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En réponse à :


jeantho (---.---.23.248) 13 septembre 2006 16:28

(suite de I)

Quand H. nous frappait, c’était pour nous faire avouer des trucs. A chaque fois que j’étais interpellé il y avait des problèmes avec H. C’est comme ça avec lui c’est pas bon. Il est arrivé aussi qu’il me fasse mettre à genoux sur un manche à balai, avec les mains attachées dans le dos. Il nous laisse comme cela longtemps, et ça fait mal aux genoux. Il est arrivé aussi qu’il nous frappe la tête avec un annuaire. J’ai souvent pris des coups d’autres personnes au Commissariat. J’ai pris trois mois pour vol de voiture, je dois sortir au début de l’année prochaine sauf si j’ai un sursis révoqué en plus (...) ».

19. Le 24 juin 1998, le Procureur de la République requit un non-lieu pour le capitaine H. et le renvoi du requérant devant le tribunal pour enfants pour rébellion. Ces réquisitions ne furent pas suivies par le juge d’instruction.

20. Par une ordonnance du 20 juillet 1998, le juge d’instruction ordonna le renvoi du fonctionnaire de police devant le tribunal correctionnel, du chef de violences volontaires ayant entraîné une I.T.T. inférieure à 8 jours, par personne dépositaire de l’autorité publique. Il releva :

- que le fonctionnaire de police avait été plusieurs fois mis en cause par de jeunes délinquants comme donnant facilement des coups au cours des interrogatoires, ce qui résultait de deux auditions de témoins et d’autres procédures ;

- que le requérant était connu pour des vols, mais non pour des actes de violence ;

- qu’il était établi qu’à aucun moment le mineur n’avait frappé le capitaine de police ;

- que le requérant était encore mineur au moment des faits et que sa taille paraît sensiblement la même que celle du capitaine H et sa carrure beaucoup moins solide ; il en déduisait que la taille et la complexion du requérant n’étaient pas telles qu’elles avaient pu empêcher le policier de le maîtriser après l’avoir neutralisé en parant le coup, si besoin s’était fait sentir ;

- que ce dernier avait déjà paré l’éventuel coup du requérant en lui opposant son bras, et que le coup de genou porté par la suite ne revêtait aucun caractère nécessaire et proportionné au comportement du jeune homme, de sorte que la légitime défense ne pouvait être invoquée. Il concluait qu’il apparaissait qu’il y avait eu en l’espèce disproportion entre le comportement du requérant et la riposte du capitaine de police, laquelle avait entraîné pour le mineur une atteinte à sa personne.

21. Le fonctionnaire de police comparut devant le tribunal correctionnel de Nouméa où le Procureur de la République requit la relaxe du prévenu qui invoquait le fait justificatif de la légitime défense.

22. Par un jugement du 9 octobre 1998, le tribunal déclara le capitaine H. coupable d’avoir commis le délit de violences ayant entraîné une incapacité inférieure à 8 jours avec cette circonstance que lesdites violences ont été commises par une personne dépositaire de l’autorité publique dans l’exercice de ses fonctions et le condamna à une amende de 80 000 francs de la Communauté financière du Pacifique (CFP). Il considéra que le caractère volontaire de la riposte était avéré et observa surabondamment que le capitaine H. invoquait la légitime défense, laquelle était inconciliable selon la cour de cassation avec le caractère involontaire de l’infraction poursuivie. Il ajouta que :

« si le premier geste de défense accompli par le capitaine H. était nécessaire et mesuré, parfaitement adapté à la situation, il n’en est pas de même du second. (...)

Nécessité de la riposte s’agissant du coup de genou

Attendu que compte tenu :

- d’une part de l’expérience professionnelle du capitaine H., de sa formation, du lieu de la rébellion, permettant une intervention immédiate des policiers présents, de la fouille préalable du requérant et de la morphologie plus athlétique du policier ;

- d’autre part de la nature de l’agression (ou considéré comme tel) imputée au requérant ;

Le coup de genou au demeurant assez violent donné par le Capitaine H. dans les parties génitales du jeune Rivas n’était pas rendu strictement nécessaire à la riposte ».

Caractère mesuré (ou non) de la riposte

Attendu que le moyen de défense employé par le capitaine H. s’est révélé en outre disproportionné s’agissant du coup de genou qu’il a donné au requérant eu égard à la nature et au degré de gravité de l’agression imputé au requérant.

Attendu que la disproportion de la riposte utilisée est également confortée par la violence du coup donné, celui-ci ayant :

Provoqué une fracture fermée du testicule gauche (...)

Nécessité l’hospitalisation de l’intéressé et une intervention chirurgicale en urgence,

Entraîné une ITT fixée à sept jours selon le certificat médical joint à la constitution de partie civile et à cinq jours selon le rapport du médecin expert requis par le juge d’instruction et une diminution de moitié à la palpation de la taille du testicule gauche par rapport au droit. »

23. Le capitaine H. et le ministère public relevèrent appel de cette décision.

24. Par un arrêt du 2 mars 1999, la cour d’appel de Nouméa infirma le jugement et relaxa le fonctionnaire de police. Elle précisa notamment que le requérant faisait l’objet de très mauvais renseignements, puisque son casier judiciaire comportait deux condamnations pour vol prononcées par le tribunal pour enfants et qu’il avait en outre fait l’objet de multiples procédures, interpellations et conduites au poste de police depuis l’âge de treize ans, et que monsieur H. était un officier de police judiciaire excellemment noté tant par ses supérieurs que par le Procureur de la République.

