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Proudhon Proudhon 7 décembre 2011 19:13

L’ECONOMIE DU TROISIEME REICH

Pendant la première année, la politique économique nazie, essentiellement dirigée par le docteur Schacht — car Hitler ne s’intéressait pas à l’économie politique, dont il ignorait à peu près tout — s’attacha principalement à redonner du travail aux chômeurs en entreprenant de vastes travaux publics et en stimulant l’entreprise privée. Le gouvernement se procura du crédit en créant des fonds spéciaux de chômage, et on prodigua généreusement les allégements fiscaux aux firmes qui accroissaient leurs dépenses de capital et qui employaient davantage de personnel.

Mais la véritable base du redressement allemand, ce fut le réarmement, vers lequel le régime nazi canalisa, à partir de 1934, l’énergie des milieux d’affaires et des milieux ouvriers, aussi bien que celle des généraux. Tout l’ensemble de l’économie allemande ne tarda pas à être désigné en jargon nazi sous le nom de Wehrwirtschaft, ou économie de guerre, et elle était délibérément conçue pour fonctionner non seulement en temps de guerre, mais durant la période de paix qui préludait à la guerre.

Dans la loi secrète de défense du 21 mai 1935, il nomma Schacht plénipotentiaire général pour l’économie de guerre, lui ordonna « de commencer son œuvre dès le temps de paix » et lui donna l’autorité « de diriger les préparatifs économiques de la guerre ». L’inimitable docteur Schacht n’avait pas attendu le printemps de 1935 pour se mettre à adapter l’économie allemande à la guerre. Le 30 septembre 1934, moins de deux mois après être devenu ministre de l’Économie, il soumit au Führer un rapport intitulé « Rapport sur l’état des travaux pour la mobilisation en vue de la guerre économique à la date du 30 septembre 1934 », dans lequel il déclarait fièrement que son ministère « a été chargé de la préparation économique à la guerre ».
Le 3 mai 1935, quatre semaines avant d’être nommé plénipotentiaire pour l’économie de guerre, Schacht soumit à Hitler un mémorandum personnel, qui commençait par déclarer que « la réalisation du programme d’armement avec rapidité et en quantité est le (les italiques sont de lui) problème de la politique allemande ; tout le reste donc doit être subordonné à ce but »... Schacht expliquait à Hitler que, puisque « le réarmement devait être complètement camouflé jusqu’au 16 mars 1935 (date à laquelle Hitler annonça la conscription pour la constitution d’une armée de trente-six divisions), il était nécessaire d’utiliser la presse à billets » pour financer les débuts du programme. Il soulignait également avec un certain plaisir que les fonds confisqués aux ennemis de l’État (pour la plupart des Juifs) et d’autres fournis par les comptes étrangers bloqués avaient contribué à payer les canons d’Hitler. « Ainsi, déclarait-il ravi, nos armements sont en partie financés par les crédits de nos ennemis politiques (13). »

Tous les dons reconnus de Schacht en matière de finances furent mis à contribution pour préparer le Troisième Reich à la guerre. Imprimer des billets de banque n’était qu’un de ses procédés. Il manipula la monnaie allemande avec une telle habileté qu’elle eut à un moment, selon les estimations des économistes étrangers, jusqu’à 237 valeurs différentes. Il négocia des accords d’échanges étonnamment profitables (pour l’Allemagne) avec des douzaines de pays et, à la stupéfaction des économistes orthodoxes, démontra brillamment que plus on devait à un pays, plus on faisait d’affaires avec lui.

La façon dont il créa le crédit dans un pays qui avait peu de capitaux liquides et pratiquement pas de réserves financières fut l’œuvre d’un génie ou — comme le dirent certains — d’un maître manipulateur. Son invention des billets « Mefo » était un bon exemple. Il s’agissait simplement de billets émis par la Reichsbank, garantis par l’État et qui servaient à payer les fabricants d’armement. Ces billets étaient acceptés par toutes les banques allemandes et escomptés finalement par la Reichsbank. Comme ces billets n’apparaissaient ni dans les comptes publiés par la Banque Nationale, ni dans le budget du gouvernement, ils aidèrent à assurer le secret du réarmement allemand. De 1935 à 1938, ils servirent exclusivement à financer le réarmement et atteignirent un total de 12 milliards de marks. En expliquant un jour cette méthode à Hitler, le comte Schwerin von Krosigk, le malheureux ministre des Finances, observa que c’était simplement un moyen de « battre monnaie (14) ».

En septembre 1936, avec l’inauguration du plan de quatre ans sous le contrôle de fer de Gœring, qui remplaça Schacht comme dictateur économique, bien qu’il fût aussi ignorant en ce domaine que l’était Hitler, l’Allemagne passa à une économie de guerre totale. L’objectif de ce plan était de permettre à l’Allemagne de se suffire à elle-même en quatre ans, si bien qu’un blocus en temps de guerre ne l’étouffât pas. On réduisit au strict minimum les importations, on pratiqua un contrôle sévère des prix et des salaires, on limita les dividendes à 6 pour 100, on créa de vastes usines pour la fabrication de caoutchouc, de textile, de carburant synthétique et autres produits à partir des matières premières dont disposait l’Allemagne, et l’on construisit une gigantesque aciérie Hermann Gœring pour fabriquer de l’acier à partir de minerais à faible teneur.

Bref, l’économie fut mobilisée pour la guerre, et les hommes d’affaires, tout en voyant leurs bénéfices augmenter, devinrent de simples rouages dans une machine de guerre, leur action étant limitée par tant de restrictions, par tant de formulaires à remplir que le docteur Funk, qui succéda à Schacht en 1937 comme ministre de l’Économie et en 1939 comme président de la Reichsbank, fut contraint d’avouer que « les communications officielles occupent maintenant plus de la moitié de la correspondance totale d’un industriel allemand » et que « le commerce extérieur allemand implique chaque jour 40 000 transactions séparées ; et pourtant, pour une seule transaction, il faut remplir jusqu’à 40 formulaires différents ».

