l’ex président portugais Mario Soares a déclaré à propos du TSCG ; « aucun député socialiste, aucun socialiste ne peut ratifier cela »
L’austérité a trop piétiné les œillets
Pour la première fois depuis 1974, la commémoration de
la révolution des oeillets du 25 avril a été boycottée. L’ancien
président socialiste Mario Soares, qui n’y a pas participé non plus,
s’en explique.
Le 25 avril 1974 est une date qui a marqué de manière indélébile
ma vie et celle de la grande majorité des Portugais. Ce fut une révolution pacifique,
au succès incontestable, qui eut une immense répercussion en Europe et dans le
monde.
La « révolution des œillets » a mis fin à une dictature
fascisante de quarante-huit longues et cruelles années qui s’était
maintenue grâce à la censure et à une
police politique et qui a bloqué notre pays durant près de cinq
décennies sur
le plan politique, culturel, économique et social. Nous étions alors,
comme le
disait le dictateur [Salazar ; 1889-1970], « fièrement seuls ». Un
dictateur qui, d’ailleurs, n’avait rien
appris des enseignements de la Seconde Guerre mondiale et du triomphe
des
démocraties et des Etats de droit qui suivirent. Il se lança donc dans
l’aventure coloniale en 1961 avec pour résultat treize années de guerres
qui détruisirent
une centaine de milliers de vies.
La révolution du 25 avril, réalisée uniquement par des militaires fatigués d’une guerre qui
s’éternisait sans raison, nous a apporté la paix et la liberté – des biens
inestimables – et a influencé non seulement la transition démocratique en Grèce
et en Espagne mais aussi dans plusieurs pays d’Amérique latine et d’autres
continents. Il ne fut pas aisé d’instaurer au Portugal une démocratie pluraliste,
civile et multipartite – ouverte à tous les Etats du monde, à l’ONU et à toutes
les organisations internationales, surtout en pleine guerre froide et pendant
la crise pétrolière. Mais nous y sommes parvenus sans d’autres révolutions et
sans guerre civile.
La différence entre l’Etat démocratique et l’ancien régime
fut abyssale. Comme le jour et la nuit. Tout changea : la mentalité des Portugais,
le progrès matériel du pays, le développement de la culture et de
l’enseignement, la relation avec l’Europe et le monde et surtout avec nos
anciennes colonies, devenues des Etats indépendants. Après la consolidation de
la démocratie, le pays a vécu trente années de paix, de progrès et de bien-être
comme il en avait rarement connu dans sa longue et glorieuse histoire. Puis est
apparue la crise mondiale du « capitalisme de casino » – d’une économie virtuelle et
des paradis fiscaux – qui, après avoir frappé les Etats-Unis, s’est répandue
dans l’Union européenne (UE). De nombreux Portugais ont pensé qu’ils étaient
responsables de la crise « pour avoir vécu au-dessus de [leurs] moyens » comme ils disaient.
Ce
n’est pas le cas. Que les néolibéraux
le veuillent ou non, il s’agit d’une crise mondiale du capitalisme, qui
touche l’Occident
et commence à être ressentie dans certains Etats émergents. Nous
connaissons
aujourd’hui des problèmes nouveaux qui affectent gravement les conquêtes
sociales :
le système de santé, la dignité du travail ou encore la Sécurité
sociale. L’appauvrissement de millions de Portugais devient une réalité
avec la
récession et le chômage qui augmente de façon exponentielle. Le
gouvernement [de
droite] pratique des coupes budgétaires et privatise tous azimuts en
bradant
les joyaux de la couronne. L’austérité, imposée par la troïka [FMI,
Commission
européenne et Banque centrale européenne] et par l’idéologie de l’actuel
gouvernement (le FMI a déjà compris que la poursuite de cette politique
serait
un désastre), ne nous mène nulle part ou, pour être plus précis, nous
conduit, année
après année, de mal en pis. Voilà la terrible réalité que nous devons
affronter.
Mais gardons espoir. Le peuple portugais est un grand peuple. Il ne
tardera pas
à réagir. Pacifiquement, je l’espère.