Elle rappela les conclusions du rapport d’expertise médicale effectuée par le Docteur G. le 20 janvier 1998 :

« - que Rivas présentait des séquelles morphologiques palpables d’une fracture du testicule gauche (diminution de volume glandulaire) ;

- que le faible quota de parenchyme testiculaire n’était pas de nature à entraîner des risques d’infertilité liée à ce traumatisme pour le sujet ;

- le retentissement psychologique est peu important. Monsieur Rivas a rapidement repris une vie relationnelle normale ;

- que l’ITT avait été de 5 jours ;

- qu’il n’y avait pas d’IPP à prévoir ;

- que le préjudice esthétique était nul et le préjudice d’agrément faible et difficilement évaluable en ce qui concerne le domaine de la sexualité dont l’aspect ludique était actuellement prédominant pour monsieur Rivas. »

La cour d’appel motiva sa décision comme suit :

« Attendu qu’il n’est pas contesté que les blessures subies par le requérant résultent d’un coup porté par le capitaine H. ; qu’il paraît cependant peu vraisemblable que ce coup ait pu être porté ainsi que le soutient la victime dès son entrée dans le bureau du capitaine alors que la porte de celui-ci devait nécessairement être encore ouverte et que des personnes circulaient dans le couloir ; qu’aucun élément du dossier ne permet par ailleurs de confirmer la relation des faits donnés par la victime dont l’attitude ne peut s’expliquer que par les nombreuses interpellations et conduites au poste de police dont elle a régulièrement fait l’objet depuis l’âge de 13 ans ;

Attendu que les explications fournies par le capitaine H. compte tenu du contexte présentent quant à elles une certaine apparence de vérité ; qu’en effet, ayant de par son expérience, son grade et les fonctions de chef de l’unité des flagrants délits, l’habitude de traiter ce type de procédure et ayant par ailleurs déjà eu affaire [au requérant] bien connu des services de police, il peut paraître vraisemblable que le requérant après avoir été invité, devant l’évidence des charges établies contre lui, à reconnaître les faits, se soit soudainement levé de sa chaise et ait voulu quitter le bureau du capitaine H. que ce dernier pour l’en empêcher se soit précité sur lui, l’ai saisi d’une main par l’épaule, le faisant ainsi pivoter, que [le requérant] dans ce mouvement tournant se soit retrouvé face au policier la main droite levée afin de le repousser et que ce geste ait pu être perçu par le capitaine H comme une menace voir l’esquisse d’un coup que [le requérant] voulait lui porter ;

Attendu qu’il s’en suit que le capitaine H. se trouvait dans la nécessité de réagir pour d’une part parer le coup qui allait lui être porté et d’autre part prévenir d’autres coups que [le requérant] empêché dans sa tentative de fuite n’aurait pas manqué de lui porter ;

Attendu qu’il n’est pas établi que le capitaine H. ait eu l’intention en portant un coup de genou [au requérant] de l’atteindre au niveau des parties sexuelles et encore moins de lui causer de tels dommages ; que ce coup de genou donné dans un mouvement réflexe visait plutôt l’abdomen que les parties génitales, qu’il apparaît dès lors proportionné à la menace réelle que l’attitude [du requérant] faisait peser sur le capitaine H. dans l’instant précis où se retournant subitement il apparaissait face à lui le bras levé prêt à frapper ; (...) »

25. Par un arrêt du 1er février 2000, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant au motif que la cour d’appel avait justifié sa décision au regard de l’article 122-5 du code pénal (irresponsabilité pénale en cas de légitime défense)... "

[fin de l’introduction de l’arrêt]

Suit la conclusion de l’arrêt :

" A. Dommage

44. Le requérant réclame la somme de 30 000 euros (EUR) au titre du préjudice subi à la suite des mauvais traitements, cette somme correspondant :

- pour une part à la souffrance physique endurée ;

- pour une deuxième part aux séquelles physiques qui sont les siennes ; il affirme qu’il lui reste un tiers du testicule atteint par les coups, après amputation partielle ;

- pour une troisième part au préjudice moral résultant de cette atteinte à sa virilité ; il fait valoir que cette situation est toujours difficile à vivre pour un homme, en particulier dans son milieu socioculturel qui est métis italien-wallisien.

45. Se reportant au certificat médical du 20 janvier 1998, le Gouvernement considère la demande du requérant exagérée. L’allocation au requérant d’une somme de 8 000 EUR lui paraît suffisante.

46. La Cour rappelle que l’incapacité temporaire de travail a été en l’espèce de cinq jours (paragraphe 24 ci-dessus) et considère que le requérant a subi un préjudice corporel en sus du préjudice moral que le constat de violation figurant dans le présent arrêt ne suffit pas à remédier. Statuant en équité, comme le veut l’article 41, elle lui alloue 15 000 EUR.

(...)

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,

1. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

2. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 15 000 EUR (quinze mille euros) pour dommage moral ;

ii.10 000 EUR (dix mille euros) pour frais et dépens ;

iii. tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur lesdites sommes ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

3. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 1er avril 2004 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago Quesada - Christos Rozakis

Greffier adjoint - Président "

(fin de l’arrêt)

Un commentaire : devant la CEDH, les Etats s’en tirent toujours très bien matière sanctions. Ce n’est pas vraiment de nature à les dissuader. Encore une juridiction qui, à supposer que la France ne quitte pas le Conseil de l’Europe, devrait être réformée dans le sens d’une autre forme de désignation des juges.


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