• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile


En réponse à :


jco4667 (---.---.75.211) 9 juin 2006 11:51

C’est marrant comme se confirme cette tendance depuis 20 ans à un hygiénisme fascisant, menant, jour après jour à plus de restrictions et d’interdictions. A l’image de cette amérique puritaine et légaliste, se dessine dans notre pays, abruti de bétise et assoiffé de lois (pour les autres, jamais pour soi) une sorte d’ordre moral et physique auquel il convient de ne pas contrevenir au risque de se trouver marginalisé, voire exclu du groupe social.

On n’imagine pas tout ce qui est interdit. Boire, foncer, bouffer, baiser, crier à tue-tête, se moquer des minorités, dire ce qu’on pense, penser ce que l’on dit, fumer du hash...et maintenant fumer tout court. Il y a toujours une conséquence néfaste pour quelqu’un, la concierge, la vieille d’à côté, le postier, le notaire, etc... Les ennemis d’aujourd’hui sont le cholestérol, le tabac bien sur, la vitesse, les mauvaises pensées, le sida... C’est marrant, il me semblait qu’il y en avait d’autres.

Ce qui est intéressant avec la cigarette, c’est le côté obsessionnel de ses détracteurs, qui frise l’hystérie. Il est rare de constater de tels emportements sur des sujets de société (et c’est bien dommage d’ailleurs). Cela tient à mon sens au caractère moralement extrèmement dérangeant du fait de fumer pour ceux qui ne fument pas. Oui, je crois que le tabac est avant tout aujourd’hui un enjeu moral plus que sanitaire (sans quoi nous lutterions plus aprement contre la pollution atmosphérique, les pollens du printemps, la santé au travail, les accidents domestiques et j’en passe).

Un enjeu moral parce que le fumeur est d’abord un rebelle. Il ne se rebelle pas violemment en cassant tout, non (ça, à la limite, ça fait vendre). Il se rebelle contre sa vie elle-même, contre, justement, la limitation incessante de son espace de liberté. Il se rebelle en diminuant, à chaque bouffée de clope, le temps qu’il a à passer sur cette putain de terre et dans cette putain de société. Il n’a pas, pour son existence, cette passion dévorante, cet amour insassiable, ce désir fou qui peut pousser à passer une existence d’esclave misérable tout en remerciant chaque jour le bon dieu de nous l’avoir donnée. Quelque part, le fumeur est libre car s’arrogeant une part décision sur sa vie même. Il se possède. Il est donc extrèmement subversif pour les cons béat prêts à tout sacrifier pour une minute supplémentaire de labeur.

Ce fumeur honni, il est très dangereux parce qu’il exprime aussi un doute. Corrélaire à sa rebellion. Le fait de continuer à cloper, de persévérer malgré toutes les propagandes, signifie que dans son esprit demeure le doute, doute de son utilité, doute de son importance, doute du sens général de son existence et de celle des autres, doute sur ce qu’on lui serine à longueur de journée. Ca, c’est insupportable au commun qui est éduqué, depuis plusieurs décénnie, à ne pas douter, de la pertinence d’une intervention en Irak, du bienfait universel du marché et de l’importance qu’il y a à amasser de l’argent.

Un rebelle qui doute. Il fut un temps où ces gens façonnèrent la société et une certaine vision du monde. Est-il concevable que Prevert, Camus, Sartre, Gainsbourg, Churchill, Chet Baker, Miles Davis (étonnant parce qu’il avait une sacrée caisse), Colette, une grande proportion des médecins, la majorité des hommes et femmes de lettre et même Clint eastwood (et tant d’autres icones) aient été ou soient ce qu’ils sont sans clope ou gigare au bec ? Peut-être cela tient-il au fait que la cigarette favorise aussi la concentration, la connaissance de soi (par la sensation de son corps via la fumée qui y circule), la création du mouvement et de la fluidité au sein même de son corps... J’en sais rien. Tout ce que je sais, c’est que les non fumeurs hystériques que j’ai rencontré étaient toujours des gens chiants.

L’hygiénisme général (auquel se rattache l’hystérie anti-clopes) est à nos sociétés occidentales ce que le tchador est aux orientales. Un cache sexe, une tartufferie, ce sein que nous ne saurions voir sans éveiller en nous et à la collectivité le doute sur le bienfondé de nos certitudes et un regard un peu moins égotiste et narcissique. Le doute c’est la peur, celle de l’inconnu, celle de l’autre, celle de la mort.

Et qu’on ne me raconte pas que j’exagère, que ces lois sont faites pour protéger les gens. Si c’était vraiement le cas, je ne ferais pas verbaliser parce que je clope sur un quai de gare en plein vent et la loi favoriserait la création de cafés fumeurs et non-fumeurs plutôt que de forcer une non-mixité liberticide pour une des parties. Si c’était le cas, on favoriserait la vente de cigarettes avec différents arômes et à la fumée rose. Si c’était le cas, il y a bien longtemps qu’on aurait dépénalisé le hash et interdit les psychotropes. Si c’était le cas, on aurait interdit la vente d’alcool. Si c’était le cas, on reconnaîtrait le droit au suicide et il serait assuré par les grandes compagnies. Si c’était le cas, l’euthanasie serait légalisée. Si c’était le cas, les moteurs des bagnoles seraient bridés à 130. Si c’était le cas, le frêt ferroviaire aurait depuis belle lurette remplacé les poids lourds et on aurait embastillé toutes les connasses qui tournent à gauche depuis la file de droite sans mettre leur clignotant.

Donc voilà. Juste un petit aparté. Pour dire que, même si cloper était un jour puni de mort, je continuerai, juste peut-être parce que c’est interdit. Parce que ma liberté ne se limite pas à préserver le milliard de libertés des autres dont je me fous autant qu’eux se foutent de la mienne et à bosser pour un sandwich dégueu à midi avant de regarder le JT de TF1 le soir avant de me coucher (tôt parce que demain...)


Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON


Palmarès