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easy easy 6 décembre 2012 21:34



Belle occasion pour moi d’en dire deux mots.

Déjà, ce que Mauriac a écrit à 13 ans (Va-t’en) me laisse sur le cul quand je vois que j’en étais encore à lire Les malheurs de Sophie
 
Son écriture me semble sans effet de style. Du coup, ses propositions de regard me respectent, je ne me sens pas violé et je le suis en toute liberté de conscience avec mon regard branché sur technique-psycho. Quand il dit comment il voit le visage d’un aficionados se transformer, j’apprends aussi à détecter les rictus.


A côté de ça, les auteurs comme Hugo Zola, qui m’avaient autrefois serré le coeur, me semblent aujourd’hui manipulateurs, irrespectueux du lecteur et inconséquents.
.
Voici le début de Germinal 

**** Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d’une obscurité et d’une épaisseur d’encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes à Montsou dix kilomètres de pavé coupant tout droit, à travers les champs de betteraves. Devant lui, il ne voyait même pas le sol noir, et il n’avait la sensation de l’immense horizon plat que par les souffles du vent de mars, des rafales larges comme sur une mer, glacées d’avoir balayé des lieues de marais et de terres nues. Aucune ombre d’arbre ne tachait le ciel, le pavé se déroulait avec la rectitude d’une jetée, au milieu de l’embrun aveuglant des ténèbres. ****
 
Zola ne s’y place pas, il n’est pas dans la scène. On pourrait donc prétendre qu’il n’est pas envahissant, pas narcissique et qu’il permet au lecteur d’apprécier la chose seul, de manière immédiate.

Mais en réalité, il ne place le lecteur ni à côté de lui ni seul devant lui, il le place dans lui. Ce qu’il nous montre est déjà tout barbouillé de son regard. On ne peut plus voir qu’à travers son installation artistique, on est piégé.
Essayez de vous représenter ce paysage rincé de son regard, vous n’y parviendrez pas.


Inversement, Mauriac raconte ici une scène où il est présent. Il peut alors sembler encombrant. Mais ce qu’il décrit est en réalité neutre, vierge de son barbouillage, en tous cas neutralisable de son regard.
Il nous dit carrément : voilà, je suis là, je regarde ça et je pense que...On n’est pas trompé et on peut donc soustraire son regard puisqu’il est explicité et recouvrer la chose en l’état, neutre, vierge, vraiment sans lui.

Dans les artifices des romantiques, il y a une montagne de modalisateurs, qualificatifs, adverbes, expressions et comparaisons qui font tout le pathos de leur installation
« Nuit d’épaisseur d’encre »
« Rafales larges comme sur une mer, glacées d’avoir balayé des lieues de marais »
« Embrun aveuglant des ténèbres »
Oh que ça me file la nausée !


(D’autant le froid vient du vent, non des marais et qu’il n’est pas interdit que le ciel des corons soit plus étoilé qu’à Paris)

Hugo et Zola savaient donc d’avance exactement comment leur lecteur allait voir.
 
Et comme ce genre d’expression poétique, anti scientifique, archi subjective, a charmé, il y a plein de gens qui les resservent pour un oui ou pour un non.

Nous nous retrouvons très souvent à discuter de choses du genre économique ou mariage homo et les commentaires arrivent truffés d’expressions poétiques récupérées devenues, par l’habitude, des lieux communs servant de bouche trou. On croit lire une réflexion adaptée, on ne lit en fait qu’un bidonnage, qu’une farce. 

Quand un poète invente une expression ou comparaison poétique, on prend ça dans la figure mais on sait que c’est de la poésie. Bravo l’artiste, tu m’as bien eu !

Alors que quand l’expression est resservie en expression toute faite, même par un footballeur (avec quelques fautes, contresens ou confusions du genre il ne faut pas vendre la charrue avant les boeufs) tous les jours pendant un siècle et à tout propos, ce n’est plus de la poésie, c’est du surimi.


Je préfère donc Mauriac parce qu’il ne sait pas à l’avance comment son lecteur va voir et parce qu’il ne livre que de la considération pas des gadgets d’écrivain susceptibles d’être recyclés pour devenir des patterns à faire du papier peint en style de.


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