Sébastien Marie

Merci également pour cette interview d’Edgar Morin. Je confirme le dernier commentaire, l’ouvrage dirigé par Réda Benkirane (La Complexité, vertiges et promesses) est très bon même s’il manque à mon avis notamment un chapitre sur Herbert Simon (on peut réparer cet oubli en lisant Les sciences de l’artificiel de ce même H.-A. Simon).

Sinon, pour ceux qui auraient envie d’aller plus loin que cet article, on peut conseiller, d’Edgar Morin :
- Introduction à la pensée complexe (très court, très clair)
- Le paradigme perdu : la nature humaine (le plus novateur peut-être pour son époque)
- La méthode en 6 volumes (pour les plus courageux)

J’attends avec plaisir ce nouvel article. Je pensais moi-même écrire là-dessus, mais un peu plus tard, car au mois de juin sortira un que sais-je ? de Jean Baubérot intitulé Les laïcités dans le monde. Je pense que malgré le format (très court un que sais-je ?), ce livre pourra servir de bonne référence sur la question, et de clarifier le débat sur la laïcisation, la sécularisation, les différents modèles dans le monde, les défis du XXIè siècle sur ces questions !

Voilà, nous aurons donc l’occasion de débattre 

Justement, ce n’est pas stupéfiant, la laïcité est acceptée comme patrimoine national... il est donc parfaitement logique que les plus nationalistes soient les plus à l’aise pour défendre la laïcité telle qu’elle est admise ! Et si la gauche n’est pas à l’aise, c’est parce qu’elle n’a pas pris conscience du besoin de modernisation. Puisque la laïcité est l’exception française à défendre contre l’impérialisme anglo-saxon communautariste et l’islam, quoi de plus logique qu’un ministère de l’immigration et de l’identité nationale ? La seule voie viable pour s’opposer à ce mouvement sarkozyste, c’est de prendre acte de la modernisation de la société !

Sinon, eh bien la droitisation de la France n’est pas finie (à peine plus d’un tiers des voix au 1er tour, ça laisse rêveur sur l’état de la gauche hein...)

Eh oui, je suis un ennemi de la laïcité. En décrétant ça, vous confirmez ce que je dis : toute personne ayant un avis différent est un ennemi contre lequel il faut protéger la laïcité sacralisée, cette exception française, pays des droits de l’Homme, pays des Lumières, et tout ce qui s’en suit. Laïcité « modernisée » ? Bien évidemment ! Je ne savais pas que la modernité était synonyme de gauche canada-dry ou d’ennemi de la laïcité (qui était très moderne, à l’époque). S’il ne faut pas être moderne, il faut donc être archaïque ? Je vous en laisse la responsabilité.

Pour ma part, j’estime que les règles qui régissent la société doivent être adaptées à la-dite société, c’est-à-dire évoluer avec le temps. Et il se trouve que depuis les années 68, il y a eu une évolution majeure de la société, que Jean Baubérot appelle « 3ème seuil de laïcisation » à juste titre à mon sens. Il s’agit pour l’individu de poursuivre son émancipation, mais plus seulement de l’Eglise (comme au XIXè), mais de toute Institution (PCF, Etat jacobin, etc.), plus seulement des clercs religieux, mais des clercs instituteurs et médecins. Rechecher d’autonomie, de liberté individuelle. On peut craindre les atteintes à l’autorité, on peut aussi voir les progrès que cela procure à l’individu. Replacez ce que vous ne voyez que sous la lorgnette « l’islam menace la laïcité » dans cette évolution sociétale et vous verrez que le problème n’est pas celui que vous pensez pointer. De ce point de vue, l’islam est un révélateur des archaïsmes républicains, pas la source des problèmes.

Si je suis d’accord pour estimer que la gauche s’est complètement perdue, et également d’accord sur la sélection des thèmes sur laquelle est s’est perdue, je suis en total désaccord avec le contenu de votre article.

1/ Oui la gauche a perdu la laïcité. Mais pas de la façon dont vous le dites. Depuis les années 80, le « conflit des 2 France » est pour ainsi dire terminé, celui qui opposait une France laïque à une France catholique. Dès lors, un national-laïcisme s’est installé et votre article en témoigne. C’est d’abord le reste du monde qui a apporté à la France en termes de laïcité (voir les apports de la philosophie libérale de John Locke, voir les expériences mexicaines, américaines, etc.), et non pas le contraire. Par ailleurs, il faut remarquer que votre conception de la laïcité est figée, définie une fois pour toute, alors que c’est bien davantage un processus, en constante évolution, en constante refondation. Dès lors, vous calquez sur aujourd’hui les thématiques de 1905, alors que ça n’a rien à voir. Si le rapport Machelon présente effectivement des dangers, si l’idée de Sarkozy de mêler identité nationale et immigration est détestable, je crains que votre conception de la laïcité, celle d’une République absolue et sacralisée, ne soit le meilleur terrain de préparation des idées sarkozystes, bien que vous vous y opposiez radicalement. Il ne faut pas raisonner en 2007 avec l’islam comme on raisonnait en 1905 avec le catholicisme : ce n’est pas la même religion, les individus n’ont plus le même rapport à la religion, l’imprégnation dans la société n’est pas la même, etc. Nous avons aujourd’hui besoin de nous réapproprier la laïcité, de retrouver l’esprit de 1905, c’est-à-dire de trouver des compromis, un pacte intelligent et novateur, libéral... pour répondre aux problèmes d’aujourd’hui.

2/ Sur la pédagogie, là encore je m’inscris en faux. Vous caricaturez très sérieusement les « nouvelles pédagogies » qui n’ont d’ailleurs pas été appliquées, ou alors par bribes... L’Education a besoin d’une profonde réforme, et il faut faire toute la place aux connaissances pédagogiques, en psychologie du développement etc. pour la rendre meilleure. Il faut sortir de cette école bâtie pour des rythmes de vie du XIXè siècle et qui ne correspondent en aucun cas aux besoins ni aux capacités des enfants. Il faut effectivement que l’enfant construise le savoir, parce que c’est de toute façon ce qu’il fait, il ne faut pas croire qu’un enfant est une boîte vide dans lequel l’enseignant autoritaire et érudit n’a qu’à déverser ses connaissances et le tour est joué. Pas du tout, toutes les connaissances en psychologie démontrent le contraire, il est temps de s’en servir. Car aujourd’hui, comme le dit Boris Cyrulnik, on organise l’école de manière à ce que l’enfant ne puisse rien y apprendre. Quant aux 80% au Bac, oui c’est un problème, mais un problème résultant d’un progrès... donc il faut de nouvelles solutions, penser à l’après... pas pleurnicher sur le résultat. Bref, de Robien qui n’a rien trouvé de mieux que de s’attaquer à la méthode globale... je n’aurais pas pensé trouver des défenseurs à gauche. Piaget, Bourdieu, et les autres n’ont décidément pas été entendu, c’est triste.

Vous comprenez donc que je ne suis pas du tout d’accord. Mais sur le fond, j’apprécie votre article puisqu’il témoigne d’une volonté de refondation de la gauche, de retrouver ses valeurs et ses combats, ce pour quoi je ne peux que vous saluer. Peu importent nos divergences, c’est le moment qu’elles s’expriment... Peut-être la gauche prendra-t-elle deux chemins très différents en réponse à la crise qu’elle traverse. Ce sera toujours mieux que la stratégie du couvercle, de la synthèse, du consensus mou que je dénonce avec vous. A nous de faire vivre le débat !