traders londoniens qui se relâchent le jeudi avec des call-girls ?
YD : Ce qui relie tout ça c’est qu’il y a une libido au-dessus de la normale qui a des conséquences graves sur la vie professionnelle des entreprises ou des personnes concernées. Dans mon livre, je me suis interdit de mentionner des tas d’histoires sur les soirées agitées de tel ou tel dirigeant du CAC40.
OB : Nicolas Sarkozy apparaît dans deux affaires, celle que vous venez d’évoquer et celle concernant DSK. Le 25 septembre 2009 ce dernier avertit le chef de l’état, en marge du G20 à New York : « J’en ai plus qu’assez des ragots répétés sur ma vie privée et sur les prétendus dossiers et photos qui pourraient sortir contre moi. Je sais que tout ça part de l’Elysée. Alors dit à tes gars d’arrêter ou sinon je saisirai la justice ». Est-ce que cela a été ou est-ce que cela pourrait être une tentation de la part de Nicolas Sarkozy d’utiliser cette arme pour affaiblir des adversaires ?
OB : Il en aurait les moyens dans le sens où il contrôle l’appareil policier, mais ça serait sans doute maladroit, voire paradoxal, puisqu’il s’est lui-même plaint que l’on ait instrumentalisé sa vie privée contre lui. Mais on sait maintenant, suite à une affaire récente, que l’entourage de Nicolas Sarkozy prend parfois des initiatives qui ne sont pas complètement maîtrisées et cohérentes.
OB : Aux Etats-Unis le sujet n’est plus vraiment tabou depuis 1960 avec la parution du livre de Sara Harris, "They sell sex. The call girl and big business". Qu’en est-il en France ?
YD : L’accueil que reçoit ce livre montre qu’il n’est pas du tout interdit d’en parler, mais peu de gens finalement prennent l’initiative de le faire. Il a fallu que ce livre sorte pour que des gens se disent que ça existe et qu’ils en parlent. Ce qui est assez bizarre c’est que certains enquêteurs dans la presse travaillent sur ce genre de sujet, mais écrivent peu de papiers là-dessus. C’est finalement un sujet réputé peu sérieux. J’essaye de montrer au contraire qu’il peut être traité sérieusement.
OB : Vous expliquez néanmoins que cela devient compliqué dans certains secteurs économique de fonctionner de cette façon
YD : Dans le cas de l’eau, ça s’est beaucoup réduit lorsqu’on a moralisé le secteur. C’est relativement récent. Si vous prenez l’armement, le pétrole, les télécoms, etc., ce genre d’affaires continue. Je vous parlais plus haut d’une affaire qui se développe en Inde actuellement. Ce ne sont pas de vieilles histoires. Elles datent de l’an passé et éclatent maintenant.
OB : De quoi dépend la médiatisation de ces affaires ?
YD : On en parle quand il y a un dérapage, quand quelqu’un se fait assassiner par sa maîtresse, qu’il y a un scandale, qu’on découvre telle ou telle chose ou qu’il y ait justement un travail d’enquête qui soit fait et qu’on recueille des témoignages fiables. Sinon on n’en parle pas. Il y a eu un scandale fameux en Allemagne, avec Volkswagen. On l’a découvert parce que le directeur du personnel de cette soirée était saoul dans un hôtel, à Berlin, et qu’il faisait un scandale. Du coup ça a déclenché une enquête. C’était un dérapage. Mais quand tout le monde se tait, que tout fonctionne calmement et à l’abri des regards, ça peut continuer très longtemps.
OB : Pourquoi la presse n’a pas forcément intérêt à en parler ?
YD : Elle peut relayer des enquêtes qui sortent sous forme de livres. Maintenant, aller d’elle-même creuser ces questions-là, ce n’est pas forcément une bonne idée vis-à-vis de gens qui sont également leurs annonceurs...
OB : On n’a pas affaire à n’importe quelles prostituées ici. Ces femmes sont diplômées, parlent plusieurs langues. Pourquoi se prostituent-elles ?
YD : Quand vous regardez un peu la littérature sur la prostitution, la prostitution « de base » est souvent contrainte, soit par des situations de sans-papier, des problèmes de drogue ou plus généralement des problèmes économiques. Mais quand vous prenez les très haut segments, à 99% cela devient un choix : c’est de l’argent facile, ça permet d’évoluer dans des milieux très fascinants, c’est parfois une clé pour atteindre un autre type d’activité dans ces milieux, une activité d’intermédiaire par exemple.
OB : C’est un secteur économique en soi ?
YD : Oui, mais très difficile à mesurer. Si vous considérez que sur la ville de Washington vous avez un millier de prostituées de luxe, qu’à New York il y en a autant et sans doute probablement autant à Los Angeles, si vous prenez ensuite les autres grandes villes américaines, vous comptez en 300 et 500 prostituées, vous arrivez à un total d’environ 7 à 10 000 filles.
OB : Est-ce qu’avec le récente affaire qui mêle les bleus à une prostituée mineure vous considérez qu’une nouvelle forme de prostitution apparaît ?
YD : On repousse un peu les frontières. En ce qui concerne les footballeurs on a effectivement aujourd’hui des gens peu scrupuleux qui estiment que de toute façon ils peuvent obtenir des filles. Donc autant leur en fournir. Ils sont tellement blasés par les conquêtes habituelles qu’on leur met entre les mains qu’il leur faut du nouveau, le frisson de l’interdit. Une des formes d’interdit c’est justement des filles mineures.
OB : Est-ce que les affaires qui tournent autour du monde économique ne mettent en scène que des adultes ?
YD : En très grande majorité. Il y a quelques affaires de pédophilie, mais j’ai été très prudent et n’en ai pas sorties qui ne soient déjà connues. La seule que je développe un peu c’est celle du FBI avec les diplomates asiatiques à Seattle lors d’un grand sommet Asie-Pacifique en 1993.
OB : Est-ce que vous avez découvert des affaires que vous n’avez pas pu ou voulu révéler ?
YD : Je me suis abstenu de parler de tout ce qui relevait stricto-sensu de la vie privée des dirigeants. Il y a des règles journalistiques : soit vous pouvez prouver soit vous ne le pouvez pas.
OB : Y a-t-il eu des pressions auprès de votre éditeur ?
YD : Un certain nombre de gens savaient qu’on allait sortir le livre. Il y a eu des petits contre-feux dans la presse où l’on disait qu’on allait avoir des ennuis. Mais on a fait relire très précisément par une avocate, donc on n’a rien sorti qui ne soit pas prouvable le cas échéant et puis on en a gardé sous le coude. Le livre a du succès. Personne n’a intérêt à le poursuivre, ça ne ferait qu’amplifier son succès. Il n’y a pas d’inquiétude particulière sur ce bouquin-là. Il n’y a pas eu non plus de débordements.
Crédit photo : sfweekly
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