Tunisie-Un homme d’honneur
Le nom de cet universitaire
tranquille, tout à ses recherches d’historien et à sa chère faculté des
lettres, est désormais célèbre. C’est qu’Habib Kazdaghli, dont le
procès, qui devait s’ouvrir ce 25 octobre à Tunis, est reporté au 15
novembre, a fait plus pour l’honneur de son pays que la désolante armada
de fanatiques qui trahissent en toute impunité la révolution de jasmin.
Comme Marianne s’en est fait souvent l’écho, le doyen de la faculté des
lettres, des arts et des humanités de la Manouba est poursuivi par une
étudiante en niqab. Elle retourne contre cet homme paisible les
accusations de violence dont il est en réalité la victime depuis le 28
novembre 2011.
Rappelons les faits : un groupe de salafistes,
dont certains pourvus d’un brillant CV de djihadistes sont sortis de
prison au lendemain de la révolution, avait décidé de transformer la
faculté des lettres en symbole du nouvel ordre islamiste. L’enjeu ?
Imposer la présence des étudiantes intégralement voilées, ces Belphégor
de la négation du visage et de l’altérité, en salles de cours et en
examens. Habib Kazdaghli s’en est tenu au règlement intérieur de
l’université et à la déontologie des enseignants, hommes et femmes. Il a
résisté, appuyé par son équipe pédagogique, mais désavoué par les
pouvoirs publics, notamment l’inénarrable ministre de l’enseignement
supérieur, Moncef Ben Salem, membre peu diplômé mais très agité de la
faction ultra-salafiste du parti Ennahda.
Rien n’a entamé sa
détermination, ni celle de ses collègues : de Habib Mellakh, professeur
de littérature française et syndicaliste, à qui nous devons la
chronique quotidienne de ce harcèlement de sabres et de fatwas, à Amel
Jaïdi, la directrice du département d’anglais, pourchassée elle aussi
par les poignards des assassins en liberté. Amel Jaïdi sera l’invitée
d’Amnesty International lors du colloque sur la situation difficile des
femmes arabes qui se tiendra le 17 novembre à Paris. Elle nous avait
raconté son calvaire, à Tunis, avec une maitrise dans l’émotion et un
courage qui font toute l’élégance et l’héroïsme de celles et de ceux qui
affrontent aujourd’hui la haine obscène.
Soutenu par ce petit
groupe, Habib Kazdaghli est cependant devenu en quelques mois l’une de
ces figures nationales dont une résistance a besoin pour se fortifier et
se définir. L’embarras de la police, qui ne recevait aucun ordre de
protection des universitaires et d’intervention contre les commandos
salafistes, a braqué les projecteurs sur l’indulgence du pouvoir pour
les provocateurs et leur violence. Mois après mois, la chronique de la
Manouba, dans sa solitude et sa détermination, dans ses appels de
détresse, ses SOS à la raison tunisienne et humaniste, est devenue le
premier miroir d’une réalité inquiétante. Les assauts contre le bureau
du doyen, les agressions contre Kazdaghli et ses enseignants, le
« sit-in » salafiste pour lequel il faudrait inventer un nom moins
paisible que cet aimable vocable, les locaux souillés par l’occupation
des étudiantes en niqab et leurs mâles défenseurs au rez de chaussée,
les menaces de mort placardées sur les murs : tout cela a
progressivement quitté la rubrique fait-divers pour devenir en Tunisie
un fait national, la preuve de la force des idées contre la faiblesse
de la bêtise, fût-elle drapée comme toujours dans sa cape sombre de
fureur légale et illégale.
Habib Kazdaghli, par sa ténacité,
transformait la manipulation intégriste en démonstration humaniste. Sa
simple présence, ses mots toujours clairs, son attachement à l’éthique
de l’enseignant scandaient le rappel des valeurs profondes du pays. Qui
ne veut envoyer son fils, sa fille à l’université en Tunisie ? C’est
précisément le statut de chômeur des jeunes diplômés qui a déclenché la
révolte contre la dictature de Ben Ali. Les enseignants sont aimés dans
ce pays. Quel humble paysan, quel père de famille écrasé de dettes,
acharné à rêver un avenir pour son enfant, appuierait ceux qui menacent
d’égorger des professeurs ? L’électro-choc devint général le 7 mars 2012
quand les salafistes arrachèrent au fronton de la Manouba- toujours en
pleine impunité- le drapeau national pour le remplacer par le chiffon
noir qui prétend imposer le sabre et la charia. La jeune fille qui se
précipita pour défendre l’étendart tunisien, fut jetée à terre et
violentée par les fous d’Allah, ennemis des femmes, des lumières et de
la vraie révolution. Désormais héroïne populaire, Khaoula Rachidi, deux
jours plus tard, était reçue et décorée par le président tunisien Moncef
Marzouki. Il ne pouvait faire moins, le peuple tremblait de colère
contre les barbes noires et d’amour pour Khaoula et son drapeau.
Il devenait donc clair, au fil des saisons, que la Manouba incarnait « le » combat de la Tunisie contre ses dévoreurs d’espérance, ses voleurs de feu spirituel, ses détrousseurs de dieux.
Vinrent plus tard l’incendie des œuvres d’art de la Marsa, le procès de la jeune fille violée par les flics, l’attaque contre l’ambassade des Etats-Unis, les harcèlements de journalistes, l’obsession néo-totalitaire des pseudo-démocrates islamistes au pouvoir, bref la litanie d’une post-révolution qui ne chante pas.
Mais, au départ de cette prise de conscience désormais internationale des dangers qui menacent la Tunisie vivante et claire, il y a, comme toujours, quelqu’un qui a dit non.
C’est l’honneur d’un homme, Habib Kazdaghli.
Source :
http://www.marianne.net/Tunisie-un-homme-d-honneur_a223713.html
Salah HORCHANI
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