Au début pourtant, les hommes d’affaires essayaient de se persuader que le régime nazi était la réponse à toutes leurs prières. Bien sûr, l’ « inaltérable » programme du parti leur avait paru menaçant, avec ses promesses de nationalisation des trusts, de partage des bénéfices avec les grossistes, « de communalisation des grands magasins, qui seraient loués à bas prix à de petits commerçants » (comme l’expliquait le point 16), avec aussi sa réforme agraire et l’abolition de l’intérêt sur les hypothèques. Mais les industriels et les financiers ne tardèrent pas à apprendre qu’Hitler n’avait pas la moindre intention de respecter une seule des promesses économiques contenues dans le programme du parti : ces promesses radicales n’avaient été lancées que pour attirer des voix.

Durant les premiers mois de 1933, quelques radicaux du parti s’efforcèrent de mettre la main sur des groupes d’affaires, de s’emparer des grands magasins et de créer un État corporatif sur le modèle de celui que Mussolini s’efforçait d’instaurer. Mais ils furent rapidement contrés par Hitler et remplacés par des hommes d’affaires conservateurs. Gottfried Feder, le premier mentor d’Hitler en matière d’économie, l’illuminé qui voulait abolir « l’esclavage et l’intérêt », fut nommé sous-secrétaire au ministère de l’Économie, mais son supérieur, le docteur Karl Schmitt, le magnat de l’assurance, qui avait passé sa vie à prêter de l’argent et à percevoir des intérêts, ne lui donna rien à faire et, quand Schacht devint ministre, il décida de se passer des services de Feder.

Les petits hommes d’affaires, qui avaient constitué l’un des principaux soutiens du parti, et qui attendaient beaucoup du chancelier Hitler, ne tardèrent pas à se trouver nombreux à être anéantis et relégués au rang des salariés. Des lois promulguées en octobre 1937 décrétèrent la dissolution pure et simple de toutes les sociétés ayant un capital inférieur à 20 000 dollars et interdirent la création de nouvelles sociétés avec un capital inférieur à 200 000 dollars. Cela régla rapidement le sort d’un cinquième de toutes les petites entreprises. Par contre, les grands cartels, que même la République avait favorisés, furent encore renforcés par les nazis. En fait, aux termes d’une loi du 15 juillet 1933, ils furent rendus obligatoires. Le ministère de l’Économie avait pouvoir d’organiser de nouveaux cartels ou d’ordonner à des firmes d’adhérer à des cartels déjà existants.

Le système des multiples groupements commerciaux organisé sous la République fut maintenu par les nazis, mais la loi fondamentale du 27 février 1934 les réorganisa dans le cadre d’une hiérarchie bien ordonnée et les plaça sous le contrôle de l’État. Toutes les entreprises étaient obligées d’adhérer à ces groupements. A la tête d’une structure incroyablement complexe se trouvait la Chambre Économique du Reich, dont le président était nommé par l’État, et qui contrôlait 7 groupes économiques nationaux, 23 chambres économiques, 100 chambres de l’industrie et du commerce et 70 chambres des métiers.
Au milieu de cette organisation labyrinthienne, de cette multitude de bureaux et d’agences du ministère de l’Économie, du Plan de quatre ans et de l’avalanche de décrets et de lois particulières, même l’homme d’affaires le plus avisé était souvent perdu, et il fallait engager des avocats spécialisés pour permettre à une firme de fonctionner. Les pots-de-vin qu’il fallait verser pour trouver le moyen d’approcher les fonctionnaires capables de prendre les décisions dont on avait besoin ou pour tourner les règlements infinis du gouvernement et des associations commerciales, ces pots-de-vin finirent par devenir astronomiques. « C’était devenu une nécessité économique », déclara un homme d’affaires à l’auteur de ces lignes.

Pourtant, malgré toutes ces tracasseries, l’homme d’affaires réalisait d’appréciables bénéfices. Les industries lourdes, principales bénéficiaires du réarmement, augmentèrent leur marge bénéficiaire de 2 pour 100, chiffre de l’excellente année de 1926, à 6,5 pour 100 en 1938, la dernière année complète de paix. Même la loi limitant à 6 pour 100 les dividendes ne gênait pas les sociétés. Tout au contraire. Théoriquement, d’après la loi, toute somme supérieure à ce chiffre devait être investie en bons d’État : il n’était pas question de confiscation.

En fait, la plupart des firmes réinvestissaient dans leurs propres affaires les bénéfices non distribués, qui s’élevèrent de 175 millions de marks en 1932 à 5 milliards de marks en 1938, année où le total des dépôts dans les banques d’épargnes n’atteignait que 2 milliards, ou moins de la moitié des bénéfices non distribués, et durant laquelle les bénéfices distribués sous la forme de dividendes n’atteignaient que le chiffre de 1 milliard 200 millions de marks. Outre ses plaisants bénéfices, l’homme d’affaires avait tout lieu de se réjouir de la façon dont, sous le régime hitlérien, les ouvriers avaient été remis à leur place. Il n’y avait plus de revendications de salaires déraisonnables. En fait, les salaires se trouvèrent légèrement réduits, malgré une augmentation de 25 pour 100 du coût de la vie. Et, surtout, il n’y avait plus de grèves ruineuses. En fait, il n’y avait plus de grèves du tout. De telles manifestations de désordre étaient interdites dans le Troisième Reich.

WILLIAM L. SHIRER
Le troisième Reich
Des origines à la chute
 
Tome I


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